En fait, personne ne l’a volé, il est toujours à sa place. L’histoire date de la nuit du 1er octobre. Une vidéo court sur Internet, montrant les « 4gatos » en train de subtiliser le fauteuil de Zapatero au Congreso de los Diputados, laissant à sa place une feuille de papier avec ces mots tracés au feutre : « Zapatero, el 16 di octubre, en pie contra la probezza ». Pendant près de vingt-quatre heures, entre indignation et doute, on a cependant cru qu’elle était vraie. La nouvelle a fait le tour du monde, et les gorges chaudes n’ont pas manqué. Dès le lendemain cependant, tout est parti en fumée, il s’agissait seulement d’un excellent montage, le véritable fauteuil dont on a véritablement filmé le déplacement dans le véritable hémicycle du Parlement ayant étrangement perdu ses bras quand on le sortait par la fenêtre. Les 4gatos, paraît-il, voulaient simplement démontrer que quatre garçons ordinaires n’appartenant à aucun parti politique ni à aucune ONG, étaient capables d’avoir un impact sur la société. S’il est vrai que les Nations Unies invitent effectivement les gens, les 15 et 16 octobre, à se mettre debout à 12h pour « tenir tête à la pauvreté » (lire p. 3), sans cette précision que je n’ai découverte que plus tard, ce que j’en ai pensé sur le moment n’a vraiment rien d’humanitaire.
Je dois l’avouer, j’ai éclaté de rire. J'éprouve une réelle sympathie pour Zapatero, et j'ai pensé qu'il s'agissait d'une histoire interne, d’une farce d’étudiants. Le fait qu’on ait réussi à entrer aussi facilement dans la chambre des députés espagnole m’a presque réjouie, comme preuve qu’il existe encore des pays où on ne vit pas continuellement sous metal-detector et fouilles au corps, où on évite d’entretenir à plaisir la psychose du terrorisme. Et pourtant, s’il y a un pays qui l’a payé cher, c’est bien l’Espagne. J’ai ressenti cette gauloiserie ibérique comme une bouffée d’air frais dans un monde hystérique, et ça m’a fait du bien. Est-il possible d’en faire autant à l’Assemblée Nationale, à Montecitorio ou au Palais de Westminster ?
Cependant, quand j’ai appris que l’entrée bien réelle des 4gatos dans l’hémicycle avait eu lieu grâce à la complicité d’un altermondialiste, j’ai tout à coup cessé de rire. Paradoxalement, à mes yeux, ce geste a soudain acquis un caractère puéril qu’il n’avait pas avant. Bien sûr, il a partiellement atteint son but, vu qu’aujourd’hui un plus grand nombre de personnes est peut-être au courant de l’action prévue pour le 16 octobre, mais du côté de la pauvreté, même s'il existe un programme réel à la clef, le fait de se mettre debout, va-t-il réellement provoquer un début de changement dès le 17 octobre ? Dans cette initiative de l’ONU, je ne vois rien de bien sérieux, je suis même franchement étonnée, incrédule, cela me fait penser aux vagues de Olé qu’on déclanche dans les stades. Par contre, comme conséquence immédiate, il y a bien des chances qu’on renforce les mesures de sécurité autour du Congreso. Pour moi, il s’agit d’un de ces gestes moitié anarchistes, moitié ludiques, qui aujourd’hui ne mobilisent plus grand monde, suscitant même un sentiment d’antipathie parce qu’ils ajoutent un prétexte, pour le pouvoir en place, pour resserrer un peu plus la vis autour de nos vies déjà trop contrôlées, trop encadrées.
A mon avis, les gestes éclatants sont fait pour les pays où la dictature existe. Dans nos démocraties, pour changer le monde, pour mieux lutter contre les inégalités, il faudrait que, quand on demande leur avis aux électeurs, « tout le monde » aille voter, en particulier tous ceux qui, rebelles, anarchistes, altermondialistes et autres, refusent au contraire de le faire par principe ou sous prétexte que tout est pourri. Dans la société stagnante qui est désormais la nôtre, divisée en deux tendances de force pratiquement égale, ils représentent justement la seule partie de l’électorat qui peut déclancher un changement. Quant aux actions individuelles, il faut savoir faire un distinguo entre les gamineries de ce genre et les gestes immédiatement utiles comme un boycottage ou une volonté de protection des plus faibles. Enfantillages et dispersion ne font que prêter main forte aux seigneurs de ce monde.
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