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Une femme seule à pied en Iran (2)
--> Le récit d’un voyage interminable sans jamais prendre l’avion (Suite et fin)

"Après Ispahan et Shiraz, c’est le tour de Bam. C’est le point le plus éloigné que j’atteindrai. C’est aussi le plus chaud, avec un soleil qui tape sans interruption tandis que tu visites sa gloire principale : l’antique cité de briques faites avec de la boue. Des ruelles tortueuses qui montent et qui descendent et des murs si fragiles que tu te demandes comment il est possible qu’ils ne soient pas désagrégés sous le souffle des vents. Dans le lointain, d’entières étendues de palmiers dattiers, qui, à cause de l'intensité de la lumière, semblent indéfinies.

…………………………………………..

Le Pakistan ne se trouve qu’à 300 kilomètres d’ici : pour traverser une nouvelle frontière, il me suffirait de prendre encore un autre autobus pour arriver à Zahedan, capitale du Sistan, via le Baloutchistan, où se tiennent les courses de chameaux. Je ferme les yeux pendant un instant et je m’imagine en train de téléphoner à mon journal pour leur dire que je ne rentre pas, que je vais plus loin, du Pakistan en l’Inde, de l’Inde au reste de l’Orient. Quatre heures de bus, et je serais déjà sur la route de Quetta, au centre occidental du Pakistan.

Au lieu de cela, je rouvre les yeux, et il me faut prendre la direction de Yadz, la terre natale du président Kathami (il est d’Ardakan, à 60 kilomètres de la ville). C’est le début de mon voyage de retour, de Mahan où les adolescentes forment un cercle autour de toi et touchent tes vêtements comme si tu étais une extraterrestre, et te crient « I love you too much », jusqu’à Yazd, avec ses « badgir », tours de ventilation nées pour canaliser le moindre souffle de brise. Derrière moi, j’ai laissé le souvenir des minarets qui se balancent, à 7 kilomètres d’Ispahan. Ce sont les Minar Jomban et pour les faire osciller on a créé le poste de « Secoueur Officiel » de minarets, qui, avec un outil, fait en sorte de les faire osciller de la base jusqu’en haut.

Hommes et semblent heureux de rencontrer une étrangère, des gamines qui te suivent et te font cadeau de fleurs en papier, jusqu’aux couples qui veulent savoir quel travail tu fais (je dis à tout le monde que je suis secrétaire dans une compagnie de télécommunications ). On me prend deux fois pour une Espagnole, deux autres fois pour une Pakistanaise, une fois pour une Italienne et une pour une Arménienne. Dès qu’ils savent que je suis Italienne, ils disent toujours « Ah ! Totti et puis la mafia ». Toujours et seulement la mafia et le foot, ça m’énerve. Et je pense : « les mafieux, ils ont vraiment rendu un grand service à l’Italie ». Puis je me résigne : en fin de compte, tous les musulmans ne sont pas des fanatiques, et pourtant c’est ce que pense beaucoup de monde.

Les Iraniens connaissent l’Italie grâce aux antennes via satellites : il y en a dans presque toutes les villes. Ils regardent surtout RAI 2, y compris les filles aux cuisses nues qui dansent sur des rythmes estivaux, y compris ce qui se passe dans le reste du monde, les baisers, les  étreintes, l’habillement normal, les voyages. Ils te disent qu’ils auraient plaisir à recevoir tout le monde, à part, affirme un petit nombre, le peuple hébreu. Même les Américains ? Oui, les Américains leur plaisent beaucoup, mais ils détestent la politique des USA.

Les personnes les plus gentilles, je les trouve à l’hôpital, à Téhéran, où je suis contrainte à aller suite à une toux impossible. La première étape se passe aux Urgences ; puis dans la salle de radiologie et, pour finir, dans celle du médecin qui me visite. Une heure en tout, peut-être moins. Je me souviens encore de la fois où je suis allée à la Polyclinique de Milan : trois heures d’attente. La radiologue est une doctoresse, nécessairement couverte par son voile. Là, comme on le voit dans les films locaux, il faut toujours porter le voile, même si tu es sur un brancard et sur le point de mourir. A la fin de la visite, la doctoresse écrit à son collègue une lettre brève avec les résultats de ma radio : elle commence par « Dear » et se termine pas « Sincerely Yours ». Je pense : « tout comme en Italie ». Le dernier médecin est un homme, il a fait ses études en Angleterre (tout ce qui me concerne est écrit en anglais) et il me donne une série de chiquenaudes sur les joues. Face à lui, je suis complètement couverte, mais il me demande d’où je viens exactement et ses yeux brillent quand je parle de mon pays. Je lui dis que l’hôpital est très bien tenu et qu’il ne semble pas qu’il y ait une différence avec les hôpitaux italiens. Il ressemble à un paon qui fait la roue, il rougit et dit « Really ? » Je confirme énergiquement. 

C’est mon dernier jour en Iran, demain je prendrai de nouveau l’autobus : 48 heures de suite et je serai à Istanbul. Je sors des Urgences et je décide de m’enfiler dans un cinéma : je ne connais pas le farsi  (la langue du pays), mais ça n’a pas d’importance. Là, dans le noir je vois les mêmes choses que dans le monde entier : des familles avec des enfants (il faut réserver ses places) qui mangent quelque chose qui ressemble à du pop-corn, et des amoureux qui profitent de l’obscurité pour appuyer leurs têtes l’une contre l’autre.

 

Le Mont Ararat est de nouveau face à moi. Je suis dans l’autobus qui me portera à Istanbul et j’ai 48 heures à disposition pour compléter mon puzzle sur l’Iran. Un pays où les jeunes filles qui veulent s’habiller sans voile, exaspérées par un régime religieux répressif, vivent aux côtés de fanatiques qui, à genoux devant le Coran, chantent les louanges d’un Etat sexophobe et sans libéralité.

 

Je refais en sens inverse la même queue qu’à aller, et pendant quelques instants, j’ai l’impression d’avoir vécu dans un film dont on tourne rapidement le ruban pour me retrouver au point de départ. Cette fois, cependant, je ne suis pas contrainte à passer par la cage, mais seulement par un étroit corridor. Je passe la frontière juste après minuit. Nous les passagers, nous sommes déjà fatigués, et pourtant deux jours de voyage nous attendent.

Je suis partie à deux heures de l’après-midi du terminal de Téhéran, énorme, très bruyant, avec un gros trafic. Je vois les enseignes des autres destinations, les villes iraniennes sont toutes signalées par une sorte de toile d’araignée très dense en arrêts et en départs. De Téhéran, on peut même partir pour la Turquie, pour l’Inde ou pour la Chine. J’ai du mal à imaginer combien de jours je devrais me faire, enfermée à l’intérieur de ce rectangle motorisé qu’est un autobus, avant d’arriver en Chine.

Je voyage avec un groupe d’adolescentes, leurs parents, une vieille au visage couleur de terre brûlée et deux jeunes filles turkmènes : l’une d’elle montre une dent en or quand elle sourit d’un beau sourire contagieux. Il me vient à l’idée qu’elle serait un pirate parfait.

Les jambes croisées sur le siège, de l’eau à portée de main et des biscuits en vue dans mon sac, je me prépare aux longues heures d’attente avant d’arriver à Istanbul.

La première surprise arrive peu après la frontière. Nous avons à peine dépassé le Mont Ararat que deux puis trois gamines enlèvent leur voile. Elle regardent les adultes d’une façon hésitante, comme pour leur demander la permission, mais les grands ne disent rien. Ils croisent le regard de leurs filles, mais ils restent silencieux. Voilà, leurs cheveux sont libres : les filles enlèvent également les élastiques qui les tenaient attachés et les laissent tomber en cascades presque jusqu’à la taille. Elle bavardent sans arrêt – elles sont montées à mi-chemin entre Téhéran et Tabriz – et, à tous ceux qui sont présents, elles offrent des fruits secs, quelque chose à mi-chemin entre les noisettes américaines et les pistaches. Si tu refuses, elles insistent.

Il n’est absolument pas question d’aller dormir : dès qu’elles sont montées, dans leur radio, elles ont mis une cassette de musique locale, entraînante, allègre. Au début, elles tapent seulement dans leurs mains, sages. Mais, petit à petit, le rythme les prend et elles commencent à danser dans l’étroit corridor de l’autobus.

Les 48 heures se passent ainsi, en dansant et en mangeant. Le père de certaines d’entre elles a une caméra et il les filme. Les gamines – mais où sont passées leurs tuniques ? Dès qu’on a passé la frontière, elles l’ont enlevée et elles sont en débardeur et en pantalons – invitent tous les passagers à danser avec elles. Tout d’abord, ce sont les jeunes filles turkmènes qui s’y mettent. Celle qui a une dent en or semble être la plus enthousiaste. Je ne serais pas prête à le jurer, mais il me semble que je vois briller sa dent. Puis, c’est le tour des chauffeurs : celui qui ne conduit pas danse. L’un des deux est un spectacle à lui tout seul, je passerais mon temps à le regarder : on dirait Brutus (le rival de Popeye) qui fait la danse du ventre. Il a de grosses moustaches, et tandis qu’il bouge ses pieds au rythme de la musique, il est aux anges. Son ventre passe de droite à gauche au même rythme et il agite ses mains en l’air, comme si elles évoluaient. On m’invite également à danser, mais à la fin je désiste : tout compte fait, c’est bien plus beau de les regarder.

Nous sommes désormais à une distance prudente de Téhéran, de Tabriz et de la frontière. Les femmes aussi enlèvent leur voile, après avoir échangé des regards entre elles. Mais la tunique de rigueur, non. Elles la gardent sur elles, comme s’il s’agissait du seul vêtement possible.

La seule personne qui n’est pas prise par cette euphorie est derrière moi : il s’agit de la vieille femme, elle se lamente sans arrêt. On le comprend au ton de sa voix, même si ce qu’elle dit est incompréhensible. Le seul mot que je saisis est « money ». Il me semble comprendre qu’on lui a volé son argent à la frontière, celui qu’elle avait mis de côté pour son fils. J’essaie de lui dire que si elle veut, moi, j’ai un peu d’argent turque (très peu désormais), mais elle secoue la tête. Elle me regarde, se prend la tête dans les mains et continue : money, money. Puis, de nouveau, une litanie incompréhensible.

 

Abasourdis, nous arrivons à Istanbul vers midi. Mais déjà dès 7 heures je vois les gamines qui collent leur nez contre les vitres. Les autres sont en train d’allumer la radio, et la musique repart de nouveau. Elles recommencent à danser, même si désormais nous sommes sur une des grandes artères de la ville. Les voitures passent comme des flèches en dessous de nous, mais c’est sans importance : nous continuons à applaudir les ballerines en cadence. A un certain moment, un des hommes se rend compte que nous sommes sous les yeux de tout le monde et d’un geste rapide, il couvre toutes les fenêtres avec les rideaux.

 

Nous sommes arrivés, il n’y a aucun doute. (…) Sur un coup de tête, je décide de descendre dans l’hôtel qui est devant la gare des autobus. (…) Quand je tends mon passeport, le garçon de la réception me répond dans un italien parfait : « Bienvenue. Ah ! Vous êtes de Milan. » Je suis bien aux portes de l’occident, mon voyage est terminé. »

 

(Extrait de « Io, donna sola a piedi in Iran » de Lavinia Capritti, Il Nuovo, juin 2003)(photo)

(Traduction de l’italien par ImpasseSud)

 

 

Le premier épisode

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 25 Décembre 2003, 18:45 dans la rubrique "Récits".

Commentaires et Mises à jour :

ImpasseSud
26-12-03 à 14:23

Bam presque détruite!

Il ne reste presque plus rien de "Bam", avec sa citadelle déclarée patrimoine de l'humanité par l'Unesco, qui servit de décor pour le tournage du film "Le Désert des Tartares",  et à laquelle mon article d'hier renvoyait (voir la carte ici). Elle a presque été entièrement détruite cette nuit par un tremblement de terre d'une magnitude de 6,3 de l'échelle de Richter.
Voir l'article paru aujourd'hui sur Le Monde qui raconte l'histoire de cette ville qu'on restaurait depuis les années 50.

Sans vouloir m'étendre ici sur le grand nombre de morts et de blessés, en Iran, durant les 20 dernières années, il y a eu plus de 1000 tremblements de terre!


 
PierreDesiles
28-12-03 à 11:21

Re: Bam presque détruite!

Quelle tristesse!

Un tremblement de terre remet les compteurs à zéro après tant d'années de construction, de culture, de patrimoine conservé et restauré...

Des dizaines de milliers de morts, tout cela est cauchemerdesque et insoutenable à imaginer, surtout que la température est en dessous de zéro. Il y a quelques jours, je regardais un documentaire sur la 2ème guerre mondiale et en particulier celle qui opposa les USA aux japonais. Cela s'est terminé par ces 2 B A, et les ruines filmées ensuite ressemblaient étrangement à Bam après ce séisme. L'Homme pourra construire, remodeler le monde à sa façon, la nature reprendra toujours ses droits et je ne pense pas qu'il y ait de leçon à tirer de tout cela. Seule la chance de ne pas être là au moment de ces catastrophes, provoquées ou naturelles, peut nous sauver la vie. Le reste est une question de croyance, ou non, en un Dieu ou à la fatalité.

ImpasseSud, j'ai bien aimé cette histoire sur le voyage en Iran et le retrait des voiles islamiques dans le car, au retour en Turquie. Tu as posté cet article quelques heures avant la secousse fatale à Bam, quelle coïncidence!


 
ImpasseSud
28-12-03 à 14:38

Re: Re: Bam presque détruite!

Pierre, quelle coïncidence, en effet, car moi-même je n'ai découvert la beauté de cette ville qu'il y a deux ou trois jours, en faisant des recherches pour mon article.

> je ne pense pas qu'il y ait de leçon à tirer de tout cela

Je pense au contraire qu’il en y a une : les dégâts d'un tremblement de terre sont à nouveau une affaire d'argent, de pays pauvres (qui n'ont pas les moyens d'avoir des constructions antisimiques) et de pays riches (qui en ont les moyens) et ce sera le sujet de mon article d'aujourd'hui.


 
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26-04-04 à 09:09

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12-07-04 à 17:12

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