Un Grand Retour à Prague, après 1989, c’est ce qu’on s’attend de tous ceux qui ont pris le chemin de l’exil après 1968, suite à la main mise soviétique sur
L’auteur joue immédiatement sur les deux mots « nostalgie » et « ignorance », liés par une racine linguistique commune, pour nous conduire vers le manque de fiabilité de la mémoire. Le fil de mémoire qui se trouve dans chacun d’entre nous est ténu, nous vivons en nous enfonçant continuellement dans un immense oubli, tout en refusant d’en prendre conscience.
Le fait est que les souvenirs des deux protagonistes sont différents : « Quand Irena vit Josef à l’aéroport, elle se rappela chaque détail de leur aventure passée ; Josef ne se souvenait de rien. Dès la première seconde, leur rencontre reposait sur une inégalité injuste et révoltante ».
Ensuite, à Prague, après une aussi longue absence, tout a évolué, tout a changé, la politique économique, le comportement des gens, les lieux, les mentalités et même l’accent.
Irena et Josef se heurtent sans arrêt à l’ignorance de ceux qui croient tout savoir ou de ceux qui ne veulent pas savoir, attendent des questions que personne ne leur pose ou des réponses que personne n’éprouve le besoin de leur donner, mettant à nu le jeu falsificateur de la mémoire et la fragilité des relations, annihilant ainsi vingt ans de leur existence. Kundera compare leur absence à celle de l’Odyssée, qui s’étale elle aussi sur vingt ans, mais pour constater qu’aujourd’hui le retour d'Ulysse à Ithaque serait impossible.
Il y a des livres qu’on aime vraiment, mais celui-ci m’a passionnée. J’ai eu l’impression d’enfiler un vieux pull, de ceux qui connaissent tous les plis de votre corps et l’épousent avec douceur, vous transmettant tout le bien-être de la compréhension. J’y ai retrouvé toutes les sensations, nuances, sentiments, espoirs, déceptions éprouvés depuis que moi aussi j’ai quitté le sol natal. L’ignorance, c’est de prendre une décision sans savoir ce qui vous attend, car la seule perception dont nous sommes capables, c’est celle du présent, et encore, vu qu’elle n’est que partielle, et que la mémoire « n’est capable de retenir du passé qu’une misérable petite parcellette sans que personne ne sache pourquoi justement celle-ci et non pas une autre, ce choix, chez chacun de nous, se faisant mystérieusement, hors de notre volonté et de nos intérêts. On ne comprendra rien à la vie humaine si on persiste à escamoter la première de toutes les évidences : une réalité telle qu’elle était quand elle était n’est plus ; sa restitution est impossible. »
Milan Kundera fait sans aucun doute passer dans cette oeuvre (écrite en français mais tout d’abord publiée à l’étranger) toute la nostalgie amère qui constelle la vie des exilés, des immigrés, les réduisant parfois au silence. Mais tout le monde peut également se retrouver dans ce voyage au sein de la mémoire.
A lire absolument… même si vous n’avez jamais quitté votre pays natal.
Mots-clefs : Europe, Immigration, Société, Livres
Commentaires et Mises à jour :
Re: Kundera
Le drame, c'est que nous comprenons tout, mais que l'impossibilité d'être compris nous isole des autres. Moi qui depuis bien des années vit à cheval entre la France et l'Italie, deux pays qui, vus de loin semblent si proches l'un de l'autre alors qu'il y a de grosses différences, et bien j'ai appris à ne plus m'exprimer sur certaines questions, sachant que je parlerai dans le désert et que mon point de vue ne sera ni écouté, ni compris, ni apprécié. Assez frustrant au début, aujourd'hui j'en ai pris l'habitude. Par contre, cela me permet d'envisager avec un grand relativisme des questions retenues fondamentales dans un des deux pays alors qu'elles ne sont que le fruit d'une tradition. En tout cas, je ne crois pas que j'aimerais revenir vivre en France, même si je continue à défendre le rationalisme, et même si en France bien des choses fonctionnent mieux qu'en Italie.
On s'atttache à son pays d'accueil, quel qu'il soit, et Milan Kundera, bien que conscient des défauts des Français, écrit désormais en français et n'a apparemment aucune envie de rentrer dans son pays natal.
Pourquoi entretient-on ce mythe de la nécessité d'un retour au pays natal ?
Re: Re: Kundera
Re: Re: Re: Kundera
Je crois que cette situation inconfortable va au-delà de la rasion ou du tort, car l'un et l'autre sont largement subjectifs. Les habitants de ton pays d'origine, ceux qui sont restés ou ceux qui n'ont jamais eu la moindre rasion ou envie de partir voient ton départ comme une sorte de trahison, et, quels que soient les liens de parenté ou d'amitié, ils sont la plupart du temps imperméables à tout ce qui est ta "nouvelle" vie. En ce qui concerne les habitants de ton pays d'accueil, il se produit la même chose en ce qui concerne ta vie "précédente" qui, elle non plus, ne les intéresse absolument pas, à moins qu'elle n'appartienne comme dans le cas du livre ou dans ton cas, à un cadre historique bien spécifique. Kundera le traduit très bien en attribuant aux Français (mais n'est-ce pas la même chose ailleurs ?) le jugement suivant :
".. Chez eux, le jugement précède l'expérience. Quand nous sommes sommes arrivés là-bas, ils n'avaient besoin d'aucune information. Ils étaient déjà parfaitement informés du fait que le stalisnisme est un mal et que l'exil est une tragédie. Ils n'éprouvaient acun intérêt pour ce que nous, nous pensions, ils ne s'intéressaient à nous qu'en tant que preuves vivantes de ce qu'eux-mêmes pensaient. C'est pour cela qu'ils étaient généreux avec nous et fiers de l'être. Quand, un jour, le communisme s'est écroulé, ils m'ont regardée, et leur regard était fixe, inquisiteur. Et c'est à ce moment-là que quelque chose a été de travers. Je ne me suis pas comportée comme ils s'y attendaient. (...) Pour moi, ils avaient vraiment fait beaucoup de choses. En moi, ils ont vu la souffrance d'une exilée. Puis, nous sommes arrivés au moment où je devais confirmer cette souffrance en manifestant ma joie du retour. Et cette confirmation n'est pas venue. Ils ont eu l'impression d'avoir été trompés. Et, au fond, moi aussi, parce qu'entre temps j'avais pensé qu'ils m'aimaient non pas à cause de ma souffrance, mais pour moi-même."
(Ici il s'agit de ma traduction du livre en italien)
A chaque fois que j'entends des autochtones parler avec emphase des "richesses" apportées par les immigrés, j'ai souvent envie de sourire, car ces richesses ne les intéressent absolument pas au-delà d'un aspect folklorique, culinaire dans la plupart des cas. Quels que soient les efforts que tu fais pour t'intéger dans un nouveau pays auquel tu t'attaches de plus en plus, la seule chose qui compte, ce qu'on prétend de toi, ce sont des racines, que, bien entendu, tu n'as pas. L'intégration réelle ne commence qu'à partir des générations suivantes. Je me souviens de ta surprise (j'ai lu ton récit sur ton retour au Viet-Nâm en 2002) quand tes enfants t'ont dit que finalement tu étais "chez toi". Même nos enfants nous voient comme des immigrées, intégrant malgré eux un peu de notre inconfort.
Re: Re: Re: Re: Kundera
Belle découverte que votre blog, riche, si riche que je reviendrai pour le découvrir plus avant. J'apprécie également vos commentaires.
Re: Kundera
Re: Re: Kundera
Re: Re: Re: Kundera
Re: Re: Re: Re: Kundera
Tu peux aller voir ici , ou encore, entrer le titre et le nom de l'auteur dans Google qui donne un très grand nombre de réponses.
Bonne chance! J'espère avoir pu t'être utile :-)
Kundera