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La mort des libraires ? Ce n'est pas la faute d'Internet....

Au temps du lycée, je passais des heures dans la plus grande librairie, assez bien fournie ma foi, de la petite ville de province où j’habitais. Si le hasard me portait dans une grande ville, la plus grande librairie avait aussitôt ma visite. L’année de mes 16 ans, je me souviens d’avoir passé mes vacances de Pâque au « Furet du Nord » de Lille, ce qui inquiétait passablement ma grand-mère dont j’étais l’hôte. Pour moi, les librairies avaient une aura toute particulière, j’avais la conviction qu’elles possédaient les réponses aux multiples questions que, en bonne adolescente, je ne posais à personne. Bien des années ont passé, mais quoi qu’il en soit, je ne peux que constater que tous les livres que j’ai achetés à l’époque, entre classiques et sorties annuelles et sans que personne ne vienne guider mon choix, sont encore presque tous lus aujourd’hui. Avais-je donc un don de clairvoyance me permettant de savoir qui, de tous les auteurs à l’étalage, allait faire son chemin ?

 

Bien sûr que non. Alors il ne reste qu’à en déduire que les critères de sélection à la publication n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. D’une part, n’écrivaient que ceux qui avaient quelque chose à dire ou à transmettre, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. L’intérêt et/ou l’innovation du contenu étaient déterminants. Ensuite, les intellectuels de l’époque se sentaient sans doute investis d’un rôle important à jouer dans la société. On n’avait pas encore transformé l’édition en paris sur les ventes. Quand on pense qu’un cinquième de la production annuelle française de livres, soit 110 millions d’exemplaires, finit au pilon ! Sans compter tous les gens qu’on dégoûte, qu’on écarte, qu’on éloigne des livres à contenus (et dieu sait si le choix est ample et varié !|), en un mot, qu’on trompe sur le concept que renferme le mot « livre ». Je n’entrerai pas dans les détails, mais il existe aujourd’hui de nouveaux genres littéraires, divertissants, mais surtout factices, qui, s’ils font vendre des livres, ne transforment en aucun cas en lecteurs ceux à qui ils s'adressent, bien qu'on aime faire croire qu’il vaut mieux lire n’importe quoi que de ne pas lire du tout. Sans doute pour contrer la notion d’ennui souvent développée au collège, au lycée, par l’enseignement (mal présenté) des classiques. Mais c’est tomber de Charybde en Scylla, car, à mon avis, le véritable goût à la lecture ne peut naître que de livres transporteurs d’idées ou de connaissances, et je me retrouve tout à fait dans ces propos de Mario Vargas Llosa :

« Moi, je crois à l’engagement des intellectuels et à la validité de cet engagement, que ce soit d’un point de vue politique ou moral. Malheureusement, il semble que ce type de comportement n’ait plus prise parmi les écrivains émergeants contemporains. Les jeunes écrivains envisagent avec beaucoup d’ironie et beaucoup de sarcasme l’idée d’influencer l’histoire, de pouvoir changer la société. Quand j’étais jeune, quand j’ai commencé à écrire, nous avions dans l’esprit que la littérature pouvait aider à changer le monde à travers les idées. Au contraire, le comportement d’aujourd’hui est projeté vers le divertissement pur. Ceux de ma génération croyaient aux mots de Sartre qui disait « les mots sont des actes ». Aujourd’hui, au contraire, l’engagement intellectuel et moral est vu par les jeunes écrivains comme de la présomption, la présomption de vouloir changer le monde. Il est né une littérature soi-disant light, exclusivement comme passe-temps. Je ne crois pas à l’idée d’une littérature comme passe-temps, parce que s’il en était ainsi, elle serait condamnée, sans aucune possibilité de faire concurrence, par exemple,  aux moyens de divertissement par excellence que sont la TV ou les audio-visuels. Je crois au contraire que la littérature a le pouvoir d’enseigner la critique sociale, d’aider à décoder l’environnement dans lequel nous vivons, de créer une mentalité critique envers l’histoire et à travers l’histoire. Autrement, nous risquons de perdre la vocation au développement de la civilisation et de nous sentir comme des dinosaures. »

(Traduction de l'italien ImpasseSud)

Le fait est que j’éprouve beaucoup moins de plaisir qu’avant à entrer dans une librairie. J’en ressors bien souvent complètement saoule, presque invariablement les mains vides, ce qui déclanche en moi un sentiment de culpabilité. L’abondance, l’excès des publications, le débordement des étagères et des tables, les monceaux aguicheurs du ou des livres qu’on veut lancer, les classements arbitraires, le tape à l’œil, les dispositions vénales, les sourires enjôleurs des affiches publicitaires m’indisposent.

Comment s’y retrouver ? Comment séparer le bon grain de l’ivraie ? Je n’ose même plus demander conseil à propos des nouveautés car on me répond invariablement : « Ça, ça se vend bien », ou, quand je sais exactement ce que je veux, bien entendu un livre qui n’est pas forcément en tête des classements : « Oui, on vient juste de vendre le dernier. » Je n’en crois pas un mot. On me propose alors de le commander. Et bien, non, je n'ai pas envie de le commander, moi, j'avais l'habitude de trouver ce que je cherchais. D'autant plus, vu que c’est l’éditeur qui fait désormais la loi et non plus le libraire ses choix, qu'il y a de grandes chances qu'on me fasse attendre quinze jours… pour rien.

Seules les très grandes librairies m'attirent encore, on y a encore un peu le sens du lecteur. Mais tout le monde n'habite pas dans une grande ville.

 

Si bien que, même si je ne peux m'empêcher de jeter un coup d’œil dans le rayon librairie du supermarché ou dans un nouveau point de vente, - on ne sait jamais -, j’ai presque renoncé à entrer dans les librairies. J'ai commencé à rendre visite aux énormes « librairies » d'Internet, à naviguer dans cet immense choix multilingue. Bien sûr, on vous innonde aussi avec les fameuses « nouveautés », mais il est si facile de s'en écarter. Pour passer à l'achat, il m'a tout d'abord fallu étouffer la sensation de trahir, mais c'est l'impression de « manque » qui a fini par l'emporter. Mes scrupules oubliés, maintenant je fouine pendant des heures dans les méandres des étagères cliquantes, retrouvant enfin le bonheur d'autrefois, sautant d'un quatrième de couverture à l'autre, remplissant un chariot, puis faisant le tri, comme quand, ayant trop choisi, j'allais remettre quelques livres dans les rayons. Quant aux frais d’expédition, ici en Italie, ils sont bien souvent compensés par des réductions substentielles.   


A mon avis, ce n’est pas Internet qui tue les librairies, mais les éditeurs eux-mêmes, en publiant trop et n’importe quoi et en imposant leurs stocks, incapables désormais d'arrêter un mécanisme pervers qui n'améliore même pas leurs situations financières, éternellement précaires. Car, de la vache enragée, ils en ont toujours mangé, mais avant, ils évitaient au moins de couper l'herbe sous le pied de leurs meilleurs alliés, les libraires. Pour ma part, j'y ai sans doute gagné au change, mais au fond, tout cela me désole terriblement. Encore une profession, et des plus belles, qu’on est en train de tuer au nom de l'économie.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 6 Octobre 2006, 07:56 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

Alexandra
06-10-06 à 08:10

Très bon article et tellement juste. 
Merci. ça fait du bien de lire des articles tels que celui-ci dans la blogosphère.


 
ImpasseSud
06-10-06 à 08:29

Re:

Il s'agit d'un cri du coeur ! Et à moi, ça fait terriblement plaisir que tu aies laissé une trace de ton passage. Bonne journée ! :-)

PS. Je viens finalement de réussir à me procurer Il mestiere di vivere de Pavese, titre absolument introuvable en librairie.


 
ImpasseSud
08-02-07 à 18:07

Les librairies qui réagissent

Lire cet article dans Le Monde « Où trouver des livres moins chers ». La politique de la FNAC me semble plutôt étrange.


 
ImpasseSud
01-02-08 à 18:12

Un AFFRONTEMENT intéressant entre les librairies françaises et Amazon.fr

... qui veut conserver son droit d'expédition gratuite en métropole : Les libraires voient rouge