En Italie, on aime inconditionnellement les USA, depuis 60 ans, mais aujourd'hui j’ai vraiment du mal à saisir ce que pensent les gens de la belle victoire de Barack Obama, avec tout le bagage apparemment contradictoire dont il est porteur, celui d'un rêve américain toujours possible. Beaucoup de monde a veillé ou s’est levé tôt, pour savoir, mais ensuite… L’humeur est aussi grise que le temps, et tout, comme si de rien n’était. Normal diront certains, il s’agit d’un pays lointain. Et bien non ! Parce que tout comme le souhaitait Tahar ben Jelloun dans un article écrit fin octobre sur l'immoralité libéraliste des Etats-Unis de ces dernières années, « nous aurions tous dû participer à l’élection du Président des Etats-Unis vu que, qu’on le veuille ou non, nous avons tous été concernés par les dommages collatéraux de la désastreuse politique de Bush ».
Pour en revenir à l’Italie, bien sûr il y a eu les vœux de circonstance du Président de la République et ceux de Berlusconi qui se déclare prêt, lui le vieux, à donner des conseils au jeune Président. La gauche du Partito Democratico (PD), une fois encore hors de ses pompes, a presque pris cette victoire à son compte… comme si elle y était pour quelque chose. Il y a eu la gaffe d’un sénateur du centre droite qui a salué l’évènement en disant que « Al-Qaida était sans doute bien content », mais n’exprimait-il pas la pensée que taisaient tous ceux de son bord ? Il y a eu le pas très sympathique « Que Dieu l’illumine » du Vatican, rattrapé ensuite par le plus diplomatique « Occasion historique ».
Bref ! Un sec retour à la réalité, et l’immense sentiment d’espoir qui est monté en moi ne sait déjà plus où il en est, car ici, nous en avons encore pour plus de quatre ans avant d'espérer pouvoir changer quelque chose. La véritable démocratie, c’est là-bas qu’on lui a permis de s’exprimer, et le « changement », c’est là-bas qu’il va finalement commencer. "Chez nous, un tel changement ne serait pas possible", commencent à répéter ceux qui se réfèrent systématiquement aux USA. "Chez nous, le changement a déjà commencé", serinent les proches de Berlusconi. C'est vrai, mais en pire. « No, we can’t », (non, nous, nous ne pouvons pas... [changer]) a en effet écrit Massimo Gramellini dans La Stampa de ce matin. Voici ma traduction de son billet. Certes, pour le comprendre, il faut être au courant de ce qui se passe…. dans "l'ailleurs" italien.
"Avec tous ses défauts, mais en Amérique, la démocratie est merveilleuse ; c’est pas comme ailleurs. Bien sûr, les candidats sont choisis après un dur apprentissage et ils ne montent pas en lice seulement quand ils sont sûrs de gagner(1), comme ailleurs. Bien sûr, pour le rite d’initiation à l’âge adulte, les étudiants passent la nuit dans des sacs de couchage devant l’écran géant de leur collège sans le réconfort des mamans et professeurs (ailleurs, cela arrive). Bien sûr, devant les bureaux de vote, il y a des queues kilométriques parce que, là-bas, on s’obstine encore à rester en file un par un, au lieu d’expérimenter les formes innovatrices de queues en accordéon, en éventail, modèle arrogance (« Vous, vous ne savez pas qui je suis ! ») ou format faux-cul (« Laissez-moi passer, je vous en prie, y a le feu chez moi et j’ai oublié mon fils sur le paillasson avec un lion qui crève de faim depuis des mois »), très diffuses ailleurs. Bien sûr, à Chicago, village perdu de l’Illinois, hier soir un million de personnes attendaient sur la place et la seule idée de ne pas pouvoir les tenir était terrorisante, tandis qu’ailleurs on n’en avait juste reçu deux millions et demi(2) (qui en vérité étaient deux milliards et demie, ou plutôt deux millions de milliards et demi) sans faire un pli. Bien sûr, là-bas le jeune candidat a vraiment l’air jeune, et le vieux candidat a vraiment l’air vieux, pas comme ailleurs, où les cheveux du vieux(3) repoussent et le jeune(4) vous coupe les bras.
Oui, avec tous ses défauts, mais la démocratie en Amérique est vraiment une démocratie. Pas comme ailleurs."
Une joie qui dégouline déjà un peu... Mais il paraît aussi, répètent certains médias, qu'aujourd'hui nous sommes tous un peu moins cyniques et tous un peu plus libres. Alors allez, allez ! Nous sommes sur la bonne voie. Vu qu'un vent frais, d'espoir, commence à souffler de l'ouest, il va bien nous en arriver quelques bouffées, qu'il faudra savoir saisir au vol... C'est sans doute de cela qu'on a peur ici. En attendant Bonne chance, Monsieur Obama ! Et faites de votre mieux.
(1) Avec la loi électorale actuelle, les électeurs n'élisent pas directement leurs représentants au Parlement. Ils peuvent seulement exprimer leur choix pour la liste d'un parti. Ensuite c'est le parti qui désigne, à son bon plaisir, les députés et sénateurs qui siégeront au Parlement.
(2) Manifestation à Rome du 25.10.08 d'environ 400/500.000 personnes dont les chiffres ont été exagérément grossis par le PD qui l'avait organisée.
(3) Berlusconi se fait régulièrement implanter des cheveux.
(4) Walter Veltroni, secrétaire du PD
Commentaires et Mises à jour :
Re:
Le cadre que tu dépeints semble immuable, en effet. Durant les années 80, il a soufflé un petit vent d'amélioration qui a abouti à Tangentopoli. Mais ça n'a été qu'un feu de paille bien vite étouffé par les élites du pays, de gauche comme de droite. Le lavage de cerveau à travers la télévision a fait le reste.
Ceux que je comprends mal, ce sont les jeunes, qui au lieu de se rebeller à cette stagnation qui leur barre la route, préfèrent se plaindre et dire que c'est la faute des vieux, rester chez la mamma où on va jusqu'à s'endetter pour qu'ils ne manquent de rien, accepter indéfiniment des boulots précaires et peu en rapport avec leur niveau d'études, ou se lancer dans des volontariats sans salaire qui somme toute permettent à l'Etat de ne pas faire son boulot. S'ils sont déjà vieux quand ils sont jeunes, imagine un peu ce qu'il seront plus tard. C'est la raison pour laquelle j'espère tant que les mouvements qui bouillonnent depuis trois semaines dans les universités continuent à bouillonner et qu'ils débouchent finalemment sur quelque chose. Il faudrait que les mal lotis et ce qu'il reste de la classe ouvrière leur emboîtent le pas, mais avec les chefs qu'ils se retrouvent....
J'imagine que tu dois être contente d'avoir quitté l'Italie. Moi, je dois dire que je n'en peux vraiment plus du fatalisme individualiste de ce pays où tu ne peux même plus avoir une conversation censée parce que les gens ont fini de penser, la tête désormais pleine de leitmotiv près à tout excuser et à tout justifier, à gauche exactement comme à droite.
Un exemple : hier soir le sujet du débat d'Annozero était le discours d'Obama. Obama, pour tous les habitants des USA, c'est une immense promesse de renouveau mêlée à l'inquiétude des conservateurs. Compte tenu qu'il a été élu par une majorité de jeunes qui aspirent à un changement, on pouvait s'attendre à un débat avec un bon nombre de jeunes à qui on allait donner l'occasion d'exprimer leurs désirs et leurs espoirs souvent réprimés par rapport à ce discours justement. Et bien non! Santoro, qui ne comprend plus rien lui non plus, avait invité un ancien ministre de Prodi, Bersani, Mentana, l'éternel journaliste de Canale5 (de Berlusconi pour les profanes) et Belpietro, l'ancien directeur de Il Giornale de Berlusconi. Ensemble ils ont passé deux heures à chercher le ver dans le fruit avec des airs entendus, et à prospecter une récession encore majeure due à ses idées socialistes et, parait-il, protectionistes vu qu'il a promis de combattre les délocalisations !!!! Tant de mauvaise foi et pas un mot sur l'Italie. Pour une émission qui se targue d'être de gauche, de dénoncer ce qui ne va pas et d'agiter les eaux troubles !!!!
Il y a des moments où on a effectivement envie de se replier sur soi et de se taire. Et c'est pourquoi je ne dirai rien sur la dernière vulgarité de Berlusconi dont tu es certainement au courant. A quoi bon ?
Faire des heures de queue à la questura, avoir le sentiment de ne pas avoir prise sur ce qui se passe dans le pays, se retrouver de temps en temps la risée de l'Europe, se consoler en mangeant une glace (la meilleur du monde, c'est sûr) ou en regardant un match de foot (de l'équipe la meilleur du monde, bien sûr), ce n'est pas ce que j'appelle profiter de la vie. Et c'est la tristesse, le manque d'espoir, la grisaille qui prennent le dessus...