Pour suivre l'adage d'Umberto Eco : la véritable langue européenne, c'est la traduction", le Parlement européen a prévu de traduire simultanément tous les débats dans les vingt langues parlées dans l'Union Européenne élargie à 25. Mais cette Europe des 25 ne parlera probablement plus ni le français ni l'allemand mais seulement l'anglais car les nouveaux arrivants n'ont étudié que cette dernière langue.
Mardi dernier les députés européens ont accordé une audition à une personnalité Lettone, Madame Sandra Kalniete, et vu que la traduction simultanée est prévue, ils l'ont tout d'abord invitée à s'exprimer en letton. Mais on s'est très vite heurté aux premières difficultés. Alors le président de l'assemblée, Joseph Daul, lui a demandé de ne pas parler trop vite pour donner aux traducteurs le temps de traduire. Mais quelques minutes plus tard la machine des traductions s'est "coincée", car les questions des députés européens ne sont pas traduites directement d'une langue dans l'autre - ce qui imposerait 380 combinaisons -, mais en passant par une langue de base intermédiaire comme l'anglais ou le français. Quand il s'agit de traductions très techniques, comme pour la politique agricole ou celle de la pêche, par exemple, une bonne partie du suc des discours se perd en cours de route.
Mais revenons-en à Mme Kalniete. Pour elle de toute façon, tout allait trop vite, et à plusieurs reprises elle a dû demander aux orateurs de répéter leurs questions plus lentement : "Je ne suis pas sûre d'avoir compris la traduction" a-t-elle fini par soupirer avant de jeter l'éponge. Après avoir prononcé deux ou trois mots en français, elle est passé à l'anglais, et une grande partie des députés a suivi son exemple, renonçant à sa propre langue.
"Il faut l'admettre", a ensuite commenté le député français Alain Lamassoure, "on ne peut pas travailler ainsi. Ou on a le courage de dire qu'il faut travailler en cinq ou six langues, ou bien l'anglais prendra pied partout". Le commissaire hongrois, Peter Balazs, a défendu la même position : ayant eu la parole après Mme Kalniete, il s'est exprimé tout d'abord en hongrois, mais ensuite, il s'est mis aux trois langues officielles à Bruxelles, le français, l'anglais ou l'allemand.
Ce système trilingue, en effet, est celui qu'utilisent régulièrement les ministres européens lors de leurs rencontres informelles. Mais ce système résistera-t-il? Au cours de la réunion du 6 au 8 avril dernier, en Irlande, centrée sur la communication en Europe, un certain nombre de journalistes ont été invités. Dans la salle du Conseil, les interprètes, isolés dans leurs cabines, effectuaient des traductions simultanées, mais presonne ou presque n'utilisait les casques mis à disposition. La seule qui en ait mis un, c'est le ministre français Claudie Haigneré, tous les autres orateurs se sont mis à parler exclusivement en anglais. Et quand, à la fin de la réunion, un journaliste a lu une relation en français, tout le monde a mis son casque, comme si le français était déjà relégué au second plan parce tout le monde parle l'anglais. Hors de la salle de réunion, l'anglais s'imposait nettement. Bien sûr, les "eurocrates" et autres diplomates, ouverts aux cultures européennes et souvent protagonistes de mariages mixtes, sont d'admirables polyglottes. Durant le dîner qui a suivi, offert par la présidence irlandaise, tous les invités français, anglais et allemands assis à la même table parlaient les trois langues, ce qui leur permettait de s'exprimer dans leur langue maternelle ou par courtoisie dans celle de leur interlocuteur, mais un peu plus loin, à une autre table où était présent le délégué de la Macédoine, la conversation est passée immédiatement à l'anglais. Le lendemain, le commissaire français Pascal Lamy, face à une salle où se trouvaient des étudiants irlandais s'est lui-même exprimé directement en anglais.
Et à la commission? Là, l'élargissement fera certainement basculer les derniers bastions non anglophiles : l'allemand est trop difficile à apprendre, le français perd pied depuis 1995, depuis que les représentants de la Suède, de l'Autriche et de la Finlande ont refusé de le parler. C'est comme cela qu'au sein de l'UE, par rapport à 1997 où 40% des documents étaient rédigés en français, aujourd'hui, on en trouve moins de 30%.
Les jeunes générations de l'Europe méditerranéenne apprennent plus volontiers l'anglais que le français, les fonctionnaires de l'Europe de l'Est ont pour la pluspart étudié à Harvard ou à Oxford plutôt qu'à la Sorbonne. Il paraît même que c'est déjà "vieux jeu" de défendre le français à la Commission Européenne... Donc il est fort probable que l'Europe des 25 ne sera pas une tour de Babel, à moins qu'il ne s'agisse d'une tour ayant retrouvé une langue unique : l'anglais.
(Sources : La Repubblica)
Mots-clefs : Union Européenne, Défense de la langue française
Commentaires et Mises à jour :
Re: L'anglais, langue unique?
Je suis terriblement désolée pour le français... mais quant à me faire adopter ces deux ersartz, je préfère encore la langue de Shakespeare. Au moins elle a une âme, un passé, une histoire.
Re: Re: L'anglais, langue unique?
Mais si on ne doit en garder qu'une je préfère une langue sans âme: C'est moins hypocrite.
Re: Re: Re: L'anglais, langue unique?
Je viens de trouver un article très intéressant : il semble que l'espéranto ait déjà une âme puisqu'il a une littérature :-)))
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Re: Re: L'anglais, langue unique?
Re: Re: Re: L'anglais, langue unique?
Il y a bien du vrai dans ton opinion, mais il doit quand même y avoir de sérieuses différences entre l'anglais et l'américian si les Américains exigent que les livres anglais soient traduits....
Le problème que j'aborde ici, c'est celui de l'UE qui, récemment voulait déclasser des langues comme l'italien, le portugais et l'espagnol. Les pays concernés se sont rebellé et la Commission a fait un pas en arrière. A quand le tour du français, - bien mieux placé sans aucun doute -, mais si personne ne le parle ?
Hier, au cours d'une émission sur une chaîne publique de la télévision italienne, Jean-Michel Coustaud (le fils de Jacques) qui en était l'invité, s'est exprimé en anglais (ou en américain?) ! Je dois dire que ça ne m'a pas plu du tout.
L'anglais, langue unique?