Je n’aime pas particulièrement les roses, je dois même dire que leur prestance souvent élaborée, sélectionnée, leur manque de naturel, les contraintes qu’on leur impose, les vanités et les spéculations dont elles sont souvent l’objet, les sentiments qu’elles exagèrent comme les trahisons qu’elles dissimulent m’en ont éloignée, vont carrément à contre-courant avec mon caractère. A tel point que dans mon entourage tout le monde sait qu’en matière de fleurs je préfère la simplicité, la foison et la fraîcheur. Bref, entre les roses et moi, tout au plus quelques bons souvenirs mais aucun lien spécial. C’est tout du moins ce dont j’étais convaincue jusqu’à hier après-midi.
Sur les bords de la Méditerranée, la flore est riche voire luxuriante, parfumée, souvent même enivrante, galopante, envahissante dès qu’on l’arrose un peu. Elle donne sans prétendre, flatte sans se courber, règne sans jamais abdiquer. Elle va souvent même jusqu’à se moquer des jardiniers ignorants ou prétentieux qui croient pouvoir l’asservir ou de l’excès de bitume qui croit pouvoir l’étouffer. C’est une provocation continue, des mimosas aux genêts, des lauriers roses aux hibiscus, des fleurs d’orangers à celles des câpriers, des figuiers d’Hottentots aux figuiers d’Inde, des arbres de Judée aux tamaris, du jasmin aux arbousiers, etc. etc. De quoi éclipser les roses, les rosiers et les roseraies, qui plus est presque inexistantes Entre mer et Maquis.
Et pourtant, hier, alors que je passais en voiture à côté d’une station-service, une minuscule plate-bande de deux rosiers en fleurs plantés là en guise de barrière m’a tout à coup émue jusqu’aux larmes, sans raison et sans préavis : « des roses ! », me suis-je exclamée en les montrant à ma passagère qui n’a pas relevé. Pâles, abondantes et chaudes au soleil, d’une douceur insolente, elles m’ont ramenée aux nombreux mois de juin d’une autre époque, à l’immense roseraie d’un grand parc que je fréquentais, que je photographiais, à cette période de ma vie sans grandes particularités mais pleine de projets, de certitudes et d’espoir, de cet espoir qu’aujourd’hui je ne vois plus nulle part, dans un monde où les dieux économie et compromission ont tué tous les autres, et où ils sont tellement universalement implantés et tellement puissants qu'ils ne permettent plus à aucune "vague verte" ou autre d'arriver jusqu'à la rive, à aucune dictature ou homme politique douteux ou criminel de tomber, à aucune crise économique de nous forcer à changer.
La nostalgie de l'espoir... « Moi, j'ai besoin d'espoir/Sinon je ne suis rien/Ou bien si peu de chose/C'est mon amie la rose/Qui l'a dit hier matin… »
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