D'après Le Canard Enchaîné, 1.700 soldats américains ne sont pas rentrés en Iraq après leurs deux semaines de permission réglementaires. Le même son de cloche est fourni aux Etats-Unis par les familles des militaires et les différentes associations de vétérans. Malgré cela, le phénomène continue à être ignoré par les médias. Selon la GI Rights Hotline, un service téléphonique national d'aide légale pour les soldats, les appels des parents de la « troupe » ont augmenté de 70 % depuis fin septembre. Tous demandent quelles sont les conséquences légales d’une désertion (awol = absent without leave). Quelqu’un a même téléphoné depuis l’Iraq pour poser la question suivante : « Si je me tire dans un pied, que m’arrivera-t-il ? »
Le phénomène préoccupe le Pentagone qui essaie désormais de convaincre une grande partie des soldats qui vont partir en permission (deux semaines de r & r, repos et récréation) d’aller les passer en Allemagne ou en Italie. « Les militaires savent combien le moral des soldats est bas, » a déclaré Teresa Panepinto, coordinatrice de GI Rights Hotaline, « ils se font du souci au sujet de ces gens qui iront chez eux et ne retourneront pas en Iraq ».
En plus des risques qu’ils courent, ce qui contribue à abaisser le moral des soldats ce sont les longues périodes de service, la nourriture infecte qu’on leur fournit, les armes défectueuses qui ne fonctionnent pas, l’insuffisance des munitions et des gilets pare-balles, et les mensonges sur les raisons de la guerre qu’ils doivent affronter tous les jours en tant que « sitting turkeys » (dindes immobiles), objectifs faciles au milieu d’une population rendue féroce par les vexations et les injustices. Les morts officiels sont désormais plus de 400 et il y a plus de 10.000 blessés qui s’entassent dans les hôpitaux des Etats-Unis.
Ce qui rend leurs familles encore plus furieuses, ce sont les réductions voulues par l’administration Bush : des salaires des soldats en mission, de leurs retraites, de l’assistance médicale à laquelle ils avaient droit, des facilités accordés à leurs familles qui vivent dans les bases américaines, des services réservés aux vétérans de cette guerre et de toutes les autres. En outre des centaines de familles sont contraintes à payer de leur poche les gilets pare-balles de leurs soldats et à les leur envoyer en Iraq. Ce dernier fait a mis en colère les membres du Congrès. Ils ont interrogé l’administrateur civil des forces armées, Les Brownlee, qui a répondu « Les évènements qui ont suivi les grandes opérations de guerre ont été différents de ce que nous avions prévu, et cela a contribué à créer des problèmes. »
Aujourd’hui, ceux qui désertent risquent un maximum de 5 ans de prison dans une prison militaire, la suspension de leur salaire, de leur retraite, de leur assurance et un licenciement de l'armée avec déshonneur. Un soldat devient déserteur s'il ne se présente pas pendant plus de 30 jours, et on émet contre lui un mandat d’arrêt fédéral qui autorise la police locale, d’état et fédérale à l’arrêter. Loger un déserteur est illégal et peut coûter 3 ans de prison. Mais d’après les familles, cela vaut la peine de courir le risque. Considérant le nombre élevé des suicides déjà enregistrés dans les troupes en Iraq, Carl Rising-Moore, un vétéran du Vietnam, soutient les soldats qui veulent déserter. Dans une interview à l’hebdomadaire Nuvo d’Indianapolis il a déclaré : "Quand j’entends parler de ces femmes et de ces hommes prêts à se tuer pour s’en sortir, mon devoir de vétéran et d’Américain loyal est de me battre contre mon gouvernement de toutes les façons non violentes possibles. » Rising-Moore considère que la situation en Iraq est semblable à celle du Vietnam : « …. les gens devraient déserter tout comme le fit Georges Bush durant la guerre du Vietnam ». Le Président « Chickenhawk » Bush* réussit à s’inscrire dans la Garde Nationale du Texas, sautant une longue liste d’attente grâce aux connaissances de son père. En juin 1970 il était pilote dans l’unité « Champagne » de la Garde, avec les fils des élites du Texas. Entre le mois de mai 1972 et le mois d’octobre 1973, il disparut. Il fut accusé d’avoir déserté, mais il n’y eut aucune sanction.
Aux Etats-Unis, il y a un peu partout des gens prêts à loger les déserteurs et à les aider à passer au Canada : « Le peuple canadien, assure Rising-Moore, est prêt à les accueillir ». Les lois canadiennes autorisent les fonctionnaires de l’immigration qui se trouvent à tous les points d’entrée dans le pays à concéder, au cas par cas, le statut de réfugié politque à tous les individus. Rising-Moore se trouve au Canada, et il est en train d’organiser ce qu’il appelle le « Freedom underground », quelque chose comme la « voie ferrée clandestine » qui, durant la guerre du Vietnam, permit à 30 à 40.000 déserteurs américains d’émigrer au Canada.
*(poulet-faucon, c’est le surnom donné aux Néo conservateurs les plus aguerris de cette administration tels que Cheney, Wolfowitz, Perle et Bush Jr. en personne, qui n’ont jamais risqué leur vie dans une guerre)
(Sources : Il Manifesto)
Mot-clef : Iraq, USA, Amérique du Nord
Commentaires et Mises à jour :
Je me suis posé une question
En préparant cet article, je me suis posé une question : combien de temps a-t-il fallu pour que les jeunes Américains commencent à refuser de partir au Vietnam, pour que les manifestations commencent à prendre toute leur ampleur, pour que l'opinion publique se rebelle ?
Le contexte était un peu différent, Nixon n’avait aucun 11 septembre à portée de main. La seule cause qu’il pouvait exploiter était l’avancée du communisme. La guerre contre l’Iraq est récente et l’après-guerre en Iraq n’a commencé que le 9 avril dernier. Donc ce qui pour les Iraquiens doit déjà être une éternité, n’a pas encore eu le temps de « lasser » le peuple américain.
Cette semaine, j’ai vu un documentaire fait de reportages originaux filmés au Vietnam en 1972 et 1973, qui mettait en évidence tous les systèmes utilisés à l’époque par les grands reporters afin de reprendre les scènes en direct, les bombardements, les villages brûlés, les soldats blessés et tués, etc… Les JT de l’époque montraient tout cela au peuple américain. L’énorme différence aujourd’hui, c’est la censure féroce exercée par l’administration Bush sur les médias. Elle a bien appris la « leçon » du Vietnam et entend « diriger » l’opinion publique comme bon lui semble. Comme tu le dis si bien, aujourd’hui, il n’y a plus d’information mais seulement de la désinformation, les journalistes ne peuvent plus filmer, on les empêche d’arriver sur les lieux. A la place il y a des troupes qui tournent des scènes inventées de toutes pièces, et les morts et les blessés rentrent aux USA dans le plus grand silence. Internet ne touche encore qu’un petit nombre de personnes, et le pourcentage de ceux qui parmi elles l’utilise pour s’informer est infime. Personnellement, dans mon entourage direct, je ne connais personne qui lise la presse « on-line », et si tu regardes Joueb.com, le nombre de sites qui parlent de politique ne peut-il pas se compter sur les doigts de la main ? En Italie, du fait qu’il y a des soldats italiens en Iraq et qu’il y a déjà eu des morts, leur nombre est légèrement supérieur, mais la majeure partie de l’opinion publique continue à se laisser berner par les sentiments de patriotisme, les éloges à l’exportation de la démocratie, la supériorité de notre civilisation, que déversent les six chaînes manipulées et censurées dans les mains de Berlusconi. S’il y a d’autres morts, les gens verseront une seconde fois des larmes de crocodiles, c’est tout.
Alors, combien de temps faudra-t-il pour que l’opinion publique se réveille ? Sans compter que dans la période de récession économique actuelle il y a un nombre toujours plus grand de familles dont la situation en Iraq n’est pas le premier des soucis, occupées qu’elles sont à essayer de nouer les deux bouts et arriver à la fin du mois.
Le gros problème à mon point de vue, c’est la division qui existe au sein des partis d’opposition, quel que soit le pays, incapables de se mettre d’accord sur une ligne commune, et par conséquent d'être pris sur le sérieux et de servir de guide pour une prise de conscience.
Re: Je me suis posé une question
Les partis politiques ou les courants de pensées proches s'évertuent davantage à souligner leurs différences (parfois minimes) que de chercher à s'unir comme tu le dis sur une plateforme commune d'actions.
Si seulement les conséquences humaines de la succession de guerres déclenchées par les américains pouvaient enfin créer dans le peuple un contre pouvoir. Malheureusement la désinformation et la propagande sont très actives. On peut imaginer qu'Internet pourrait prendre le relais mais c'est loin d'être gagné car le nombre de soldats et de familles concernés représentent une infime partie de la population.