Il y a quelques jours, la perte d’un carnet d’adresses causait une certaine douleur ici. Je ne peux m’empêcher d’être d’accord. Le baume que l’on proposait, tiré de la plus saine des logiques qui veut que ceux qui tiennent vraiment à vous finissent toujours par vous appeler, par faire le premier pas face à un silence inexpliqué et inexplicable, n’est cependant qu’un pis-aller. Un carnet d’adresses, c’est tellement plus qu’une liste de numéros de téléphone. Un carnet d’adresses, surtout s’il est vieux, c’est l’histoire d’une vie.
Sa forme déjà : qu’on le choisisse ou qu’on vous en fasse cadeau, ce n’est jamais n’importe quoi. Gros ou petit, classique ou exubérant, terne ou coloré, on en a souvent deux ou trois. Mais l’un d’eux est spécial, irremplaçable. Patiné ou écorné, raturé ou ordonné, sa fidélité au poste est sa condition innée, son existence un point de repaire nécessaire.
Personnellement, j’en ai trois. Un tout petit avec l’essentiel immuable, presque une ruine, qui ne quitte pas mon portefeuille; un deuxième en meilleur état parce que plus récent, élargi à la sphère professionnelle, qui ne quitte pas mon sac à main. Et le troisième…. Le troisième est imprésentable. D’un bleu délavé, gros comme un agenda, il est truffé d’adresses, de numéros de téléphone, et maintenant d’adresses e-mail. Gonflé comme une outre au niveau des pages de garde, mais aussi auprès de la lettre qui les concerne, en plus des numéros que j'ai pensés à noter, il recèle des dizaines de menus billets, blancs, bleus, gris ou de la couleur qu’avait sous la main celui qui les a écrits, parfois au dos d’une feuille publicitaire, coupés nets ou déchirés en hâte, écrits au stylo ou au crayon, des cartes de visite en tous genres, des fax qui résument un ensemble de possibilités, des billets de caisse, des dos d’enveloppes à la colle jaunie et à l’écriture différente, selon la nationalité…
Bien sûr, là-dedans mes amis les plus chers ont une place d’honneur, mais il y aussi l’histoire des déménagements des membres de ma famille. S’y ajoutent, - c’est indispensable -, l’adresse du plombier, ou plutôt des plombiers qui se sont succédés, et celle de mon dentiste préféré, mais personne n'a effacé celles de bons restaurants aujourd’hui disparus. Il y a l’adresse de ces personnes, si loin de chez nous, qui nous ont reçus avec tant de chaleur, et encore celle des ces deux vieilles demoiselles qui avaient vécu la guerre; celles des professeurs avec qui j’ai dû plaider la cause de mes enfants, celles de leurs copains et copines de chaque moment; celle de cette ancienne correspondante du bout du monde; celle d’une cousine par alliance qui raisonne comme moi et avec qui j'aime tant parler; celle d’un attaché consulaire dont la femme aujourd’hui décédée savait si bien servir de mère aux expatriées dont je faisais partie. Il y a celles des hôtels et des hôpitaux de passage, celle de la famille dont le chien, sur cette île lointaine, avait mordu mon aîné; celles des endroits où j'ai travaillé et celles des élèves à qui j’ai enseigné le français; celle de cette ferme où la patronne nous servit des repas dignes d’un grand chef, mais où mon second tomba dans la fosse à purin ; celle d’un simple copain de lycée, personnage plutôt discret devenu dentiste, dont j’ai appris la religion après qu’il ait émigré en Israël; celle de ce lieu où nous avons passé de si merveilleuses vacances. Mais aussi celle de Jo-Anne qui a partagé mon tour d’Europe, celle de cette association dont l’activité m’a émue…. Sans oublier ces numéros sans nom ni adresse, à l’importance éphémère et qui conservent désormais leurs secrets.
Combien d’adresses sont encore bonnes ? Sous cet agenda, un autre agenda, tout neuf, où je serais censée tout recopier, tout mettre en ordre. Mais je ne suis pas pressée, il attendra encore longtemps. Il me faudrait faire un choix, éliminer une partie de la mémoire d’une vie, et, en plus, répondre « Non » ou « Je ne sais pas » quand, à bout de ressources et après bien des années, on vient me demander : « Tu te souviens de…. ? Par hasard, aurais-tu conservé son adresse ? »
Mot-clef : Société
Commentaires et Mises à jour :
Re: et voilà
Heureusement qu'on en garde une bonne partie en mémoire! :-)
La vie étant parfois tellement bizarre, qui sait si un jour ton sac perdu ne te reviendra pas par la poste. Cela m'est arrivé un fois pour un appareil de photo oublié dans un restaurant. En attendant, tu peux en recommencer un, sans perdre de temps, en y mettant tout ce dont tu te souviens.... et merci pour ton lien :-)
Re: Re: et voilà
Il y a quelques mois, j'étais à la recherche d'un carnet d'adresses!
...
J'ai pris ... des mois pour trouver celui qui me convient!
Et à vrai dire, j'en ai deux.
Ils sont jumeaux.
Si j'en perds un, je peux compter sur le deuxième :-)
Lien croisé
Re: Re: Re: et voilà
Tgtg, comme je comprends les difficultés de ta recherche! C'est si important! :-)
Tout en écrivant mon billet, je pensais au côté éphémère des "carnets d'adresses" d'aujourd'hui, sur portables ou PDA... Quel manque de romantisme!.. Et puis, quand on pense à la précarité de ce type de matériel...
Re:
Re:
Florence : il me semble qu'un carnet d'adresses raconte parfois plus de choses qu'un journal intime.
Alice : l'expo dont tu parles ne me dit rien, mais moi aussi j'aimerais en savoir plus. Par contre, il me semble avoir vu le début d'un film à ce sujet...
et voilà