Ce titre résume l’action du fameux pianiste Daniel Barenboïm, Argentin de naissance mais Israélien par choix qui, samedi dernier, a donné un concert à la Friends School de Ramallah, devant une salle comble de Palestiniens.
Son engagement civil vient de loin et sa mentalité ouverte n’est plus à démontrer. Cet homme de 60 ans né en Argentine d’une famille juive russe, s’est établi par choix en Israël en 1952. Il a toujours attribué à son activité musicale le sens de la communication sans barrières, au nom d’un humanisme nourri par une culture laïque et cosmopolite. Contrairement à d’autres musiciens qui ont choisi de ne plus retourner en Allemagne à cause de son passé nazi, comme le violoniste Isaac Stern, lui, il n’a pas rejeté ce pays. Depuis 1964, il est très souvent l’hôte de l’Orchestre philharmonique de Berlin, non seulement comme pianiste mais même comme chef d’orchestre. Le fameux théâtre « Under den Linden » l’a également nommé directeur musical général, et le festival de Bayreuth le voit revenir chaque année. Il s’est également battu pour réintroduire la musique de Wagner en Israël, longtemps interdite par respect pour les victimes de la Shoah, parce que considérée comme outil de propagande nazi. Après plusieurs essais infructueux, le 7 juillet 2001, il a réussi à rompre le tabou à Jérusalem, en proposant comme bis d’un concert le Prélude et la mort d’Yseult de Tristan. Avant de commencer son exécution, il avait expliqué au public le motif de son choix, invitant ceux qui n’étaient pas d’accord à quitter la salle : sur trois mille personnes, un trentaine seulement était sortie.
Et il continue à confier à la musique son message politique. Sa rencontre avec Edward Saïd, écrivain et professeur à la Colombia University, a donné origine, il y a quelques années, à une étroite amitié, puis à un séminaire, Divan Occidental-Oriental, en hommage à Goethe : un groupe de jeunes musiciens, entre 14 et 25 ans, en provenance d’Egypte, de Syrie, du Liban, de Jordanie, de Tunisie et d’Israël a été sélectionné pour donner naissance à un orchestre arabo-israélien, réuni à Weimar durant les étés 1999 et 2000, puis à Chicago en 2001 et à Séville en 2002.
En mars 2002 il décide de donner un concert en Cisjordanie, mais l’armée israélienne l’en empêche. Par contre en septembre, il y réussit, grâce à une escorte du corps diplomatique allemand.
Il fallait donc s’attendre à son retour en Cisjordanie, et le concert qu’il a donné samedi dernier à Ramallah est donc particulièrement significatif. Après la Symphonie Pathétique de Beethoven, il a exécuté avec son fils Michael, 17 ans, des morceaux de Brahms et un duo avec un pianiste palestinien de 26 ans, Salim Abboud.
Bien que Baremboim n’aime pas parler durant les intervalles, il n’a pas pu ne pas marquer cette circonstance, différente des autres. Toutes les personnes présentes étaient conscientes du fait qu’un tel concert allait au-delà des frontières musicales. Et c’est pour cela qu’il a dit : « Bien que je sois pas ici en tant qu’homme politique, il me semble toutefois nécessaire de m’exprimer pour rappeler comment les Hébreux, au cours des siècles, sans avoir jamais eu de capitale réelle en avaient cependant conquise une d’ordre moral ; mais celle-là aussi a été détruite, grâce à la politique d’oppression et d’occupation militaire du gouvernement israélien, à partir de 1967. » « La musique », a-t-il ajouté, « est l’expression de la créativité humaine faite non seulement de sons mais d’une vision de la vie, qui nécessite qu’on oppose à l’édification de blocs et de murs la construction de ponts. A tous ceux qui voudraient séparer les Palestiniens des Israéliens, nous, nous répondons au nom de la musique, qui est harmonie. Il n’y a aucune solution militaire qui tienne, ni du point de vue moral, ni du point de vue stratégique. C’est seulement en arrivant à le comprendre qu’on pourra mettre fin à l’occupation et donner vie à la paix et à une coexistence entre Palestiniens et Israéliens, sur la base de deux peuples et de deux états. Mais nous, nous ne pouvons pas attendre les accords de paix, c’est pour cela que je suis ici aujourd’hui, pour agir immédiatement. »
La salle pleine a applaudi longuement, l’émotion était sur tous les visages. Mustapha Barghouti, fondateur du mouvement Mubadara, et Tania Nasser, une soprano palestinienne très longtemps réfugiée mais rentrée après les accords d’Oslo, ont remercié Baremboim. Hanan Ashrawi, très émue, a commenté : « l’humanité de Barenboim qui a osé démolir de nombreux tabous, est comme un immense cadeau pour les Palestiniens et l’humanité toute entière. »
Mais l’engagement de Daniel Barenboïm en faveur de la Palestine ne s’arrête pas là. Il a en effet déclaré qu’il allait mettre sur pied, d’ici cinq ans, un orchestre de jeunes Palestiniens, et a laissé en don au conservatoire de Ramallah son splendide « Steinway » désormais partie intégrante de la scène nue de la Friends School, encore marquée par les incursions de l’armée israélienne : « Il n’a pas été facile de franchir les barrières pour faire arriver le piano à Ramallah, mais l’injustice rend toujours la voix rauque. »
(Sources : Il Manifesto)
Commentaires et Mises à jour :
good idea
Re: good idea
Le travail magnifique de monsieur Baremboïm. Ramallah : sonate aux confins de la haine. Daniel Baremboim contre le
Les propos de D. Barenboim sont clairs et sans concession, comme ce fut le cas en Israël lorsqu'il reçut le prix Wolf (lire son discours sur : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/06/BARENBOIM/11249?var_recherche=Barenboim). Il ne mâche pas ses mots, reflets sobre et juste de la réalité. Les représentants d'Israël ont une attitude arrogante et rendent la vie horrible à des peuples-frères; c'est intolérable.
J'aime les juifs depuis toujours. Mais depuis quelques temps (déjà longs), certains déraillent; c'est mauvais pour l'ensemble. Merci, dans ce monde décadent, d'avoir des oasis bénéfiques qui offrent un espoir. Je suis convaincue de l'efficacité sans limite de « ne pas combattre contre » mais «d'oeuvrer pour » comme D. Barenboim le fait avec les notes musicales... et son charisme. Dorénavant, je suivrai ses démarches car voici enfin un humain qui oeuvre par l'humanisme!
Merci pour l'excellente qualité du concert de Ramallah et félicitations chaleureuses à tous les musiciens et à son chef.
Re: Le travail magnifique de monsieur Baremboïm. Ramallah : sonate aux confins de la haine. Daniel Baremboim contre le
Merci pour ce commentaire.
Je me suis permis de corriger votre lien qui n'aboutissait à rien.
Daniel Barenboim vient d'ouvrir son site personnel : voir ici.
Ce 21 août 2005 a de nouveau eu lieu à Ramallah le concert de l'entente israélo-arabe (article paru dans Le Monde)
Re:
Je connaissais le terme de Mench.... C'est toi qui me l'a appris dans une discussion précédente :-)
Apparemment, les hommes de bonne volonté n’intéressent personne. Et bien, moi, ce sont ceux que je préfère.