Construire, au Soudan, non loin de Khartoum, un hôpital hautement spécialisé en chirurgie cardiaque, cela a-t-il un sens, avec la guerre civile qui perdure au Darfour et les camps de réfugiés où les gens meurent de faim ? Est-ce vraiment urgent ? Je pense que oui, et je vais expliquer pourquoi.
Les travaux sont bien avancés, et Emergency (1), puisque que c’est de nouveau de cette ONG dont je parle, en prévoit l’ouverture d'ici quelques mois. On s’imagine souvent que les cardiopathies sont un des fléaux liés à notre mode de vie occidental, ce qui est tout à fait faux surtout en ce qui concerne les malformations congénitales et les pathologies valvaires dues aux fièvres rhumatismales. Ce qui est vrai par contre, c’est que les personnes qui en sont affectées dans cette partie du monde ne peuvent pas être soignées, d'une part parce que la majorité n'en a pas les moyens, mais surtout parce que dans toute l’Afrique du Nord-Est qui, en plus du Soudan, comprend Egypte, Libye, Tchad, République Centrafricaine, Congo, Kenya, Ouganda, Ethiopie et Erythrée, il n’y a pas un seul centre qui soit équipé pour cela.
Emergency a donc entrepris de construire un hôpital de chirurgie cardiaque hautement spécialisé et d’en faire un centre régional gratuit au service de l’ensemble de ces populations. Il sera relié à un réseau de dispensaires disséminés dans les neuf pays voisins du Soudan qui auront pour rôle de détecter les cas les plus urgents à transférer à Khartoum. On prévoit environ un millier d'opérations par an, avec suivi post-opératoire de screening et monitoring, et la présence sur place d'une équipe internationale de grands spécialistes pour accompagner la formation de l'équipe locale des médecins afin que soient garantis le haut standard des soins et l'amélioration des qualités professionnelles de l'équipe soudanaise et celles des pays voisins.
Une autre optique
« Ces gens-là seraient-ils différents de nous ? Le droit à la santé ne fait-il pas partie des droits de l’homme ? » dit souvent Gino Strada, le chirurgien fondateur.
L’autre soir, alors qu’il rentrait des Etats-Unis où il va régulièrement à la recherche de matériel et de fonds, il a ajouté en gros : « Dans ce grand pays, 60 % des médecins est originaire de pays pauvres ou en difficultés. S’ils ne rentrent pas chez eux, c’est parce que chez eux, bien souvent, il n’existe aucune structure qui leur permette d’exercer leur profession au mieux tout en leur fournissant un salaire et des conditions qui leur permettent de vivre et de faire vivre leur famille. Alors, si on veut vraiment aider ces pays, il faut le faire en investissant sur la qualité la meilleure. Cet hôpital fournira non seulement des soins spécialisés d’une haute qualité occidentale, mais, en même temps, c'est une promesse sur l'avenir car il sera une source d’emplois annexes et deviendra le support d’une formation hautement spécialisée de personnel médical et para-médical qui pourra exercer sur place ».
Ce projet est audacieux, mais ce n'est pas le premier du genre. En 1999, en Afghanistan, en pleine zone de combat entre les moudjahidin de Massoud et les Talibans, Emergercy a construit dans un peti village (Anabah) et en cent jours un centre de chirurgie d'excellence pour "toutes" les victimes de la guerre. Aujourd'hui que la guerre s'est éloignée d'Anabah, à côté du centre de chirurgie qui s'est transformé en hôpital général, Emergency a construit un centre de gynécologie-obstétrique avec un réseau capillaire de dispensaires et de visites à domicile afin de répondre au taux de mortalité mère-enfant parmi les plus élevés au monde.
C'est la raison pour laquelle Emergency me plaît particulièrement. Sans « théorie prélable », elle est uniquement et sans cesse attentive aux besoins des populations, urgents mais tournés vers le long terme, auxquels elle répond d’une façon immédiatement efficace, excellente et complète. Non pas en débarquant de l’Occident avec des volontaires généreux mais peu formés, sans grande expérience et parfois une religion en prime, non pas en faisant l’aumône sous forme de dons ou d’assistance sporadique, ou, encore pire, en s’arrogeant le droit de se réserver les élites et de rejeter le reste, mais en construisant sur place et avec des spécialistes, directement au sein des guerres mais loin des armes, au coeur des drames mais en privilégiant les endroits ou les secteurs délaissés, avec du personnel local dans le respect des coutumes et religions mais avec une technologie occidentale d'avant-garde, non pas du provisoire mais du dur, du solide, de la très haute qualité, de la grande compétence, du concret, du stable, du durable dans l'adaptation selon les besoins, tout en formant du « personnel qualifié » (non pas d'autres volontaires) capable de prendre une relève de qualité pour répondre aux besoins grandissants.
En ce qui me concerne, j'ai, depuis toujours, la sensation qu'en dehors des périodes de catastrophe, le bénévolat a quelque chose d'humiliant pour ceux qui en sont l'objet car cela sent les "bonnes oeuvres", la dame patronesse", sert plutôt à se donner bonne conscience qu'à permettre aux autres de s'en sortir. A mon avis, la seule façon correcte d’aider les pays en difficulté, c'est de leur rendre l'espoir, de mettre entre les mains de ses élites un avenir de qualité (et non pas des fonds dans les mains des gouvernants), de façon à ce qu’elles puissent rester ou rentrer dans leur propre pays, en tirer de la fierté et générer pour leurs compatriotes une économie et par conséquent une qualité de vie à mesure d’homme qui remplace petit à petit les pis-aller communs à tous ceux qui essaient de ne pas mourir de faim. Cela part du même principe que le micro-crédit de Mr. Mohammad Ynus : voir la misère, la pauvreté, la guerre, la maladie à travers les yeux de ceux qui les subissent et non plus du point de vue, même comble d'amour ou de générosité, des bien-nantis-bien-à-l’abri-mais-au-pire-avec-un-lieu-de-repli qui croient tout savoir en matière de besoins, avec, qui plus est, un tas de grands raisonnements savants à la clef.
Ici, je suis partie d'un exemple (parmi tant d'autres) qui rappelle que les besoins essentiels sont universels, car il me semble bien souvent que notre société occidentale, entre progrès technologique, confort de base et avidité, l'ait complètement oublié, les confinant aux denrées alimentaires. Cependant, si tout comme moi on croit que notre avenir est lié à celui des plus démunis, alors il est grand temps de changer d’optique de façon radicale, qu'on soit une ONG, une association ou un particulier. Il faut absolument mettre les plus démunis sur pied d'égalité, ne plus se contenter de ce que j'appelle le « bonisme », qui ne fait qu'irriter et générer de la rancoeur, sans compter qu'il est la cause d'une dispersion incroyable de fonds et d'énergie qui n'aident personne tout en attirant les moins honnêtes. Et si on n'a ni l'envie, ni les capacités, ni le temps, ni la force, ni les moyens d'engager sa personne mais qu'on veut quand même faire un petit quelque chose pour créer de l'espoir, alors je crois qu'il faut absolument prendre le temps de faire un choix réfléchi, judicieux, et donner sa préférence à ceux qui oeuvrent dans le sens de la haute qualité.
(1) En savoir plus en français ici, Emergency étant une ONG italienne, pour la version en italien cliquer ici. Au Soudan, Emergency a déjà restructuré le centre de chirurgie d’urgence de l’hôpital universitaire plutôt mal en point d’Al Fasher, capitale du Nord-Darfour, et ouvert un centre pédiatrique à Mayo (1 - 2 ) dans les camps de réfugiés aux portes de Khartoum. En outre, Emergency est présent en Afghanistan, Iraq, Cambodge, Sierra-Leone et Sri-Lanka, mais est intervenue au Rwanda, en Algérie, Palestine, Angola, Nicaragua, Erythrée et Serbie.
Mots-clefs : Société, Emergency, Afrique, Immigration, Planète Terre, Occident, Sujets brûlants, Hommes de bonne volonté
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Le centre de chirurgie cardiaque est fonctionnel depuis avril 2007