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France : Quatre femmes musulmanes reprochent à la gauche son racisme à l'envers

Les évènements de ces deux dernières années, parmi lesquels on peut citer la guerre en Iraq et le problème de la « laïcité » en France, ont probablement modifié les opinions personnelles de bien des gens, mais encore plus dans notre monde occidental. Pour ma part, je n’ai pas échappé à cette tendance, et si le problème du voile me laissait pratiquement indifférente il y a encore un an, aujourd’hui, je suis carrément contre, car, pour les femmes, il s’agit d’une retour en arrière, et les nouvelles convaincues ne sont que le résultat d’une manipulation politique. Il y a déjà un certain temps que je voulais m’exprimer dans ce sens, mais je ne trouvais aucune solution, aucune prise de position sensée à laquelle me raccrocher, mais seulement des banalisations ou des généralisations irréfléchies. Finalement l’occasion m’en a été donnée par l’interview de quatre femmes musulmanes, quatre femmes qui n’ont pas peur d’affronter la « question des valeurs », et la question politique, et demandent à la gauche française de donner plus de valeur à la pensée des « musulmans laïques ». Il s’agit de Nadia Tazi, philosophe, Wassyla Tamzali, avocate (ancienne présidente de la Commission des droits des femmes de l’UNESCO), Tewfik Allal, syndicaliste, et Chahla Chafiq, écrivaine iranienne réfugiée en France, toutes signataires du « Manifeste pour la Liberté ». Voici ma traduction des déclarations que ces quatre femmes ont faites au journal italien Il Manifesto. C’est un peu long, mais pas du tout ennuyeux, et je n’effacerais pas la moindre phrase.

 

Nadia Tazi

Pour schématiser grossièrement, il s’agit d’une affaire très complexe. Dans la gauche française, il y a eu, de façon contemporaine, des contradictions et une confusion des principes fondamentaux. D’un côté, la lutte contre le racisme dans une société post-coloniale qui devait se mesurer avec l’extrême droite redécouvre la lutte contre l’exclusion (économique, politique, etc.) et contre la non-reconnaissance de « l’autre ». Une situation qui, à son tour, rappelle le mal-être identitaire du pays tout entier qui trouve, comme cela se passe souvent, une issue dans l’école. De l’autre, il y a la lutte contre les discriminations sexuelles, dont le voile islamique est l’effigie, et au-delà de tout ça, l’opposition à l’islamisme, perçu comme idéologie dangereuse dans le contexte international post-11septembre.

C’est une question de culture politique. Pour l’extrême gauche en particulier (polarisée sur la violence du capitalisme globalisé et sur les « exceptions culturelles »), il ne faut pas repousser des jeunes filles déjà mises de côté et victimes du racisme comme du sexisme juste quand le gouvernement de droite porte en avant une offensive néolibérale et sécuritaire. Pour les autres, la « religion de la laïcité » française devrait être revue par rapport aux mutations politiques contemporaines mais aussi par rapport aux principes sur lesquels elle se fonde (Condorcet et la liberté de conscience).

Cela ne renvoie pas seulement à une question des valeurs. Beaucoup ont contesté le moyen mais aussi la fin, retenant qu’une question qui concerne les coutumes et les mentalités ne peut pas être résolue de façon autoritaire par une loi. Le moyen juridique est inadéquat, sinon dangereux, puisque il configure un antagonisme entre l’Islam et la République. Dans l’autre camp, - ceux qui sont favorables à la loi -, nombreux sont ceux qui considèrent que l’Islam en tant qu’idéologie politique doit être combattu, et faisant valoir leur expérience dans les banlieues, ils pensent que la question du voile annonce d’autres récriminations (sur la piscine, la dispense des leçons de sciences naturelles, la séparation des sexes dans les hôpitaux, etc…), ou, plus généralement, l’affiliation à un mouvement extrémiste global. En ce qui concerne l’école, il faut conserver l’objectif d’une même institution pour tous. On a donc vu une question relativement classique pour les féministes, - qui a déjà été le sujet de débats aux USA et en Inde par exemple ( sur l’intersection féminisme/racisme) -, se fixer d’un côté sur les problèmes énormes de la faillite du modèle d’intégration « à la française », sur la laïcité (autre singularité française) et sur l’école (crise de l’autorité) . De l’autre, même si cela peut sembler local, ce cas ne peut évidement pas être dissocié de la question géostratégique de l’Islam d’aujourd’hui (affrontement des cultures, guerre en Iraq et au Moyen-Orient, etc…). Et ici encore, il y a eu des appréciations diverses de la gauche, selon les sympathies, les prismes sociaux-démocrates, les alter mondialistes, les libéraux, etc… Si la question du voile a assumé ce caractère passionnel, c’est parce qu’il soulève cette complexité avec des sentiments mêlés, une masse de « non-dits », d’ignorance, de mal-être et de zèle réactif, éléments qui vont tous au-delà de la division droite/gauche.

Le débat qui a été beaucoup moins perçu, c’est celui qui a eu lieu au sein des musulmans eux-mêmes, et qui n’a pas seulement opposé croyants et incroyants, conservateurs et progressistes, identitaires et assimilés, Français et Maghrébins, mais, plus radicalement, ceux qui veulent tracer une véritable frontière politique contre l’intégrisme et ceux qui, passivement (par conformisme sunnite, par « fraternité » ou par complexe identitaire) perpétuent une continuité entre Islam (culture ou religion) et islamisme.

Il faut exiger de la gauche qu’elle cesse de manifester en faveur d’un « Tiers-mondialisme » obtus, aux sentiments ambigus à l’égard des démocraties musulmanes, perçues comme trop occidentalisées et pas assez représentatives, alors qu’en même temps, elles ont tendance à fermer les yeux sur l’intégrisme.

 

Wassyla Tamzali

Moi, je revendique le droit de parler comme une personne de culture musulmane, j’utilise le terme « islamique » pour ceux qui sont religieux. La gauche nous exclut également en tant que musulmans laïques, refuse de donner une légitimité à notre voix. Ensuite, il y a un second point : la question du racisme à l’envers de la gauche européenne qui refuse d’accepter que l’Islam fasse partie de l’Histoire de la pensée et qu’il puisse être soumis à l’évolution de la pensée. L’Histoire finit où commence l’Islam. C’est comme si on disait que les droits de l’homme sont un concept qui a sa raison d’être seulement entre l’Oural et la rive nord de la Méditerranée.

Ce racisme à l’envers part d’un bon sentiment : remplir le déficit de solidarité, souligner l’égalité entre les cultures, mais il un effet inverse, celui de mettre cette culture dans un lieu hors de la pensée. De cette façon le processus de résistance est exclus de la pensée, quand, à mon avis, l’unique approche solidaire dans une situation de mondialisation, est au contraire la résistance à travers des groupes de cultures différentes.

 

Tewfik Allal

Même dans le cas de la polémique sur le voile, l’écart existant entre les organisations de gauche et l’immigration a émergé, et ce n’est pas la première fois. C’est comme si dans le discours politique de gauche, même dans sa partie humaniste, on utilisait le miroir de l’immigration pour alimenter son propre discours. L’Extrême gauche et la gauche disent : « Regardez ce que nous avons fait à cette communauté avec le racisme et l’émargination sociale. » Mais nous qui venons de là, nous avons aussi nos exigences de liberté par rapport à nos pays d’origine. Il faut remettre en cause le discours de la gauche basé sur la victimisation, parce qu’en suivant ce chemin, une série de citoyens se sont retrouvés sans voix politique. Les Islamistes sont arrivés dans ce désert, et ils l’ont rempli.

 

Chahla Chafiq

Il s’agit d’un rapport de force. Il y a la crise sociale et politique qui explique le succès de l’islamisme, à cause des problèmes de l’exclusion et de la chute des idéologies qui se voulaient progressistes. Le vide a été rempli par des alternatives identitaires, d’extrême droite d’un côté, islamiste de l’autre, qui appartiennent l’une et l’autre au fascisme.

Il y a une crise du sens des valeurs qui fait que ces valeurs – les droits de l’homme, les droits de la femme, le progrès social -, ne sont plus défendus avec la force d’un temps. L’Iran a été le laboratoire de tout cela. C’est l’Islam révolutionnaire qui a gagné, qui se voulait juste, égalitaire, des éléments qui maintenant sont présents dans l’islamisme européen : la lutte des opprimés, la lutte anti-corruption, les questions morales. Mais en suivant cette logique, on arrive à l’alternative communautaire, à l’Islam comme religion qui devient source des lois sociales. Même si en Europe il est impossible qu’elles aillent aussi loin, il ne s’agit pas d’un fantasme : à Ottawa, il est possible d’appliquer la loi islamique pour les musulmans. Au cours de mon travail dans les banlieues, j’ai constaté qu’on commence avec le voile, puis on en arrive aux absences aux cours de natation, puis aux leçons de biologie. C’est tout un ensemble. Un pas après l’autre, on va vers la construction alternative communautaire. A travers mon travail avec l’immigration, j’ai pu voir à l’œuvre les mécanismes qui permettent le développement d’une utopie fascisante basée sur l’identité, avec pour base la tradition patriarcale et, par conséquent, la question de la femme au centre du projet. Ce n’est pas un hasard si le voile est le symbole de cette stratégie.

 

Nadia Tazi

Les uns et les autres savent que cette frontière qui est transnationale et divise aussi la gauche, passe par la question de la condition féminine. Sur ce point, le problème est faussé, parce que les Françaises voilées peuvent toujours se réfugier derrière les lois de la République qui garantissent leurs droits. Elles ont beau jeu de suivre Tariq Ramadan et de se dire libres, modernes, instruites, etc. La mauvaise foi émerge quand on prend la mesure de la gravité du problème : désaccord Orient-Occident sur la condition féminine, absence de d’historisation des Ecritures, énorme passif politique dont les populations émigrées ne se sont pas libérées et qui dévastent les rives de la Méditerranée.

 

Wassyla Tamzali

Que signifie le voile ? On l’admet, sans distinction, comme un signe religieux. Mais ça , c’est déjà grave pour une gauche qui se prétend politique. Du reste, avec la crise des otages, nous avons eu la preuve que le voile est un acte politique. L’année dernière, le jour de la rentrée, 1200 jeunes filles s’étaient présentées à l’école avec le voile, cette année il y en a eu seulement 72. Les organisations islamiques politiques qui manipulent ces jeunes filles ont eu peur de passer les bornes et de faire porter à l’ensemble de la communauté islamique le poids de l’éventuel assassinat des deux journalistes. Il faut que le gauche comprenne que le voile est un acte politique auquel on doit répondre par un acte politique. Comment est-il possible qu’une gauche qui se dit féministe accepte de voiler les femmes, reniant toute la lutte politique sur les droits et sur ce lieu d’oppression des femmes qui est leur corps ? A mon avis, la gauche n’a pas compris l’ampleur du problème. Le voile n’est pas un signe de culture anthropologique mais un signe de culture politique, et moi, je n’accepte pas une culture politique qui discrimine les femmes. Avec des raisons qui semblent être de bon sens on tue la résistance. Paul Ricoeur parle de tolérance, mais alors cela signifie qu’on tolère que les gens se trompent, et ceci relativise la position qui soutient que l’oppression des femmes commence par l’oppression de leur corps. C’est ainsi que la gauche est en train de relativiser toute sa lutte.

 

Tewfik Allal

La question du voile ne concerne pas uniquement les musulmans, c’est un problème qui concerne tout le monde, qu’on le veuille ou non. La gauche tombe dans la realpolitik, ce qui, pour finir, signifie qu’elle adhère à l’hypothèse de l’affrontement des civilisations.

 

Wassyla Tamzali

L’égalité est basée sur des normes, il ne faut pas l’oublier. Il est faux de dire qu’on peut tout faire et n’importe où. L’Europe s’est battue pour cela. Il faut travailler pour ouvrir une voie dans l’alternative entre égorgeurs et occupants, entre Islamistes et Bush.

 

Tewfik Allal

La troisième voie doit être intransigeante sur le thème de la liberté qui n’est pas négociable, en particulier sur l’égalité des droits hommes-femmes. C’est une borne qui doit est inamovible, dans le cas contraire toutes les autres luttes sont foutues. On nous dit que l’égalité hommes-femmes est secondaire ? Pour nous qui venons de cette culture-là, c’est une question centrale de la politique. Il faut que la gauche se prononce là-dessus.

 

Chahla Chafiq

En Iran nous avons compris le danger. L’Idée d’un « peuple musulman » est une construction factice. En effet, les divisions sont tout de suite apparues au grand jour, tout de suite après la révolution. Le « peuple musulman » n’existe pas, pas plus que le « peuple catholique », ils sont tous divisés par des rapports de classes et de sexe.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 28 Septembre 2004, 17:41 dans la rubrique "Actualité".
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Commentaires et Mises à jour :

PierreDesiles
09-10-04 à 16:34

Cadeau à domicile

Cadeau pour toi, ImpasseSud

 

Merci pour ton passage sur The Sun, ImpasseSud, tu as choisi la 8ème photo et ça tombe sur le troupeau. J'ai donc amené jusqu'à toi ces deux éléphants de deux tons de beige, comme tu sembles les préférer.

J'ai choisi aussi cet article, car tu parles des femmes qui osent s"exprimer dans un contexte difficile et cette tribune méritait mieux que le silence!

à bientôt


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ImpasseSud
09-10-04 à 18:01

Re: Cadeau à domicile

Pierre, un grand merci pour ce geste délicat :-) Là, je te reconnais bien :-). Et si quelqu'un vient cliquer ici, cela lui donnera l'occasion de découvrir ton merveilleux voyage en Inde.

C'est vrai, ici j'aurais aimé avoir au moins un commentaire ciblé : j'aurais pu le faire moi-même, mais je ne voyais pas ce que j'aurais pu ajouter. Le travail accompli par ces femmes parle de lui-même. J''aime toutes les femmes courageuses, et je me fais toujours un immense plaisir de faire connaître leurs gestes autour de moi.


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Incognito
06-03-05 à 20:22

Lien croisé

Soleil des îles - L'Inde du marbre en art (21) : " Entre mer et maquis - France : Quatre femmes musulmanes reprochent à la gauche s : " Pierre, un grand merci pour ce geste délicat :-) Là, je te reconnais bien :-). Et si quelqu'un vient cliquer ici, cela lui donnera l'occasion de découvrir ton merveilleux voyage en Inde. C'est vrai, ici j'aurais aimé avoir au moins un commentaire ciblé : j'aurais pu le faire moi-même, mais je ne voyais pa"

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Incognito
05-04-05 à 18:46

<p>Je crois au contraire avoir bien compris le billet, et j'ai lu le lien que vous m'avez suggéré.</p><p>Je suis d'accord avec vous sur le fait de prendre en considération les "musulmans laic"( et ceux qui ne le sont pas? Faut-il les ignorer?) Mais ques ce qu'un musulman laic? Pour moi ce genre de personne ne sont pas musulmane car elles le sont juste de nom et , ou peut etre de traditions(qui sont en général mauvaises)</p><p>Par contre je reste sur ce ke que j'ai dit dans mon prédédent commentaire, avant de porter un jugement, pour qu'il soit objectif, il faut s'etre documenté..Pourquoi le porter? D'ou ca vient? Coutumes ou enseignement? Obligation? etc...</p><p>Le voile n'est ni  un " retour en arrière" comme vous l'affirmé, et ce n'est ni le "résultat de manipulation politique".</p>

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