Il s’agit d’un livre très important (et très facile à lire parce que passionnant), de ceux qu’il faut absolument lire ou avoir lu, non pas parce qu’il est supposé détenir tous les secrets d’un monde meilleur (encore qu’il en contienne quelques-uns), mais parce que loin des éternelles querelles entre gauche et droite, riches et pauvres, global et no global, religieuses ou autres, loin de tous les faux débats à la mode, on a tout à coup l’impression d’entrer dans un monde intelligent et humain où chaque notion retrouve sa vraie place avec l’importance qui est ou devrait être la sienne.

En matière d’économie, on imagine difficilement que l’Occident puisse apprendre quelque chose du Bangladesh, l’un des pays les plus pauvres au monde. Et pourtant, c’est là que Muhammad Yunus a créé le système du micro-crédit puis la Grameen Bank dont l’ambitieux objectif est de faire disparaître la pauvreté de la surface de la terre.

Ce livre raconte son histoire, partant de son enfance heureuse à Chittagong au sein d’une famille de commerçants aisés qui lui permet de faire des études universitaires, d’obtenir un diplôme en économie et d’aller parfaire ses connaissances aux Etats-Unis. Quand il rentre au Bangladesh il devient professeur d’économie à l’université de Chittagong qui a été la sienne. Mais, malgré sa bravoure et le rapport qu’il réussit à avoir avec ses étudiants, il se lasse tout à coup des manuels, des théories et de la vie académique qui ne lui permettent pas de comprendre les mécanismes qui engendrent et maintiennent la pauvreté des villages et des gens de son pays, et il décide d’aller les étudier de plus près, directement avec eux. Et, dans ce pays musulman, c'est surtout au sort des femmes qu'il va s'intéresser, parce qu'il en connaît le grand labeur et les énormes difficultés.

C’est ainsi qu’il finit par découvrir que, tout en travaillant du matin au soir, quelqu’un peut pâtir une misère sans issue parce qu’il lui manque 22 centimes, mais que ce n’est pas en lui faisant l’aumône de cette somme infime qu’on peut résoudre son problème. Il faut au contraire que toutes les personnes courageuses qui sont réellement désireuses d’améliorer leur situation (comme les mères pour qui nourrir leurs enfants est un problème journalier, par exemple) aient la possibilité immédiate d’obtenir un tout petit prêt qu’elles soient en mesure de faire fructifier et de rembourser, le regain d’espoir et l’acquisition de l’essentiel servant de stimulant pour une amélioration progressive.

Fort de cette certitude et avec l’aide de certains de ses étudiants, il réussit, en combattant un grand nombre de batailles aussi bien sur les plans local, national que mondial, à fournir une aide à 10 % de la population blangladaise (120 millions d’habitants), pour la plupart des femmes, les pauvres étant infiniment plus solvables que les riches (99 % des gens remboursent leur dette régulièrement), et étendre son réseau dans bon nombre de pays du Tiers-Monde et même dans certains pays occidentaux. 

Dans ce livre dont chaque ligne est précieuse, il y a cependant deux passages qui ont particulièrement retenu mon attention :

1) le récit des essais de transposition du système de micro-crédit en Europe (chap. 23), souvent freinés par le peu d’intérêt réel mais surtout par l’obstacle insurmontable des structures bureaucratiques qui place toute initiative non structurée dans le camp du travail au noir donc illégal.

1) l’ensemble de la Cinquième Partie où Mohammad Yunus fait part au lecteur de ses réflexions à propos de l’économie : sur le travail indépendant, le libéralisme et les objectifs sociaux, l’importance de remettre instruction et formation au second plan des urgences, le problème démographique, une interrogation sur le futur, mais surtout sur le fait que la pauvreté est une question dont les économistes ne s’occupent pratiquement jamais.

Cet ouvrage et l'immense effort qu'il raconte m'ont laissé une très forte impression, et près de deux mois après l'avoir terminé, deux questions continuent à tourner dans ma tête :

1) il semble que le libéralisme économique soit le seul moyen de permettre aux pauvres de s’en sortir, mais ici en Europe, continent industrialisé très structuré, il semble que le retour au libéralisme ne favorise que le riches, rejetant une population toujours plus nombreuse vers la pauvreté. Entre riches et pauvres et pauvres et riches, à quel niveau et à quel moment le concept de libéralisme commence-t-il à basculer en écrasant l’autre camp ?

2) Inversement, le binôme capitalisme-socialisme européen ou le communisme dans les pays de l’est ont sans l’ombre d’un doute permis un énorme bond en avant vers l’égalité des chances avec la garantie de droits inaliénables et d’un bien-être minimum. Mais à quel niveau et à quel moment ont-ils commencé à se transformer en structures paralysantes ?

A lire sans hésiter et même relire si c'est déjà fait !

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