Si Alice ne m’avait pas signalé ce livre, je ne l’aurais sans doute jamais lu. Des effets du premier bombardement atomique de l'Histoire, on imagine en savoir bien assez. Chacun a à l’esprit ses auteurs, le lieu et la date, le nombre approximatif des morts (100.000), notions auxquelles s’ajoute une très vague idée de la portée de la dévastation dans l’espace, mais surtout dans le temps. On en reparle chaque année le jour de l’habituelle commémoration ou lors des essais des pays qui possèdent la force nucléaire, puis on oublie car rien de précis ne s’accroche à notre mémoire. Ici, au contraire, le 6 août 1945 à 8h15 exactement, on entre de plein pied dans l’innommable bouleversement des vies de tous les jours de six habitants d'Hiroshima, dans le détail, comme s’il s’agissait de nos voisins. Les 6 survivants sont bien réels, 6 personnes parmi les milliers d’hibakusha (littéralement « personnes frappées par le bombardement »), appellatif discriminateur dont ils ont été très vite affublés, et dont le gouvernement japonais a refusé de s’occuper pendant 10 ans, ne se considérant pas responsable des dégâts causés par une autre nation.

C’est ainsi qu’on découvre Toshiko Sasaki, 20 ans, employée de bureau, qui, à l’heure de l’ « éclair silencieux », venait juste de tourner la tête pour bavarder avec sa collègue. Le Docteur Mazakazu Fujii, lui, était sur le point de s’installer sur la véranda de sa clinique privée donnant sur un des sept fleuves du delta qui divise Hiroshima, pour lire son journal. Le Père Wilhelm Kleinsorge était étendu, en slip, sur un lit de camp au troisième étage de la Mission des Jésuites, en train de lire une revue de son ordre. Hatsuyo Nakamura, la veuve d’un tailleur, observait par la fenêtre de sa cuisine un voisin en train d’abattre sa propre maison qui se trouvait sur la ligne coupe-feu. Le révérend Tanimoto, pasteur de l'Eglise Méthodiste, se préparait à décharger d’une charrette ce qu’il avait évacué du centre ville, par peur du bombardement auquel toute la ville, épargnée jusque-là, s’attendait cependant. Terufumi Sasaki parcourait un corridor de l’Hôpital de la Croix-Rouge, un prélèvement de sang à la main, sans savoir qu’il allait devenir le seul médecin vivant de tout l’hôpital.

Je n’en dirai pas plus. Il faut absolument lire ce reportage de John Hersey publié tout d’abord en 1946, mais qui fut complété en 1985, après que son auteur, 40 ans plus tard, soit retourné à Hiroshima à la recherche des six personnes dont il avait déjà raconté l’histoire. Terriblement prenant, dénué de toute agressivité ou propagande quelconque, c’est le genre de livre dont on ressort complètement dessillé, qui vous marque en profondeur, et où, au milieu du pire, on est surpris de trouver le meilleur et même un regain de confiance dans l'être humain. Le genre de livre qu’on devrait inclure dans tous les programmes d'histoire de tous les lycées du monde.

Mots-clefs : Asie, USA, Guerres, Planète Terre, Livres