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Journalistes....Sans revolver ni gilet pare-balles
--> par Giuliana Sgrena

Rome, 19 février 2005, 500.000 personnes"Le soir, quand je rentre à l’hôtel, un de mes amis iraquiens me demande en plaisantant : «Encore saine et sauve ?» Il est facile de plaisanter quand on laisse derrière soi une journée à Bagdad. Tout s’est bien passé, encore une fois. En Iraq tu penses sans arrêt qu’aujourd’hui pourrait être le dernier jour de ta vie.

Déjà au mois de juillet, durant mon précédent séjour, la situation s’était faite plus difficile pour tous les étrangers. A ce moment-là déjà, il ne servait presque plus à rien de se faire passer pour Français, dans l’espoir d’être épargné en tant que citoyen d’un pays qui n’a pas pris part à l’invasion. On ne faisait plus aucune distinction. A l’improviste, nous étions tous étrangers, tous Américains : hommes ou femmes, coopérants ou contractors, Anglais, Italiens ou même les Iraquiens qui collaborent avec les étrangers. Ils sont tous des objectifs pour les attentats suicides, les kidnappeurs, les bourreaux. Tout le monde a son prix : un million de dollars, ou le retrait des troupes étrangères, ou l’un et l’autre en même temps. Nous avons appris à affronter cette situation avec fatalisme.


« Tu as un révolver ? Un gilet pare-balles ? », me demande un Allemand rencontré dans l'un des bureaux d’un ministère iraquien. Il pousse un cri d’horreur quand je lui répond que non. Mais aussi parce qu’avec moi il n’y a rien à gagner. Cet Allemand fournit des maisons, des gardes du corps et un tas d’autres choses qui peuvent leurs servir, aux entrepreneurs qui viennent en Iraq à la recherche d’affaires avantageuses. Pour l’instant il n’a pas beaucoup de travail. Il dit qu’il veut partir en vacances. La majeure partie des hommes d’affaires s’est repliée sur Amman, la capitale de la Jordanie, dans l’attente des temps meilleurs. Beaucoup de journalistes sont partis, eux aussi, les risques pour leur propre existence sont trop élevés, il est trop difficile de se déplacer et de travailler. La Royal Jordan Airlines a deux vols par jour sur la route Bagdad-Amman, et les places sont toujours toutes réservées.


Comment se protéger quand on a décidé de ne pas confier sa vie aux armes ? Il faut suivre des règles très précises : se déplacer en essayant, autant que possible, de ne pas se faire remarquer, presque comme des clandestins ; modifier son programme plusieurs fois par jour ; changer de parcours ; renvoyer les rendez-vous ; éviter, si possible de rester bloqué dans le trafic. Et surtout ne dire à personne où on va. Nos amis iraquiens eux-mêmes nous conseillent de ne pas leur faire confiance : « Nous sommes des proies faciles au chantage », dit mon ami Kahled : « Si on menaçait ma famille ou qu’on enlevait mes enfants, je crois que je pourrais te trahir. Si nous devons nous rencontrer, dis-le moi juste avant le rendez-vous. Si tu ne peux pas venir, appelle-moi pour me faire savoir que tu es vivante ».
Peu à peu, ils sont en train de se rendre compte qu’ils sont coincés entre les occupants et les terroristes, qu’ils se trouvent au coeur d’un piège mortel. Un piège prédisposé pour chacun d’entre nous.


La peur d’être enlevé change complètement ta vie car aucune précaution ne peut empêcher que cela t’arrive. Il vaut donc mieux se préparer à toutes les éventualités, sans se laisser prendre par la panique. Le matin, avant de quitter l’hôtel, je fourre tout le nécessaire dans mon sac : médicaments, eau, quelque chose à manger. Mon argent, au contraire, je le laisse dans le coffre-fort de l’hôtel. Ensuite, dans mon ordinateur, je laisse quelques messages, au cas où quelqu’un viendrait me chercher, et, en même temps, j’essaie d’enlever tout ce qui pourrait porter sur les traces de ma recherche.


Se faire enlever n’est pas le seul risque qu’on court à Bagdad. Je me fie à ma bonne étoile, - les Iraquiens l’appellent Allah -, pour ne pas me retrouver au mauvais endroit au mauvais moment, là où une voiture bourrée d’explosif pourrait sauter. Il vaut mieux, également, se tenir à distance des convois militaires. Un geste maladroit et le mitrailleur aux aguets sur un véhicule blindé ouvre le feu à volonté.

Entre un rendez-vous et l’autre, je jouis de quelques instants de repos. Je vais au Café Hewar, qui a son poids du côté dialogue. Il se trouve dans le campus de l’Académie des Beaux-Arts, un jardin merveilleux, tranquille, où on peut boire un nimu basra, un thé préparé avec des citrons secs. Comme tous les jours, il y a Kassim al-Sebri, le peintre allègre qui gère le café, et qui, de temps en temps, réussit même à vendre un tableau ou un autre. Aujourd’hui, cependant, la vente d’un de ses propres tableaux est incapable de le consoler. Il vient juste de recevoir un coup de téléphone. Son cousin Raheem et toute sa famille (sa femme et trois enfants), ont été atteints par une rafale de mitraillette en provenance d’un blindé américain et ils sont tous morts. Raheem était passé avec sa voiture devant la base USA Island. Il était chauffeur de taxi. Il a dû faire un geste maladroit."

 

Il s'agit-là de quelques pages de son journal personnel, (rappelons que cette journaliste italienne a été enlevée le 4 févirer en Iraq), publié le 14 octobre 2004 dans l'hebdomadaire allemand Die Ziet dont elle est la correspondante, et reproposé cette semaine : Nur Keine falsche Bewegung.
(En italien :
Qualche trucco e molta fortuna)
Traduction de l'italien par ImpasseSud
Lire également sur Libération : L'Olympia affiche complet pour les journalistes disparus

Est-ce que je me trompe si j'imagine que Florence Aubenas, Hussein Hanoun al Saadi et tous ceux qui risquent leur vie pour continuer à informer auraient pu écrire la même chose?

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Ecrit par ImpasseSud, le Mardi 15 Février 2005, 15:17 dans la rubrique "Les hommes de bonne volonté".

Commentaires et Mises à jour :

racontars
17-02-05 à 11:33

Re: Aujourd'hui une video de Giuliana Sgrena

Je n'ai pas vu la video, juste quelques images dans la presse et je suis tellement triste, tellement en colère aussi. On a l'impression que personne n'en a rien a foutre d'elle, de Giuliana, et qu'elle va mourir dans l'indifférence totale des hommes politiques de son pays. Le rôle premier des représentants du peuple n'est-il pas de défendre par dessus tout la vie de ses concitoyens ? si il y avait des intérêts vitaux du pays en jeu, on pourrait éventuellement comprendre. Mais là bas, en irak, qu'est-ce qui est si important pour l'Italie ?
Je suis aussi en colère contre ces terroristes qui s'en prennent à des gens qui ne peuvent pas se défendre. Qu'ils aient le courage de s'attaquer à ceux qui peuvent se défendre et pas commed des lâches à des femmes, des hommes... qui ne sont là que pour témoigner et pas prendre les armes contre eux ou aider les populations...

 
ImpasseSud
17-02-05 à 13:05

Re: Re: Aujourd'hui une video de Giuliana Sgrena

L'allégeance de l'Italie aux USA est une vieille histoire qui date de l'émigration en masse des Italiens, mais surtout de la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui encore, tous les adultes ont encore l'impression d'avoir une dette envers les USA qui, après la guerre, ont aidé l'Italie grâce au Plan Marshall. Et pourtant, ce fameux plan est né pour aider à la reconstruction, non pas seulement de l'Italie, mais bien de 16 pays européens (dont la France...). Ici nous sommes innondés par les émissions, les films et les téléfilms américains et les JT nous tiennent au courant de tout ce qui se passe aux USA. Du reste de l'Union européenne, on ne nous transmet que les mauvaises nouvelles (90% de l'information est dans les mains de Berlusconi). Et à cela,  il faut désormais ajouter le soutien mutuel entre les hommes les plus riches du monde dont Berlusconi fait désormais partie (après avoir démarré grâce aux coups de pouces du parti socialiste au pouvoir dans les années 80), et, pour rien au monde, il ne voudrait se dissocier ou même se démarquer de ceux qu'il considére comme "ses semblables" ni décevoir "l'ami Georges". Sans compter qu'il attend sa part du gâteau. Et à ses basques s'accrochent tous les arrivistes et les petits bourgeois frustrés qui sont en train de démanteller l'état social et le sens moral (encore que ce dernier démantellement soit à l'ordre du jour occidental...)

Pour ma part, ça fait au moins deux ans que je lis les articles de Giuliana Sgrena sur Il Manifesto, et hier, j'en avais les larmes aux yeux en voyant cette petite femme désespérée, isolée dans sa détresse. Il ne faut pas se faire d'illusion, l'Italie ne retirera pas ses troupes, et le sénat vient au contraire d'approuver un nouveau financement. En août dernier, elle n'a rien fait pour protéger Enzo Baldoni qui a été assassiné (là-dessous il y a même un comporatament plus que douteux de la part de la Croix-Rouge italienne présente en Iraq), mais en mai dernier (juste avant les élections), elle a payé 9 millions de dollars pour la libération de 3 mercenaires. Alors qu'elle en fasse au moins autant aujourd'hui!!!


 
racontars
17-02-05 à 13:34

Re: Re: Re: Aujourd'hui une video de Giuliana Sgrena

C'est terrible et c'est ce qui arrive quand est au pouvoir un homme qui fais passer son intérêt personnel avant celui de son pays et de ses concitoyens. Moi aussi, j'avais les larmes au yeux en voyant les photos. D'autant que je crois profondément, malheureusement, qu'elle n'a aucune chance de s'en sortir. Sauf à ce que le gouvernement italien soit renversé comme l'espagnol, ce qui est hautement improbable. tu crois vraiment que Berlusconi va payer pour elle ? Je n'y crois pas une seconde.
et ça, ça me met vraiment en rage...
tu sais, je suis journaliste, mais de ceux qui reste à la maison ;-) Secrétaire de rédaction. Et quand j'étais en rédaction, je faisais plutôt des papiers société qu'autre chose. Donc je ne me suis jamais beaucoup déplacée. Mais Lou m'a posée la question de savoir si on me demandait d'aller en Irak, si j'irai...
Je l'ai rassurée en lui disant qu'il n'y avait aucune chance qu'on me le demande. Mais elle a insisté. Alors je lui ai dit que non, je refuserai d'y aller... Te dire l'admiration que je voue à florence aubenas et à Giuletta, ainsi qu'à tous ceux qui continuent d'aller sur le terrain. Et le tristesse de me dire que la presse ne défend plus ses troupes. Nous avons revendiquer notre indépendance vis-à-vis du politique. Pas assez du pouvoir économique. et quand les deux son mélangés, comme avec Berlusconi, que vaut encore notre métier ?
en tout cas, merci pour ces notes.

 
ImpasseSud
17-02-05 à 14:13

Re: Re: Re: Re: Aujourd'hui une video de Giuliana Sgrena

Merci à toi pour ton intérêt.
En ce qui concerne la rançon, il se pourrait quand même que quelque chose se passe en sous-main car l'opinion publique est vraiment très secouée... Enfin, espérons-le...
Quant à l'alliance entre le journalisme et la finance, c'est bien ce j'ai déploré ici :(

 
ImpasseSud
18-02-05 à 15:13

La video..... a été diffusée quatre jours après son arrivée!

La video a été diffusée par les JT le mercredi alors qu'elle était dans les mains du gouvernement depuis le dimanche 13. Qui l'a bloquée pendant 4 jours?, se demande-t-on sur La Repubblica.

.... parce que mercredi, le Sénat italien devait voter à propos du refinancement de la permanence des Italiens en Iraq!
Certains parlent même de coupures...
Et maintenant on traite la vidéo de "vieille"!!!!!, n'étant donc pas une preuve que Giuliana est encore vivante!

En attendant, Giuliana Sgrena demande expressément que soient publiées les photos des enfants vitimes des clusterbombs. Les voici :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 
ImpasseSud
19-02-05 à 16:00

500.000 personnes à Rome pour demander la libération de Giuliana et Florence

Une fois encore la manifestation est ignorée par les trois chaînes d'Etat (RAI dans les mains de Berlusconi) et les 3 chaînes Mediaset (Berlusconi), et n'est reprise en direct que par la chaîne privée La 7.

Voir l'article en français sur "Le Journal Permanent"