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Cavanna François, « Les Ritals » (1978)

Il s’agit d’un beau livre, de ceux qui vous tiennent chaud au cœur. C’est presque avec une sorte de tendresse que je caresse ce vieux Livre de poche, déformé par la pluie qui arrive parfois jusqu’aux étals extérieurs où on expose les occasions. Quand je pense que je ne voulais pas le lire, croyant en savoir bien assez sur les immigrés italiens dont j’ai connu la dernière vague. Mais l’autobiographie partielle de Cavanna, le récit de ce qu’il a vécu, éprouvé entre six à seize ans, celui du « gosse de ce temps-là, avec ses exacts sentiments de ce temps-là », de 1929 à 1939 au sein de la communauté italienne de Nogent s/Marne va bien au-delà. Certains chapitres, on pourrait les réécrire aujourd’hui.

 

Issu de père italien et de mère française, son coup d’œil est incisif, terriblement aiguisé mais aussi extrêmement chaleureux. On se régale, on éclate souvent de rire. Entraînés par les récits spontanés de ce gosse au langage coloré et cru, on se prend réellement d’amitié pour ce François pour sa mère, cette louve morvandelle et impitoyable cassandre qui rêve de faire de son fils un employé des postes, pour ce Françva pour son père, ce maçon illettré à la main verte, toute bonté, ingéniosité et sagesse qui pleure de désespoir après sa fugue.  

Entre l’école d’un côté où il est en avance mais où la sévérité des maîtres n’apparaît pas comme une injustice, et la communauté pur-rital de l’autre où il ne se rend pas compte que ses parents sont pauvres, intelligent, sensible, malin, espiègle, curieux et passionné de lecture, il vit avec les enfants de son âge toutes les étapes de l’enfance et de l’adolescence, avec ses découvertes, ses joies, ses enthousiasmes, transformant tout naturellement ses désirs insatisfaits grâce à un esprit débordant.

A travers son regard d’adolescent et dans un désordre où s’emmêlent présent et passé, Cavanna nous raconte aussi la vie nogentaise et la politique française de cette époque-là, l’emprise cléricale, la reprise des airs fascistes, la montée de l’Action française et des Camelots du Roy, celle de l’antisémitisme et du racisme (les immigrés italiens, les plus nombreux, sont pris de mire), où, pour affronter le problème du chômage, le gouvernement n’hésite pas à avoir recours à la chasse aux boucs émissaires, avec les expulsions arbitraires et les annulations des permis de travail et de séjour.

 

Ce qu’il y a de très drôle, c’est que je n’ai pas commencé ce livre par le début, comme encouragée par Cavanna en personne qui, dans son récit, suit, non pas un ordre chronologique (il n’y a pratiquement pas de dates), mais les caprices de sa mémoire : « C’est comme ça la mémoire, ça va ça vient ». Tout le monde peut en faire autant. J’ai été enchantée par le naturel de ces récits d’un gosse, désopilants pour certains, mais surtout rafraîchissants et débordants d'affection et de joie, sans les raisonnements savants, exaspérants et prétentieux des gosses d’aujourd’hui. Et pourtant quel esprit éclairé, vif, savoureux que celui de François Cavanna !

 

Depuis que je l'ai terminé, cependant, et encore plus depuis qu’hier à la télé j’ai entendu un pédiatre expliquer pourquoi un enfant, à Carnaval, choisit tel déguisement plutôt que tel autre (inutile de dire que j’ai immédiatement changé de chaîne), je n’arrête pas de penser à l’éducation ahurissante, programmée, forcenée, privée des joies de la découverte spontanée, qu’on impose aux enfants d’aujourd’hui. Quand donc remettra-t-on en question le harcèlement de nos discours d’adultes, avec nos réponses d’adultes à des questions qu’ils n’ont pas encore eu le temps de se poser, avec nos explications d’adultes à nos problèmes d'adultes qu'on prétend qu'ils comprennent, avec nos conditionnements d’adultes ? Quand donc en finira-t-on de leur voler leur enfance ?

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 24 Février 2006, 16:06 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

Alex
24-02-06 à 16:52

C'est un très beau texte et qui donne vraiment envie de lire le récit. Merci

 
ImpasseSud
24-02-06 à 16:56

Re:

Alex, bienvenue ici et bonne lecture !


 
Marco-Bertolini
26-02-06 à 21:41

J'ai lu ces Ritals il y a quelques années et j'en garde un souvenir chaleureux, celui d'une écriture humaine, profonde sous son apparente naïveté.   Et en tant que Rital, je retrouvais bien certaines caractéristiques du monde italien de Belgique.  Evidemment, il y a des différences, mais le racisme ordinaire, la chaleur des foyers modestes, la saveur particulière de la pasta, tout ça, ça me parle évidemment.  Tu m'as donné envie de le relire...

 
ImpasseSud
27-02-06 à 10:01

Re:

Moi qui désormais suis aussi Italienne de coeur, ce que j'ai énormément aimé dans ce livre, c'est ce regard d'enfant exempt de tout préjudice. Et cela, je suis bien placée pour savoir que c'est extrêmement précieux. 
Par contre la pasta y est bien peu à l'honneur vu que chez les Cavanna la mère est française et qu' "on mange français". A la place du minestrone, son père doit se contenter, chaque soir, de la soupe aux légumes où, même si on y a ajouté des coquillettes, il est contraint d'ajouter du pain afin que la cuillière puisse tenir debout.

 
avanaé
04-04-06 à 15:50

Bon souvenir !

Ah , je l'ai lu et relu , il y a si longtemps , que c'est un plaisir de lire maintenant un oeil tout neuf dessus !

C'est vrai , certains passages , n'ont pas vieilli .Et , puis même ce qui a vieilli , reste si vrai par ailleurs , que ce bouquin restera à lire encore longtemps , j'espère .

A bientôt .


 
ImpasseSud
05-04-06 à 06:36

Re: Bon souvenir !

Moi, je l'ai laissé près de 4 ans en attente avant de me décider, mais il est fort probable que je le relirai un jour ! :-)
A bientôt.


 
kana
02-11-06 à 15:54

bjr moi je n'ai rien compris  à ce livre pourtant le contexte m'avais beaucoup interesser donc si vous voulez bien me l'éxpliquer je vous en serai reconaissante  merci et à bientôt.


 
ImpasseSud
02-11-06 à 18:05

Re:

Bonjour kana,

Expliquer le livre de Cavanna ? D'une part, on a un contexte historique qui est celui de la France d'entre les deux guerres mondiales avec la montée de deux tendances politiques opposées (le socialisme qui culminera avec le Front populaire et l'extrême droite de l'Action Française) et son fort pourcentage d'immigrés, italiens à cette époque-là, qui essaient de sortir de la misère et de se faire une place, et, de l'autre, ce jeune François qui grandit au coeur d'une communauté italienne de la banlieue parisienne entre une mère française un peu cabocharde et un père italien, pratiquement analphabète mais tellement humain, dont il faut savoir saisir la façon de penser, savourer l'accent et les italianismes.

En effet, même s'il s'agit d'un récit de souvenirs d'enfance qui semblerait à la portée de tous avec ses histoires de gosses puis d'adolescents racontées dans un langage bien réel, tout à coup je me rends compte qu'il faut pas mal de connaissances préalables pour pouvoir vraiment l'apprécier, d'autant plus que Cavanna ne respecte pas l'ordre chronologique. Moi, tout d'abord je ne voulais pas le lire, puis je l'ai lu dans le désordre. Il y a une chose de sûre, c'est qu'il faut se laisser porter...

Plus que cela, je ne sais pas quoi dire. Tout dépend de l'âge que vous avez et du contexte de votre existence. J'ai sans doute aimé et compris ce livre parce qu'aujourd'hui je vis en Italie, mais l'aurais-je aimé et compris avant de venir y habiter ?

Ai-je répondu à votre question ? A bientôt :-)


 
kana
03-11-06 à 18:38

Re: Re:

merci pour votre reponse je vis ds le sud de la france et je me rend conte jour apres jour des discriminations qui existent en france si puviez me faire 1 résumé rigoureu de cette histoire touchante peut-être que je le comprendrai d'avantage!

en attente d'une reponse de votre part je vous remercie d'avance


 
ImpasseSud
04-11-06 à 09:08

Re: Re: Re:

Ce livre étant un recueil d'un tas de souvenirs disparates situés dans une période de l'histoire bien spécifique et bien spécifiée, le seul résumé que l'on puisse en faire, c'est celui que je vous ai fait dans le premier paragraphe de ma réponse, mon billet étant déjà plus qu'explicite.

> je vis ds le sud de la france et je me rend conte jour apres jour des discriminations qui existent en france
Je me trompe peut-être, mais auriez-vous un devoir à rendre ? ;-)? Si c'est le cas, on vous demande sans doute de faire un parallèle entre les discriminations infligées aux immigrés italiens par la France de l'époque (dont le livre de Cavanna fait un tableau exceptionnel parce que dénué de haine ou de ranceur) et celles que la France d'aujourd'hui inflige à ceux de notre époque, mais aussi entre la façon de réagir des immigrés italiens de l'époque et celle de ceux d'aujourd'hui. 

Donc, si c'est le cas, j'espère vous avoir été utile et je vous souhaite bon courage dans votre recherche. Si non, vous pouvez laisser ce livre de côté, car on n'est pas obligé d'aimer tout ce qu'on lit. :-)

Bien amicalement


 
dankst
17-04-08 à 00:24

ce livre est aussi le regard dun enfant sur le monde



Bonjour à vous,

Les ritals est mon livre de chevet depuis sa sortie...nous sommes en 2008…

Mais est-ce que "ce blogg" est encore en activité ? Dernier message laissé en 2006.

 En tout cas, en plus des remarques judicieuses de vos discussions, (...témoignage d'une vie d'un petit émigré...de Nogent..) mon avis est que ce bouquin est aussi un regard sur le monde des adultes à travers un marmot, qui semble parfois dire ce qu'il pense à l'âge où il a vécut cela.

 Est-ce qu'il y a un livre qui "sonne aussi vrai" que celui là sur ce sujet ?

 Lire Cavanna est pour moi un vrai bonheur, et je suis fort content que cet auteur trouve beaucoup de succès. Tous ces bouquins autobiographiques ( Ritals puis Les Russkoffs, bête et méchant, les yeux plus gros que le ventre,...) valent le détour.

 Ce bonhomme a fait de plus un sacré bout de chemin (a co-créé Hara Kiri et autres publications) à une époque où il n'était pas facile de s'exprimer par rapport à la moralité, la religion, et le pouvoir politique qui contrôlait de façon abusive les médias.

Cavana dans son écriture, vous fait aussi complice de ce qu'il ressent et ce qu'il écrit. Je rejoins un autre sacré bonhomme, Desproges, qui disait à peu près (je ne me souviens plus des mots précis) "Que la seule chose qui l'empêcher de demander Cavanna en mariage... c'est que Cavanna était un homme"

Moi aussi j'admire cet écrivain et ce sacré bonhomme, qui avec tout ces travers humains avoués est si touchant, si…humain.

Bravo Cavanna, n'arrêtez pas d'écrire. Vous êtes la voix de l'enfance, vous êtes la voix de ceux qui se révolte contre ce monde adulte cruel et fou (combien de guerres, de morts, d'innocents tués, de souffrances faîtes aux autres par nous hommes civilisés du XX et maintenant XXI siècles ?

Bon j'arrête là, je dérape, et bien à vous,

Daniel

 

 
ImpasseSud
17-04-08 à 09:09

Re: ce livre est aussi le regard dun enfant sur le monde

Daniel,

Merci pour ce commentaire sympathique et enthousiaste. Vous venez de me donner l'envie de lire d'autres oeuvres de Cavanna. Ce qui me plaît aussi beaucoup chez cet écrivain, c'est la position qu'il a prise en matière de défense de l'orthographe de la langue française.
A part ça, bien sûr, ce blog est toujours en activité, même si un peu au ralenti. Il vous suffit de cliquer sur l'en-tête pour vous en rendre compte... ou, si c'est la lecture qui vous intéresse, de cliquer sur le mot-clef "Livres" pour feuilleter la liste de ceux dont j'ai eu envie de faire un billet.

Bien amicalement.

 
dankst
17-04-08 à 13:38

Re: ce livre est aussi le regard dun enfant sur le monde

Bonjour et merci de votre message.
Tout à fais d'accord aussi avec vous sur sa fouge à défendre la langue française, pouvant paraitre aussi paradoxal, lui enfant d'émigré, révolté contre tout, sauf pour la beauté de notre langue et le pouvoir fascinant de la lecture.
A ce sujet, j'ai pris le temps de parcourir vos lectures comme vous me le suggériez.
Chapeau, vous dévorez l'encre.
Je ne connaissais pas votre blogg, et je tiens à vous féliciter pour cela, votre démarche est fort sympa.
Bien à vous, bien à vous tous
Daniel

 
Anne Lise
17-05-13 à 09:43

Re: ce livre est aussi le regard dun enfant sur le monde

et quelques années plus tard... décidément ce Cavanna n'a pas fini de nous enthousiasmer.  Je referme à l'instant la dernière page des " Ritals" et une nouvelle fois je reste comme en apesanteur, encore un peu dans le Nogent des années 30, le sourire aux lèvres, des borborygmes italiens plein la tête, ecco...  je me rue sur le net pour en savoir plus sur l'homme. pour être sure de l'avoir bien lu, ne pas avoir loupé de messages cachés.  Je découvre votre billet et je bois du petit lait en lisant votre avis. Mais bon je suis en pleine fan'attitude. Je le suis d'ailleurs depuis que j'ai découvert " les yeux plus grands que le ventre" lu comme vous par hasard et dans le désordre. Quel plaisir et quelle claque, cette écriture "spontanée".
 Je suis curieuse néanmoins de connaître le sentiment des d'jeuns à la lecture de ce livre. moi je n'ai pas connu cette époque mais ça me ramène quand même à mes grands parents ( instituteurs! mais pas si vilains et gris et ventripotents, Monsieur Cavanna) à leur enfance, donc à quelque chose de plus ou moins familier. Les codes de la jeunesse sont si différents aujourd'hui. Est ce qu'un ado de 15 ans en 2013 comprend ce récit et le savoure autant que moi?