Toujours dans le cadre du dépoussiérage des livres dont j’ai hérités, je viens de dévorer ces quatre romans l’un derrière l’autre. Avec intérêt, je dois dire, même si on butte souvent sur une des caractéristiques linguistiques chères à cet écrivain qui aimait n’utiliser que la première partie des négations et chasser une partie des articles. En commençant le quatrième, cependant, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si aujourd’hui il y a encore beaucoup de monde qui lit ses œuvres, qui achète ses livres. Les aborde-t-on déjà de la même façon que celles de Balzac ou de Maupassant, c’est-à-dire en les trahissant ?
Mauriac, ce croyant qui a toujours dénoncé le moralisme édifiant et la pratique religieuse faite d’habitudes et d’apparences, dissèque, fouille dans les tréfonds les plus répugnants de la nature humaine. Que c’est sombre ! De la passion viscérale pour la terre, des mariages combinés au nom du patrimoine, des luttes sournoises et acharnées pour s'arracher les héritages, rien ne vous échappe, mais de l’empreinte étouffante du catholicisme de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, de la morsure de cet étau qui modelait les esprits dès l’enfance, de ce monde hermétique où on se liguait même contre la justice des hommes, le lecteur d’aujourd’hui a-t-il la moindre notion ? Et pourtant c’est essentiel si on veut comprendre les comportements des héros tels que Mauriac les a conçus. Car il ne fait aucun doute que Mauriac investit ses héros d’une mission, celle de nous dépeindre les « monstres » qui se cachent au fond de chacun d’entre nous.
Après avoir terminé les quatre livres, par curiosité et pour confronter mes impressions, je suis allée jeter un coup d’œil dans mon vieux « Lagarde et Michard ». Ce que j’y ai lu a confirmé ce décalage. Si le personnage même de Mauriac ressort intact de ces lectures, celui des protagonistes de ses romans est passablement délavé, ne convainc pas, les désirs de « rachat » des dernières pages sonnent faux ou tombent à vide.
Thérèse Desqueyroux n’est plus vraiment cette jeune femme à la recherche de pureté, emprisonnée dans un destin qu’elle abhorre, mais plutôt une personne sans couleur, désoeuvrée, dont les désirs appartiennent, tout comme la tentative de meurtre qu’elle commet sans l’avoir vraiment décidée, au monde incertain des rêves. Je l’ai presque perçue comme le symbole de l’inexistence.
Dans Les anges noirs, tout est noir : le protagoniste, Gabriel Gradère, dont le visage angélique cache un délinquant qui s’apprête à commettre un crime, le pauvre abbé Forcas, risée publique et triste à pleurer, et les habitants des Liogiats, entre hystérie religieuse, calculs mesquins, trahisons sans scrupule et bêtise. Il n’y a pas un seul instant de grâce, et au lieu de s’interroger sur la nature humaine, on a tout simplement envie d’en finir le plus vite possible.
Plus qu’une femme à la recherche de la grâce et du salut, Brigitte Pian,
Dans Le nœud de vipères, la bigoterie, la fausseté et l’avidité forment un tissu tellement serré, qu’on est très vite du côté du maître de Calèse, rebelle à l’âge où en général on s’assagit. On a presque envie de sourire au projet de revanche contre un mépris familial infligé au nom de la foi et de la classe sociale et subi pendant toute une vie. On aime son introspection, on aime que ce non-croyant mette finalement sous nos yeux l’esprit qui régnait à cette époque, entre la suprématie catholique bien-pensante, l’antisémitisme de l’affaire Dreyfus et l’anticléricalisme qui devait aboutir à la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Parmi ces quatre titres, c’est sans aucun doute le roman le plus susceptible d’être compris.
Il n’en reste pas moins que je n’hésiterai pas un seul instant à le lire si un autre titre de François Mauriac me tombe sous la main. Non seulement parce que le profil de cet homme me plaît, non seulement parce que j'apprécie l’esprit critique dont ses écrits sont empreints, mais j’aime également le cadre suggestif des forêts landaises entre pinèdes, étangs et chemins creux, entre soleil, chaleur implacable et terrains sableux imbibés par la pluie. Quant au murmure du vent dans les pins, omniprésent, je l’entends encore bien que depuis des jours j’aie refermé ces livres sur leur dernière page.
Commentaires et Mises à jour :
Re: Honteuse
Bonjour ImpasseSud
Il y a des années que je n'ai rien lu de Mauriac, mais j'en garde un excellent souvenir. C'était une lecture quasi-obligatoire pendant mes années de collège (c'était avant le déluge), sinon on passait pour un ignare intégral (il faut dire que j'ai fait mes études dans un collège catholique).
L'autre jour, en rangeant ma bibliothèque, car je viens de déménager, j'ai retrouvé Thérèse Desquéroux et Génitrix. Je compte bien m'y remettre un de ces jours prochains et ton article n'a fait que me conforter dans ce sens.
Surtout, continue à écrire sur Joueb, j'ai toujours autant de plaisir à te lire. (très égoïstement).
Re: Bonjour ImpasseSud
Un revenant! Quel plaisir, Marco! Quand recommences-tu à nous parler de tes lectures ?
Moi aussi j'ai reçu une éducation catholique. Comme je le disais plus haut, je crois que c'est indispensable pour comprendre l'esprit de Mauriac. J'aimerais bien que quelqu'un vienne me dire si aujourd'hui on le lit encore.
Re: Re: Bonjour ImpasseSud
Merci de m'accueillir si gentiment. J'ai recommencé à parler de mes lecture cet après-midi ;-)
Oui, je crois aussi que sans un vieux fond d'éducation catholique, Mauriac doit être incompréhensible. En-dehors du romancier, il y a eu aussi le chroniqueur politique, l'homme engagé qui a gêné pas mal de monde par ses prises de position, notamment lors de la guerre d'Algérie. C'était une sorte de conscience, comme Heinrich Böll a pu l'être en Allemagne dans les années 70.
Il n'y a plus d'intellectuel qui ait cette portée, cette influence aujourd'hui, malgré que certains histrions occupent le devant de la scène médiatique en permanence, il semble bien qu'ils n'aient rien à dire ou si peu...
Comment parler de sujets graves avec un peu de profondeur quand le discours médiatique est formaté sur des plages d'une minute trente maximum ! Même un intellectuel de la stature d'un Sartre ou d'un Foucault serait bien en peine d'aligner deux idées en un temps si court et dans un discours si pauvre. Mais ici (en Belgique) on a pas encore à se plaindre par rapport à la Berlusconite qui sévit en Italie...
A bientôt,
Re: Re: Re: Bonjour ImpasseSud
Je partage tout à fait ton avis à propos du monde des intellectuels actuels dont le plus grand nombre ne fait que suivre les tendances et aboyer avec les loups. Ce n'est pas seulement nul, c'est souvent même honteux.
> Mais ici (en Belgique) on a pas encore à se plaindre par rapport à la Berlusconite qui sévit en Italie...
Entre lui et l'intégrisme du "nouveau" Vatican, l'Italie vit des temps vraiment bien sombres. Espérons que quelque chose changera en avril prochain. Autrement il y a vraiment de quoi entrer en hibernation pour attendre que ça passe.
De ce pas je vais donc chez toi :-)
Re: Re: Bonjour ImpasseSud
de l' Argentine
Re: de l' Argentine
Bienvenue ici Marcela,
Voilà une nouvelle qui me fait un grand plaisir. Non seulement parce que vous avez lu et lisez Mauriac, mais surtout à cause du dynamisme dont semble faire preuve l'Alliance française argentine. Ici, dans la ville italienne où je vis, l'Alliance Française est en pleine léthargie, depuis le décès, il y a bien des années déjà, de la Française qui s'en occupait. C'est bien désolant, et je ne comprends pas que cet organisme accepte de se faire représenter par des personnes qui, non seulement ne sont même pas de langue maternelle française, non seulement ne s'en occupent pas, mais ont accepté de prendre cette charge uniquement pour ajouter une note honorifique sur leur carte de visite. En Italie, la France défend bien mal le français, et c'est vraiment dommage.
En tout cas, merci pour ce mot. Je vous souhaite de devenir une excellente traductrice.
francois mauriac
Ah Francois Mauriac! un nom que je n'ai jamaisoublié depuis le secondaire! Et pour cause, puisque ce que j'ai de lui lu a cette époque, sont justement "Therese desqueyroux" pour un part , et "Noeuds de vipères" D'autre part!
D'ailleur je suggère tres fortement a qui n'a pas lue au moin l'une de ces deux oeuvres de remédier rapidement a cette lacune!
J'ai aussi remarqué en fauilletant le web, que pour ce qui est de "Thérèse Desqueyroux", le livre semble toujours être en disponibilité; mais avec une couverture que je ne lui connaissais point! Ce qui a mon humble avis est fort dommage; car j'aimais bien la couverture originelle de Thérèse pensive avec sa cigarette a la main! Cette image donnait du poid au texte et nous faisait aimer le personnage avant même d'ouvir la premiere page!
Mais que voulez-vous? Cela est un signe de notre temps ou parfois en voulant trop améliorer, l'on aténue la véritable portée de certaines choses ou de certains fait! Mais ne vous inquiétez point je ne vais point vous écrire ici un essai sur la prolémique des changements!
Mais allez lire ces deux romans, je sais que vous aimerez! Et a qui les a déjà lu, Hé bien offrez vous le luxe de les relire. Il n'y a aucun mal a cela!
Re: francois mauriac
Tout comme vous, j'aime qu'on conserve la couverture originelle et déplore les changements qui ont souvent lieu en cas de réédition, surtout quand il s'agit des éditions de poche. Il se peut que ce soit une question de copyright, mais à la place, on devrait au moins penser à mettre une image, un dessin ou autre chose, qui exprime la même chose, suscite le même sentiment.
Votre réflexion me rappelle une petite histoire personnelle. Il y a quelques années de cela, ayant en double ""Paroles" de Jacques Prévert, la première édition en Livre de poche, jaunie et vécue, (avec des dessins naïfs de Jacques Prévert et Brassaï sur fond gris), et l'édition Folio, sortie bien plus tard (avec la tête de Prévert sur fond blanc), mais comme neuf, j'avais décidé de faire cadeau d'un des deux exemplaires à une de mes étudiantes qui venait d'obtenir sa "laurea" (licence). J'ai eu la naïveté de lui demander de choisir. Elle était très jeune, mais elle n'a pas hésité un seul instant, elle a choisi le Livre de poche parce que, à son avis, il avait une âme.... Réalisant tout à coup mon erreur, je n'ai cependant pas pu revenir en arrière, et je m'en mord encore les doigts.
Re: Re: francois mauriac
effectivement tout comme vous,j'ai perdu quelques livres;mais en les prêtant. Ils ne me sont jamais revenus. Et comme la culture est dispendieuse, je n'ai point pu me les reprocurés depuis.
Un de ces livres que j'avais payé a l'époque dans les $70, est maintenant semblet'il rendu a plus de $140 ,au prix de détail!
Alors Mesdames et Messieurs, un livre c'est comme une auto! Ca ne se pr`te pas a moin d'être tout a fait sur de la personne....et encore!
Mais sur un autre thème puis-je vous suggérer ce titre..."MES TRENTE ARPENTS DE TERRE" Un tres bon roman québécois mais dont malheureuseement je ne me rapelle plus le nom de l'auteur!
Re: Re: Re: francois mauriac
Re: Re: Re: Re: Re: francois mauriac
Re: Re: Re: Re: Re: Re: francois mauriac
Re: francois mauriac
il n'y a rien de plus morbide que francois Mauriac!
pour toutes les personnes qui n'ont jamais lu un roman de francois Mauriac, je vous conseil d'en rester la e de ne pas toucher a son roman "THERESE DESQUEYROUX". Moi si je n'arrive pas a l'oublier c'est que je l'ai etudié pour mon bac et qu'il est horrible. ou bien si jamais vous avez besoin d'un livre pour vous endormir rapidement (en quelques secondes), à ce moment la jevous le conseil
Re: francois mauriac
Vous changerez peut-être d'avis plus tard ou peut-être pas, mais Mauriac est quand même un grand écrivain, il a quand même reçu le Prix Nobel de Littérature en 1952, insigne incontestable d'une certaine valeur. Ensuite, c'est une question de goût, on aime ou on n'aime pas. En tout cas, il est toujours préférable de laisser de côté les "conseils" au négatif. :-)
Honteuse
et confuse, je crois que je n'ai jamais rien lu de cet auteur.