Qu’est-ce que le paradis ? « Le paradis, c’est un endroit où on boit du café ». C’est la réponse qu’ont donnée tout naturellement une partie des petits enfants italiens, bombardés depuis toujours (pour eux) par la publicité d’une célèbre marque de café où dans un espace fait de nuages voluptueusement cotonneux d’un blanc laiteux, deux « élus » tout de blanc vêtus sont rééduqués par « Dieu le père », un vieillard chenu à la barbe blanche bien cintré dans son costume immaculé, lesquels, pour se consoler des erreurs qu’ils commettent finissent toujours pas dire que c’est l’heure de boire un bon café. Faut-il en déduire que la publicité, à force de martelage, est en train de modifier les significations, de réécrire les dictionnaires ?

D’après une étude continue commencée en 1997 par la Società Italiana di Pediatria mais mise à jour en novembre 2004, un enfant qui, entre 15 et 18 heures c’est-à-dire quand les programmes leur sont spécifiquement destinés, regarde 2 heures par jour Italia 1*, voit 31.500 spots publicitaires par an. N’y a-t-il pas là de quoi conditionner un cerveau à vie ?

Les chaînes publiques sont un peu plus respectueuses des enfants, mais pas tant que cela, et à une échelle plus ou moins semblable, la plupart des pays d’Europe sont à la même enseigne. Je crois bien que les seuls pays où on a encore le respect de l’enfance, où on n’a pas encore oublié « que les enfants ont le droit à des zones protégées », ce sont les pays scandinaves, la Suède en particulier. Tout le monde protège ses enfants de la faim, du froid, de la douleur, mais quand il s’agit de leur cerveau, on les laisse dans les mains des manipulateurs du marketing, comme si cet organe invisible ne comptait pas, comme si l’impact d’un cerveau manipulé sur la vie de ce celui qui le porte n’était qu’une fable. J’aurais bien aimé que le TCE n’ignore pas ces données car ce sont les millions d’enfants européens formatés aujourd'hui par la publicité qui feront l’Europe de demain.

Pour en revenir au paradis, je suis persuadée que croyant ou non-croyant, nous nous faisons tous une idée plus ou moins nette du « paradis », de cet endroit hors du temps et de l’espace où devrait exister un bien-être immuable, inaliénable. En ce qui me concerne, ayant déjà dépassé le concept de la possession des biens matériels qui, c’est indéniable, apportent du plaisir, des commodités, mais sont plus qu’insuffisants quand il s’agit d’apporter le bonheur, au-delà des concepts dévoyés d’un monde sans guerre, sans maladie ni méchanceté ou exploitation, en un mot sans souffrances, j’aimerais avant tout qu’il s’agisse d’un endroit où la nature apparaît dans toute sa splendeur, et où notre entourage devinerait nos humeurs, nos besoins spirituels impératifs et nos bonnes intentions. Désirs bien simples qui, en toute logique, exigent une réciprocité. Et là, les choses se compliquent car avons-nous tous la même conception de la bonne ou de la mauvaise humeur, avons-nous tous les mêmes besoins spirituels, nos bonnes intentions sont-elles bonnes pour tout le monde ? Alors, il m’arrive de penser que boire un café en compagnie de quelqu’un que j’aime bien, en qui j’ai confiance, ressemble déjà à un coin de paradis, et peu importe la marque s'il est bon.

* Chaîne de TV privée nationale appartenant à Berlusconi, qui s’adresse surtout aux jeunes.

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