Voilà un livre que tout le monde devrait lire ou avoir lu, qu’on soit États-uniens ou non, qu’on réside aux Etats-Unis ou non, ne serait-ce que pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons « aujourd’hui », vu que, sans grande mémoire, notre Europe emboîte sans peur le pas du « magnifique » libéralisme américain.
Dans ce gros bouquin d'histoire qui se lit particulièrement bien parce qu’il est clair, bien écrit, plein de citations mais sans notes en bas de page, Howard Zinn, professeur universitaire depuis 1956 et acteur pacifiste engagé pour la défense des droits civils, désacralise cinq cents ans d’Histoire officielle américaine intentionnellement mythifiée et restreinte aux « sauveurs » et aux « élites » tels que Christophe Colomb, les pionniers, les Pères fondateurs, Lincoln, Rockefeller, Roosevelt et autres dans un contexte matérialiste, sans oublier la fausse Révolution et la magnifique Constitution ; ceci pour passer du côté de la majorité des exclus dès la première heure, c'est-à-dire des Indiens, des noirs, des immigrés, des pauvres qu’ils soient blancs ou noirs, des femmes, des classes laborieuses, des minorités, etc., qui pourtant représentent 99 % du peuple américain. Une “histoire ”, comme il l’annonce, “irrespectueuse à l’égard des gouvernements et attentive aux mouvements de résistance populaire. Une histoire qui penche clairement dans une certaine direction, ce qui ne me dérange guère tant les montagnes de livres d’Histoire sous lesquelles nous croulons penchent clairement dans l’autre sens ”.
A ceux qui voudraient s’en faire une idée plus précise avant de se lancer (mais à mon avis ce n’est absolument pas nécessaire), je recommande la lecture de cette très bonne analyse que je partage, si ce n’est pour les allusions au conflit israélo-palestinien qui, à mon avis, sont un peu hors sujet.
Les résumés abondant sur la Toile, je me bornerai donc à ajouter les quelques réflexions personnelles.
1) De cette lecture, je suis ressortie profondément choquée, voire horrifiée. Même si les films et téléfilms qui nous arrivent des USA font déjà pressentir une culture de la violence, même si tout le monde est désormais au courant du rôle de déstabilisation que la CIA a joué et continue à jouer dans le monde, même si l’information qu’on peut facilement se procurer en parallèle depuis la diffusion d’Internet dévoile des réalités différentes des versions officielles, je n’aurais jamais imaginé que dans le pays que depuis des années on nous donne comme exemple de « La Démocratie » où David peut battre Goliath, UN seul riche puisse s’acheter légalement les services de la Garde nationale pour faire tirer dans les tas de grévistes-manifestants, ... pour ne citer qu’un exemple. Le prix payé par les Indiens (un génocide), par les Noirs (une déportation de 50 millions de personnes, l’esclavage) et par la grande majorité de la population (pauvres, minorités, femmes) qui a lutté et continue à lutter pour les progrès sociaux et l’égalité des droits est inimaginable.
2) Si j’avais lu ce livre avant l’an 2000, j’aurais certainement accueilli beaucoup plus sévèrement tout ce qui a fait scandale en Europe durant ces dix dernières années, comme l’élection douteuse de G.W. Bush en 2000, l’utilisation démesurée du
Tout à coup on découvre que cela n’avait/n’a rien d’extraordinaire, qu’il s’agit au contraire d’un système répétitif bien rôdé depuis 400 ans, que c’est la politique des gouvernements des USA depuis sa création, et que, même si jusque-là on mettait déjà en doute l’intégrité des USA, on était encore à des années lumières de la violence de la réalité.
3) Les plus avertis le savent sans doute depuis longtemps, mais ici, en Europe, le lecteur se découvre tout à coup comme l’une des proies faciles d’une poignée de riches américains, Démocrates ou Républicains c'est du pareil au même, dont la priorité n’est jamais ni la paix ni le bien-être, mais la suprématie de la puissance militaire des USA dans le monde afin de maintenir, toujours et partout, leur impérialisme que j’appellerais de la « porte ouverte », - celle des autres bien entendu -, pour pouvoir entrer, se servir quand bon leur semble, des biens et des gens.
4) Barack Obama. Bien sûr, ce livre n’en parle pas vu que la dernière édition s’arrête au deuxième mandat de Clinton. Mais il semble tout à coup que son élection soit sans importance, même si elle est le fruit d’une plus grande participation populaire, habituellement extrêmement faible (37% ?). Quelle propagande bien montée, et dans le monde entier ! Car aux USA et depuis les USA, c’est encore et toujours l’élite des riches capitalistes (1% de la population des USA) qui commande, depuis la création du pays et quel que soit son président, dont le pouvoir ne devient tel que s’il emboîte le courant. Donc, elle pouvait sans problème s’offrir un président noir qui apportait au pays un regain de popularité bien nécessaire, et ceci sans courir de risque vu que toutes les décisions contraires qu'il osera prendre seront soit jamais appliquées soit annullées par son successeur. Lincoln en est l'exemple le plus frappant.
C’est pourquoi Howard Zinn ne s’est jamais laissé entraîner par l’enthousiasme que cette candidature soulevait. Il en parlait comme d’un homme politique des compromis qui n’allait pas changer grand-chose, ni en ce qui concerne la guerre en Afghanistan ni en matière des politiques économiques et sociales. Il fera seulement, disait-il, « la moitié du plus grand mal qu’on lui demandera de faire ». Ayant compris depuis longtemps que tout ce qu’il y a de bon aux Etats-Unis, tous les progrès économiques et sociaux, sont toujours arrivés du bas de l’échelle à travers des luttes acharnées et terriblement sanglantes, il avait même déclaré au moment des primaires : « Voyez-vous, moi, cinq minutes pour aller voter pour Obama, je les perds sans problème, mais ce n’est pas le geste le plus important que nous puissions faire. Les gestes politiques importants sont ceux que nous accomplissons dans notre façon d’agir sociale, dans les rues et les mouvements. »
5) Une perplexité. Si moi aussi je suis tombée dans le panneau de l’enthousiasme lors de l’élection d’Obama, je suis cependant restée perplexe quand, en Norvège, on lui a attribué le Prix Nobel de la Paix 2009. Sur quelles bases vu que son mandat avait à peine commencé ? Mais là où ma perplexité a augmenté, c’est quand, en lisant ce livre justement, j’ai découvert qu’on l’avait attribué à Kissinger en 1973 après qu’il ait été l’inspirateur du coup d’état qui au Chili renversa Salvador Allende, à Jimmy Carter en 2002 après que durant son mandat en tant que président (1977-1980), il ait vidé les caisses nationales pour maintenir la puissance militaire et renforcé les alliances avec les dictatures de droite. Le prochain sera-t-il attribué à Bill Clinton qui s’est tout de suite affiché en première ligne suite au tremblement de terre en Haïti le 12 janvier dernier, après que durant ses deux mandats, il ait tout fait pour ruiner ultérieurement l’économie agricole de ce pays pour écouler les surplus américains ? Quels sont les critères de ce jury norvégien ? Les beaux discours ?
En conclusion, je répèterai ce que j'écrivais au début. Ici, il s’agit d’un livre que TOUT LE MONDE devrait lire, parce que son immense qualité, ce n’est pas tant de nous faire découvrir tel ou tel fait historique ou scandaleux qu’on ignorait jusque-là, mais bien de nous faire comprendre ce qui nous attend aujourd’hui que nos gouvernements sont presque tous aux service des riches, à l’américaine. Les gouvernements des USA, emblème d‘un capitalisme féroce, sans pitié, agissent toujours, partout et en tous temps de la même façon : pour la domination militaire absolue de la planète et pour pouvoir se servir de ce dont le pays a besoin, non pas pour le bien-être de l’ensemble de sa population, mais pour que l’élite la plus riche puisse conserver « la » suprématie et continuer à s’enrichir. Comme le répète Howard Zinn, L'Establishment est extrêmement habile à mettre les pauvres les uns contre les autres, la classe moyenne contre les déshérités, à utiliser les religions. Les imiter aujourd’hui en Europe, alors que le socialisme européen avait porté à la création d’une classe moyenne majoritaire, c’est imiter la politique des USA depuis 500 ans, celle des crises et des guerres à répétition qui enrichissent les plus riches, celle des différences sociales abyssales et des grandes masses de laissés-pour-compte. Si on attend que les secours arrivent d'en-haut, si on ne réagit pas alors qu’il en est encore temps pour défendre les acquis sociaux (un paradis par rapport aux USA) fruits de 200 ans de luttes, si on persiste dans l'individualisme, si on embrasse l’illusion qu’il suffit de se lever tôt et de travailler plus pour réussir, voilà la société qui nous attend.
Allez ! Lancez-vous dans ce gros bouquin, il est bon de se déciller de temps en temps. Moi, je regrette de ne pas l'avoir fait plus tôt. Pourquoi faut-il que ce soit la mort d'un auteur qui nous le révèle ?! En tous cas, s'il y a une chose de sûre, c'est que, la dernière page tournée, vous ne verrez plus la politique des Etats-Unis ou même mondiale de la même perspective et plus jamais le moindre film ou téléfim américain de la même façon.
P.S. Il paraît que quelqu’un aurait dit que "le capitalisme c’est un totalitarisme qui a réussi". Combien d’entre nous en sont-ils conscients ?
Un film que j’ai grande envie de voir : Cleveland contre Wall Street, pour compléter le tableau. (L'article paru dans Le Monde diplomatique)
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Commentaires et Mises à jour :
Emblématique !
Paru dans Le Monde d'aujourd'hui : Fini la peur, les riches ont la rage. A part le fait qu'un "e" complèterait bien "fini", voilà un article dont certains passages pourraient figurer comme citation dans le livre d'Howard Zinn si celui-ci avait eu l'envie, mais surtout le temps, d'y ajouter un ultime chapitre sur les suites de la crise de 2008 à propos de l'état d'âme actuel des riches aux Etats-Unis. Voici un extrait de l'article :
"(...) il y a une colère des classes moyennes, mais aussi une "rage des riches", comme l'a récemment cataloguée l'économiste Paul Krugman. "La vraie rage politique, celle qui amène des gens à comparer Obama à Hitler ou à l'accuser de trahison, n'allez pas la chercher du côté des Américains qui souffrent réellement. Vous la trouverez plutôt parmi les très privilégiés, ces gens qui n'ont aucune crainte de perdre leur emploi, leur maison ou leur assurance-maladie, mais qui sont littéralement enragés à l'idée de payer des impôts modestement supérieurs" à ceux qu'ils règlent depuis que George Bush leur a offert un bouclier fiscal de première classe, une "menace" qu'ils perçoivent comme un crime contre leur bon droit et contre l'Amérique telle qu'ils la conçoivent, écrit-il.
Ceux-là mêmes qui ont couru quémander la manne publique lorsque leur établissement financier était menacé, poursuit-il, sont aujourd'hui scandalisés que l'on entende légiférer sur le montant de leurs primes (une mesure que le milliardaire Stephen Schwarzman a comparée à l'invasion nazie de la Pologne...).
M. Krugman cite une enquête en "une" de Forbes, mensuel assumé des riches, qui présente le président Obama comme projetant de rabaisser la puissance des Etats-Unis au profit d'une ambition "kényane anticoloniale" dont il serait investi. De plus en plus fréquemment s'exprime cette vision d'un président étranger au rêve américain qu'eux-mêmes, les riches, incarnent, grâce à l'absence de contraintes (la "liberté") dont ils ont bénéficié depuis trente ans : de fait, nulle part au monde on ne compte autant de millionnaires proportionnellement à la population.
Le 9 juin, Dorothy Rabinowitz, membre du comité directeur du Wall Street Journal, expliquait que "l'identification du président réside ailleurs" que dans son pays. "Ses croyances et attitudes (...) sont à chercher dans les salons de la gauche mondiale et dans l'establishment académique où prolifèrent les radicaux et leur progéniture." Les mots, le style, tout y est. L'article était intitulé : "The Alien in the White House". En anglais, Alien signifie "étranger" mais aussi "étrange", "venu d'ailleurs". Voilà où en est le niveau d'une campagne politique quotidiennement menée dans les pages éditoriales du Wall Street Journal sur deux axes essentiels : la bizarrerie suggérée comme non américaine de ce président et l'hostilité à tout "accompagnement social" de la crise économique.
Le 21 septembre, le magnat Mort Zuckerman y attaquait la politique Obama visant à limiter (un peu) les expulsions d'emprunteurs immobiliers insolvables et à ne pas laisser s'effondrer les prix du bâti qui mettrait des millions de foyers américains sur la paille. Son alternative : laisser le marché "trouver son propre équilibre". Le 25, un membre du cercle ultralibéral Cato Institute y a affirmé comme "une évidence claire" que l'abaissement maximal de l'imposition des plus fortunés "produit plus de revenus sur le long terme" pour la majorité. Les chiffres de la dernière décennie aux Etats-Unis démontrent l'inverse, qu'importe... Deux exemples entre cent.
Contre l'imposition des plus riches, contre l'élargissement de l'assurance-maladie, contre la régulation des marchés, contre, contre... Il y a eu deux ans exactement, avec la faillite de Lehman Brothers, une peur panique s'était emparée des riches aux Etats-Unis. Aujourd'hui, la finance assainie et les bénéfices de retour, avec la confiance retrouvée est venu le temps de la rage."