D’après les nouvelles directes que je reçois de là-bas et les nouvelles indirectes que je me procure (mes billets précédents 1-2-3), la situation n’est pas brillante. Malgré la fin, le 4 mars dernier, de la grève lancée par le LKP, il semble que l'accord Jacques Bino peine à être appliqué, les 200 € n’arrivent pas et la baisse des prix amorcée depuis deux jours frise le ridicule. Le Medef et la FNSEA restent sur leurs positions de négation, rien ne redémarre normalement, que ce soit au port, dans les hôtels et du côté du tourisme en général, dans l’agriculture (banane et canne à sucre en panne) où les conflits internes ne sont pas terminés. Dans le secteur public, si les transports et l’enseignement (avec des cafouillages) ont repris, dans l’administration il y encore des agitations. « Queue de conflit ou déstabilisation savamment orchestrée ? », se demande-t-on. Je me le demande moi aussi car j’ai l’impression d’assister à une sorte d’enlisement.
Du côté de l’Etat et de ceux qui détiennent les monopoles aux Antilles, il semble en effet qu’on ait tout fait pour que le poisson se noie tout seul, car l’important c’était, avant tout, d’empêcher à tout prix que ce mouvement de mécontentement gagne la métropole, et, ensuite, qu’on puisse croire que les capitalistes-requins étaient prêts à céder. Entre l’un et les autres, il y a le bloc des gens aux fins de mois décemment assurées, qui sont restés cois pendant deux mois, par peur de se compromettre, indifférence, ou en misant sur d’éventuelles retombées avantageuses, mais qui relèvent la tête maintenant que la situation s’est embourbée. Il y a d’excellents raisonnements dont il faut se méfier, et celui-ci en est un.
Dire que le LKP n’était qu’une petite minorité qui a pris toute une population en otage, c’est carrément vouloir oublier qu’il s’agit du regroupement, non pas de quelques excités, mais de 49 syndicats, associations et organisations dont aucun n’a fait volte-face en cours de route. C’est carrément oublier la vie 40% plus chère qu’en métropole, avec un SMIC identique et un RMI inférieur. C’est carrément oublier l’incidence du chômage à 29 % (45% chez les moins de 29 ans).
Dire que « tous » les médias font ou ont fait l’objet de pressions de la part du LKP ? Je n’en sais pas assez pour rétorquer, mais il y a trois choses indéniables : 1) dès le début des négociations, l’Etat, par l’intermédiaire de ses forces de l’ordre, a nié l’accès aux médias locaux (pétition de protestation) ; 2) très vite les puissances économiques sont passées au chantage contre RCI (pétition) ; 3) Si tous les médias racontent les mêmes choses (y compris les oppositions et les débordements), est-il vraiment impossible que, tout simplement, ce soit parce qu’ils racontent la réalité ? Ensuite, dire qu’il n’y a eu aucune possibilité de réplique, c’est oublier la focalisation massivement sélective de la presse nationale à propos des conséquences néfastes de la grève sur l’économie de l’île et sur les difficultés de la vie pratique sur place, comme si on parlait du passage d’un ouragan. Et quand on citait la requête des 200€, c’était avec le désir secret que cette requête s’étende à la métropole.
Bref, aux yeux des nantis, des petits encore plus que des grands, le bas de l’échelle a toujours tort, quoi qu’il fasse pour s’en sortir, protester, se défendre ou conserver un peu de droit au respect. Au mieux, on lui reproche ses façons de faire, les moyens de pression qu'il adopte, et l’assistantanat (inadéquat) dont on lui fait déjà l’aumône. Le seul droit qu’on lui accorde désormais, c’est celui de se taire, de devenir invisible. On va même jusqu’à lui demander de comprendre la crise des plus riches !
Dans une société civile qui se dire démocratiquement évoluée l’assistantanat est parfois une erreur, je suis d’accord, mais le chômage, le manque de logement, la vie chère sont de réelles injustices. Il y a une phrase qu’on entend très souvent, que moi-même j’ai employée pendant longtemps, mais que je viens de rayer de mes expressions : « Le scandale, ce n’est pas la richesse des riches, mais qu’il y ait autant de pauvres, de laissés-pour-compte ». Si je la renie aujourd’hui, c’est parce que la crise financière qui a éclaté à l’automne dernier tout comme la crise économique qui a commencé il y a déjà quelques années démontrent largement que la pauvreté des plus faibles est au contraire la conséquence de l’insatiabilité des plus riches, incapables de jamais se contenter.
Désormais les riches sont tellement riches que les grèves n’ont plus aucun pouvoir, mais les syndicats ne semblent pas vouloir le comprendre. Si on ne remet pas rapidement des limites au capitalisme, au libéralisme tels qu’ils sont aujourd’hui, ils pourront continuer à laisser pourrir les grèves, les récoltes, perdre des ventes, fermer des usines, des entreprises florissantes, etc., car, grâce à la globalisation, ils continueront à avoir les reins solides avec les gros profits qu’ils font déjà ou iront faire ailleurs.
Pour tous ceux qui le comprennent un peu tard, en France (tout comme en Italie d’ailleurs), les électeurs, dans un réflexe sécuritaire généré par la médiatisation de la peur, ont envoyé au Parlement une majorité décidée à défendre ce système. Donc, pour en revenir à la Guadeloupe, il ne faut pas trop s’étonner des réponses ambigües de l’Etat : « Les Guadeloupéens posent le problème de la ségrégation sociale et le gouvernement leur répond évolution statutaire. Au problème de la domination d’une communauté sur toute la population, il répond atelier sur la formation des prix. Face au racisme à l’embauche, il propose une réunion sur le dialogue social. Quand on veut noyer un problème, on crée une commission. On est dans une tradition bien française. On ne répond pas aux questions. » déclarait Elie Domota il y a quelques jours.
Plus que française, cette façon de répondre à côté est désormais de règle dans l’ensemble de la société occidentale. Qu’on en prenne conscience ! La seule arme possible contre les riches, c’est de réinventer un autre système, d’autres systèmes, indépendants, autonomes, solidaires, non plus basés sur la consommation mais sur les nécessités. Des systèmes qui les boycottent en quelque sorte, réduisent leurs profits en échappant à leurs monopoles.
Au G20, ça tiraille entre, Obama et Brown qui veulent plus d’aides, d’un côté, et, de l’autre, Merkel et Sarkozy (par désir de protagonisme, je suppose, vu son mode de vie et ses amitiés) qui veulent redonner une conscience au capitalisme. A mon avis, au point où nous en sommes et dans l’immédiat, l’un et l’autre sont nécessaires. Mais aux prochaines élections européennes, qu’on se souvienne, avant de mettre le bulletin dans l’urne, des catastrophes sociales, économiques, écologiques dans lesquelles nous ont précipité un capitalisme au service des plus riches et des moins scrupuleux, qu’on se méfie des beaux parleurs qui vous assure/vous assureront qu’il suffit de se lever tôt pour s’en sortir, pour réussir. Si c’était vrai, toutes les mères de famille seraient milliardaires !!!!
Pauvre Guadeloupe, j’ai donc bien peur que son trop plein d’injustices ait éclaté au mauvais moment, que les techniques de LPK soient un peu dépassées. Il ne reste plus qu’à espérer que dans les difficultés et avec les petits patrons qui, eux ont signé l’accord, les habitants, comme Obama qu’ils admirent temps, se décident à essayer de créer un projet différent, comme le souhaite son grand poète, Ernest Pépin, plus en accord avec ses particularités, avec l’Homme et la Terre.
Du côté de la Guadeloupe (1)... avec un poème,
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