Depuis quelques temps, toutes les photos, toutes les scènes de vidéos ou de films qui, avec complaisance, étalent des couchers de soleil, des silhouettes noires parfois en contre-jour pour idéaliser le côté romantique de la situation, m’énervent, me donnent envie de tourner la page ou la tête. A travers un déluge de stéréotypes et avec le concours de la technologie, on a réussi à vulgariser, à banaliser jusqu’à la nausée ce splendide phénomène de la nature qui, désormais, s’est vidé de son existence pour s’enguimauver* d'un contexte de sentiments personnels invisibles et de toute façon impossibles à partager si on ne les a pas vécus. Quel dommage ! Quel gâchis !
A une époque où on vous fournit des bulletins météo toutes les cinq minutes, non pas pour le jour suivant ou le lendemain, mais pour la semaine, le mois ou la saison qui vient, bulletins d’une généralisation si inexacte qu'elle fait souvent enrager les hôteliers des climats tempérés et stresser le commun des mortels qui organisent leur vie sur ces prévisions, moi j’en suis revenu à la simple observation, bien plus juste, bien plus reposante, bien plus fiable, qui affiche une variété de signes et une délicatesse d’une telle ampleur, qu’on est bien loin des grossières classifications dans lesquelles on enferme désormais tout ce qui touche « le climat ».
Par exemple, ici, au centre de la Méditerranée, l’été dernier a été un été sans vent, absence tout à fait inusuelle au bord de la mer. A tel point que même les oiseaux l’avaient compris. Cette année, c’est l’été des hirondelles qui sont revenues en très grand nombre et des couchers de soleil flamboyants, un soir après l'autre, comme jamais depuis que j’habite ici. Alors, si je suis à la maison et si j'en ai le temps, je m’assois sur mon balcon et laisse que mon regard erre sur les couleurs qui naissent timidement puis s’enflamment, s’affirment ou pâlissent sur des contrastes qui se durcissent de plus en plus avant de sombrer… Ici, pas de contexte, contour, suggestion ou idéalisation ; ici, rien de banal, rien de fixé dans le temps, mais un grand quart d'heure de beauté absolue dont la nature vous fait cadeau, juste à vous, un soir unique dans la vie de l'univers.
* La langue italienne est une langue à la fois extrêmement rigide et accommodante : rigide dans l’orthographe et la syntaxe au point que la moindre erreur vous vaut une correction instantanée et même quelques moqueries, mais tellement souple du côté des néologismes qu’elle lui permet des nuances et une visibilité immédiate presque impossibles en français ou en anglais. Quoi de plus explicite que « s’enguimauver » ?!
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