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Saramago José, « La lucidité », (2004)
--> Titre orignal "Ensajo sobre a Lucidez"

Comme je l’ai certainement déjà écrit ailleurs, je suis une inconditionnelle de José Saramago. De plus, quand on habite en Italie et qu’on n’en peut plus de Berlusconi, en l’absence d’un parti d’opposition fort et crédible quoi de plus attrayant que les prémices du récit de cet excellent roman, avec ses 83% des électeurs, qui, dans la capitale sans nom d’un pays sans nom, un beau matin décident de voter blanc aux élections municipales ?

 

Profondément irrité par ce choix populaire qui vient bouleverser le système politique du pays, le gouvernement en place préfère penser à une conspiration et lance sa police à la recherche des « meneurs », mais sans succès. Le vote blanc est licite et tous les électeurs interrogés se rétractent derrière la légitimité du secret de l’isoloir. Incapable de les discerner, le gouvernement leur affuble l’appellatif méprisant de « blanchards », espérant ainsi délier les langues. Premier acte visible d’un enchaînement qui laisse rapidement apparaître le véritable visage de cette démocratie de façade, qui, dans la moindre anomalie de comportement de ses citoyens, voit le début d’une dangereuse déstabilisation du système qu’il faut enrayer à tout prix, endiguer par tous les moyens, même par la violence, dans le cas présent pour ramener à la « véritable » démocratie ceux qui se sont permis de la miner de l’intérieur en votant blanc.    

Qui dirige cette révolte collective ? Pourquoi les différents statagèmes adoptés l'un après l'autre en une sorte de crescendo n’apportent-ils aucune réponse ? En effet, l'infiltration d'espions au sein de la population puis la condamnation publique exprimée par les plus hautes autorités de l'Etat n'obtiennent aucun résultat ; la fomentation provocatrice d'un tragique attentat pour pouvoir en attribuer, à travers les médias serviles, la responsabilité aux blanchards, ne rencontre pas plus de succès ; et pour finir, l’abandon de la capitale de la part de ce même gouvernement et le total isolement institutionnel dans lequel il l’enferme, laissant la population livrée à elle-même, ne débouche pas sur l'anarchie escomptée.

Si d'un côté Saramago entraîne toujours plus son lecteur dans les arcanes du pouvoir, dans ses mécanismes les plus obscurs et les plus douteux, dans ses luttes intestines, de l'autre, il persiste à ne rien révéler sur l’origine de cette révolte pacifique et légale, sans doute simple conséquence d’un profond découragement collectif. Jusqu’au moment où une dénonciation nous reporte à la protagoniste « voyante » de L’aveuglement, proie idéale pour un gouvernement à la recherche désespérée d'un bouc émissaire, victime fondamentale pour établir une relation entre la cécité d’alors, - une population qui refusait de voir ce qui ne va pas -, et la lucidité d’aujourd’hui, quatre ans plus tard, où il est urgent de freiner une majorité qui a peut-être finalement pris conscience d’un besoin de changement

 

Un roman qui vous tient en haleine, presque un roman noir à partir de l’entrée en scène d’un certain commissaire de police. Mais aussi, la verve d’un merveilleux conteur, corroborée plus que jamais par le style propre à l'auteur avec l'extrême rareté de la ponctuation et du retour à la ligne, mais aussi avec les touches répétées d'intromission personnelle. A tout instant, on tend le cou : «  Et alors ? Mais comment ça ? Et ensuite ? »

Le dénouement ? Je dois avouer qu’il m’a laissé un goût amer. Est-ce parce que ce roman est dénué de la touche d’humour (pourtant habituelle à Saramago) nécessaire à déjouer l’association protestation-pessimisme, même face aux réalités les plus décourageantes ? Ou est-ce parce que, ingénue, j'espérais un autre final ?

 

A vous de juger ! En tous cas, à ne pas manquer si vous habitez dans un pays où la démocratie s’effrite, où le pouvoir a commencé à se venger des avis contraires et des diversités, voire même à les criminaliser.


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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 12 Novembre 2010, 18:03 dans la rubrique "J'ai lu".