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Réflexion sur la « Journée de la mémoire »

photo du film "Le Pianiste" de Roman PolanskiJe ne sais pas s’il s’agit d’une impression, mais il me semble que la Journée internationale de la Mémoire de L'Holocauste du 27 janvier a été beaucoup plus marquée en Italie qu’en France. Ici tous les JT et la presse en ont parlé et reparlé, le 27 il y a eu une cérémonie officielle au Quirinal (siège de la Présidence de la République), le président de la Chambre des députés a publiquement qualifié d’« infâme » l’évêque lefebvriste négationniste réintégré par Benoît XVI (le pauvre homme !! A-t-il encore toute sa tête ?), on a été rechercher un bon nombre des actes de courage et de tolérance (1) de ces périodes de nazisme et fascisme et quelques survivants encore en vie, et on y a ajouté les documentaires les plus récents. En plus, David Grossman, justement, était de passage en Italie pour lancer son dernier livre (2) et honorer de sa présence cette Journée de la mémoire. Toutes proportions gardées, bien entendu, comment éviter, ne serait-ce que par la pensée, de faire un rapprochement entre les horreurs de l'Holocauste et la politique actuelle d’Israël contre les Palestiniens ?  « Parce ce que ce qui s’est produit récemment dans la bande de Gaza, nous met face à un miroir dans lequel se reflète un visage qui, vu de l’extérieur et s’il s’agissait de celui d’un autre peuple, nous ferait horreur », a reconnu David Grossman ce mois-ci dans un article publié en Israël sur Haaretz et repris ensuite par La Repubblica.

 

Mais « parler de l’horreur, ce n’est pas suffisant, et ça ne sert à rien si on le fait sans remonter aux raisons et aux complicités qui ont permis que cela arrive » ai-je entendu avant-hier de la bouche d’un homme sage.

 

Justement, samedi dernier, alors que j’attendais la longue interview relâchée par David Grossman à Che tempo che fa, à la télé on a passé, en bouche-trou, une suite d’images sonores mais sans commentaires sur les différentes manifestations de rues et places qui, ici en Italie, se sont déroulées en ce triste mois de janvier pour le Moyen-Orient, soit en faveur des Palestiniens, soit en faveur des Israéliens. Lasse de tous ces cris et de toutes ces déclarations absolues et définitives faites loin des missiles et roquettes et avec un appartement confortable et une famille intacte où faire retour, j’ai coupé le son mais continué à regarder. Et bien tous ceux qui hurlaient pour l’un ou l’autre camp avaient le même faciès haineux, y compris les enfants des manifestants pro-Palestine qu’on avait déguisés de façon macabre et dans les mains desquels on avait même parfois mis un mégaphone. Les enfants, encore une fois ! Que les adultes manifestent, rien de plus juste, mais est-il juste d’inciter les enfants à la haine dès leur plus jeune âge ? Mais quelle espèce de monde est le nôtre qui utilise continuellement ses enfants comme moyens pour arriver à ses fins ? Pour contester l’ordre, pour pousser à la consommation, comme bouclier ou comme instrument de diffusion du piétisme ou de la haine ? Ne devrait-on pas transformer la « Journée de la mémoire » en « Journée de la mémoire-réflexion » ?

 

A 21 heures, toujours à la télé, on proposait « Le Pianiste » de Roman Polanski. A vrai dire et même si, à mon avis, il s’agit d’un film excellent parce qu’il dépasse le stade des sentiers battus, après une journée aussi lourde de récits de souffrances je n’avais guère envie de le revoir. Mais le message double et contradictoire qu’il délivre sur l’imbécilité humaine face à la simple humanité, encore plus dans la beauté du final, fait que je ne l’ai pas regretté. Des films de cette qualité, il en faudrait un peu plus, et surtout qu’on les passe un peu plus souvent à la télé. Eventuellement, à la place des films où on magnifie la violence gratuite.

 

Alors, avant de m’endormir, je suis simplement retournée à tout ce qu’avait dit David Grossman qui pense que l’unique solution pour sortir d’un conflit sans fin, c’est qu’Israël instaure un dialogue avec ceux qui veulent sa disparition, avec Hamas : un dialogue qui se déroulerait sans doute sur plusieurs années avant l’obtention de résultats acceptables pour les deux parties, mais qui ramènerait des instants de paix avec la reprise d'une vie normale pour les assiégés, habituerait les enfants à l’idée de l’échange, empêcherait que naisse dans leurs esprits la croyance que la seule solution se trouve dans l'élimination de l’autre.

« Il ne faut surtout jamais laisser que  l’Etat, l’armée et surtout les mass-médias vous mettent les mots dans la bouche comme ils le font. Contrairement à ce qu’on croit, ces derniers ne sont pas faits pour s’adresser aux masses, mais utilisent leur pouvoir pour transformer les personnes en objets dont ils essaient de faire un ensemble, un chœur auquel les gens aiment se raccrocher. Chose dangereuse pour une démocratie. Dans un climat de ce genre, on doit absolument essayer de penser avec sa propre tête, être très critiques, très méfiants vis-à-vis de tout ce que nos hommes politiques, nos élites et nos médias essaient de nous vendre continuellement, car c’est souvent déviant et souvent ils se trompent. »

« Quand les gens croient être des victimes, quand ils pensent qu’il n’y a plus aucune solution possible, les mots peuvent représenter une alternative valable, ne serait-ce qu’en changeant son propre vocabulaire. Ce qui fait qu’on ne se sent plus prisonniers des vieux clichés et qu’on a la sensation d’avoir un peu d’espace pour se mouvoir. L’arbitraire face auquel on se retrouve devient légèrement différent. C’est comme si, en changeant de vocabulaire, on pouvait se repositionner face à tous ces arbitraires… »  David Grossman, extrait de Che tempo che fa du 24.01.2009

(Traduction libre de l’italien par ImpasseSud)

 

Ici, pour tous ceux qui ne comprennent pas l’italien, j’aurais aimé rapporter cette conversation en entier, tellement, entre passé et présent, elle est empreinte de sagesse et de justesse. Car à quoi sert une Journée de la mémoire si on se borne à parler des abominations du passé ? A mon avis, au contraire et d'autant plus si on n'a personne à pleurer personnellement, l’important c’est de se rappeler que les abus, les violences et les horreurs perpétrés par un Etat le sont toujours suite à un consensus populaire majoritaire, la voix blanc-seing qu’on a déposée dans l’urne pour un candidat qui a su accentuer et orienter vos peurs pour pouvoir jouer avec. S’il est important de se souvenir des camps d’extermination et de s’intéresser à tous ce qui se passe au Moyen-Orient, il est tout aussi important, aujourd’hui et ici en Europe, de ne pas perdre de vue ce qui se passe sous nos propres yeux, avec la renaissance de l’antisémitisme (3), la chasse aux sans-papiers que le gouvernement italien en place vient de transformer, dès qu’ils posent un pied en Italie sans permis préalable, en coupables du « délit  pénal de clandestinité », l’inhumanité des camps dans lesquels on les enferme soit disant pour les accueillir, l'infâmie qui voudrait obliger les médecins qui les soignent à les dénoncer aux forces de l'ordre ; l'horreur des conditions de travail au noir et des ghettos où on les confine implicitement quand on leur refuse des logements. Il est important de ne pas céder au racisme qui se cache derrière le doigt systématiquement pointé vers l’immigré ou le Rom en cas de crime, mais aussi à celui du fanatisme religieux. Il est important de conserver une bonne dose de scepticisme et d'apurer la part d'exactitude face à l’information dirigée qui vous lave le cerveau du matin au soir, etc., etc….

Bref, à mon avis, pour tout un chacun et encore plus pour les habitants d’une démocratie, il est important et même essentiel d’essayer de toujours penser, raisonner avec la tête et avec le cœur, où se cachent exactement les mêmes courages et les mêmes sentiments de justice qui permirent, non seulement aux héros dont on se souvient aujourd’hui, mais au grand nombre d'inconnus dont personne n’a jamais parlé, ne parle jamais, d’accomplir un simple geste d’humanité.
C’est en tout cas ce qui ressort des multiples idées qui se bousculaient dans ma tête depuis une semaine et que j'ai eu bien du mal à mettre noir sur blanc.

 


(1) Lire l'histoire du Campo di Ferramonti en Calabre, (en it., 1-2), le plus grand camp de concentration italien, où, malgré l'apparence d'un lager avec baraques et fils de fer barbelés et grâce à l'humanité et la tolérance du commandant des forces de l'ordre qui en assura la direction, les 2000 à 2700 personnes qui y furent internés entre juin 1940 et juillet 1943 (date à laquelle il fut libéré par les Anglais), en grande majorité des Juifs en provenance des pays du centre de l'Europe puis d'Afrique du Nord, eurent la vie sauve. En effet, à condition qu'aucun incident majeur ne vienne provoquer une inspection fasciste, il permit aux prisonniers de transformer le camp en une petite ville, avec un parlement interne élu qui servait d'intermédiaire avec la direction et partageait les subsides, des écoles de tous les niveaux, une synagogue, un dispensaire bien équipé avec des médecins qualifiés, une librairie, des centres culturels de toutes sortes, et même des permis de sortie, des ballades au dehors pour les enfants avec distribution de glaces (!), et un angle israélite au cimetière du village tout proche. Après la libération du camp, beaucoup de Juifs restèrent dans les parages car n'ayant aucune racine italienne ils ne savaient pas où aller, améliorant d'un seul coup la qualité de la vie de la population locale grâce au niveau supérieur d'instruction dont ils étaient porteurs. Après la guerre, un grand nombre réussit à s'embarquer pour la Palestine.

(2) Titre original : "Isha Borachat Mibsora" (A Woman Flees the News")

(3) Début janvier, pour protester contre l'offensive israélienne contre Gaza, un syndicat a été jusqu'à proposer de dresser une liste publique des commerçants juifs de Rome afin que les gens puissent les boycotter ! Heureusement cette idée a été accueillie par un tollé de protestations.

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Jeudi 29 Janvier 2009, 16:02 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

suzanne-r
29-01-09 à 18:54

Je méloigne peut-être un peu du sujet...

Mais je pense au livre de Marek Halter,
La force du Bien.

Des témoignages d'hommes qui ont risqué la mort pour sauver des vies.
Pourquoi l'ont-ils fait ?
Parce que !!!
En créant une "mémoire du Bien", Marek Halter nous donne l'espoir en l'homme.
Cet espoir qui nous permet de vivre !
Et comme il le dit :
"Il faut apprendre à gérer la mémoire, à en tirer ce qu'il y a de plus universel, ce qui nous rapproche ... au lieu de nous éloigner, ... de manière à prévenir les explosions."

 
ImpasseSud
30-01-09 à 07:51

Re: Je méloigne peut-être un peu du sujet...

Suzanne-r, quel plaisir de te revoir par ici !
Plutôt que de t'éloigner du sujet, je pense au contraire que tu as parfaitement saisi l'essence de mon billet. La mémoire ne sert à quelque chose que si, à travers le souvenir d'un fait historique particulièrement honteux pour l'être humain, on récupère la leçon, l'exemple de tous ceux qui s'y sont opposés simplement.... parce que.
Merci de m'avoir signalé le livre de Marek Halter, je vais l'ajouter à la liste de ma prochaine commande de livres en français.