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Union Européenne : 16% de son bilan annuel part en gaspillage délibéré
--> Voyage au sein d’un système aberrant... et tabou

Aller fouiner ou même s’infiltrer au sein des systèmes apparemment bien huilés et bien conçus, pour voir ce qu’il en est exactement, c’est la principale spécialité d’un journaliste italien, Fabrizio Gatti. A l’automne dernier, il s’est intéressé au Parlement européen, démontrant, chiffres à l’appui, comment l’Union européenne dilapide délibérément 300 millions d’Euros par an, entre Strasbourg et Bruxelles, en obligeant plus de 3.000 fonctionnaires et leur suite à faire la navette. Une organisation…. délirante, dont voici le détail.

 

« Il est plus de neuf heures du soir, il pleut et une file d’hommes et de femmes s’est formée devant l’aéroport de Strasbourg. Certains visages sont connus. Ils ne devraient pas être là, mais dans la salle des séances du Parlement européen, en train de voter. Mais aujourd’hui, Air France a eu une mauvaise journée, un avion en panne à Milan-Malpensa, une tempête de vent sur toute la France. De nombreux vols sont retard. Et ce n’est pas tout. Aucun autobus ne passe et pour rejoindre la ville il faut attendre un taxi. Encore une heure qui s'écoule. Non pas parce qu’il y a trop de monde qui fait la queue, mais parce qu’il n’y a pas de taxis. Il suffit de regarder les numéros de matricule : il n'y en a que quatre qui vont et viennent. Adieu dîner ! A dix heures du soir, pour une bonne partie des restaurants il est déjà tard et dans ceux qui sont encore ouverts, le garçon dit qu’il est navré, « mais la cuisine va fermer ». Pour finir, entre rues désertes et rideaux de fer baissés, on s’en tire dans un pub devant un bocal de bière et une petite assiette de cacahouètes.


Si l’avenir de l’Union européenne est en rapport avec la vitalité de sa capitale, il y a de quoi perdre son optimisme. Et cette soirée n’est même pas l’une des plus mortes, c’est la chronique d’une soirée quelconque, l’automne dernier, l’une des 12 fois par an où, à Strasbourg, le Parlement européen se réunit en session plénière : une semaine chaque mois, de janvier à décembre, du lundi à 15 heures au jeudi à 17 heures. Durant les trois semaines où les parlementaires européens et leur vaste suite sont absents, la capitale de l’Alsace est encore moins capitale. Elle retourne à la vie tranquille d’une ville de 275.000 habitants avec son histoire, antique et récente, avec sa mégastructure encombrante et coûteuse de bâtiments fantômes. Une cathédrale dans un désert complètement vide : l’hémicycle de 785 places, autant que les élus des 27 Etats de l’UE, plus les bancs pour les assistants, traducteurs, observateurs ; vingt-et-une grandes salles de conférence de 100 à 350 places ; treize salles de conférence de 20 et 60 places avec des cabines pour les interprètes ; treize salles de conférences sans cabines pour les interprètes ; les pièces pour les députés, secrétaires particuliers, fonctionnaires, traducteurs, journalistes, représentants de la Commission européenne et des gouvernements nationaux : en tout 2.650 bureaux meublés et équipés.  Plus les installations techniques, bars, restaurants et services logistiques. Elle coûte cher, la subdivision du Parlement européen en trois sièges : Strasbourg ( sessions plénières), Bruxelles ( mini sessions et activité des groupes politiques), et Luxembourg (gestion administrative, secrétariat, traduction des actes ).

 

Comme pour toutes les résidences secondaires, il serait bon, les habitants partis, qu’on éteigne les lumières, réduise ou éteigne le chauffage, ferme les portes à clef. Mais au Parlement européen de Strasbourg, ce n’est pas possible. Le personnel de la sécurité n’abandonne pas les bâtiments, et même les adeptes à la manutention restent au travail. Chauffage, illumination, ordinateurs et réseaux télématiques devront fonctionner à la perfection quand les parlementaires reviendront. On ne peut pas bloquer une séance plénière parce que les secrétaires n’arrivent pas à imprimer les actes qu’il faudra voter, d’autant plus que, pour chaque acte, il faut préparer au moins 785 copies traduites en 22 langues officielles. Et il en est de même pour le gigantesque siège de Bruxelles, durant la semaine où l’assemblée est réunie à Strasbourg. C’est ainsi que les caisses de l’Union européennes, c’est-à-dire les contribuables, sont contraintes à supporter le poids d’un double. Mais l’histoire ne s’arrête pas aux frais d’achat, de location ou d’entretien des bâtiments. Il y a la caravane du retour.

 

A 17 heures du jeudi de la séance plénière, à Strasbourg la démobilisation commence. En réalité, grâce au veto qu’Air France a opposé à ses concurrents et au maigre rendement de la ligne, les correspondances aériennes en partance la ville française sont si incommodes que beaucoup de députés partent avant, la session encore ouverte. Le vote terminé, les 1.500 assistants des parlementaires et des commissaires européens rassemblent leurs documents dans les caisses de voyage et s’apprêtent à rentrer en Belgique. Il en est de même pour les 1.745 fonctionnaires du Parlement européen envoyés par Bruxelles et Luxembourg. Plus de 3.000 employés de tous niveaux qui, tous les mois, se déplacent aux frais de l’UE, avec le remboursement du voyage aller-retour, habituellement un billet de première classe en train à 90 Euros qu’il faut multiplier par deux, plus l’indemnité de déplacement, plus les frais d’hôtel et de restaurant, un forfait de 160 Euros par jour ou la couverture totale des reçus, selon le contrat de travail ou les accords avec le groupe politique d’appartenance.

 

Les assistants, fonctionnaires et interprètes se déplacent sur leurs jambes, mais les caisses de documents, il faut les porter. Et ce n’est pas un petit boulot, d’autant plus qu’il y en a 3.400 et que chacune d’elles père 40 kilos. Ensuite, il y a les armoires, une centaine, à trois étagères parce que celles qui en avaient quatre se renversaient sur les porteurs. Entre caisses et armoires, cela fait 200 tonnes de papier, plus le reste du matériel, comme les uniformes des huissiers. Les caisses et les armoires sont chargées sur 20 TIR. Le voyage de 435 kilomètres dure sept heures et plus, cela dépend des chantiers sur les autoroutes. Le déménagement se déroule entre le jeudi dans la nuit et le samedi. Les caisses sont redistribuées dans les corridors sur les quinze étages du siège de Bruxelles, chacune d’elles devant son bureau respectif d’après les plaquettes d’identification sur les flancs et le couvercle. Et, le lundi matin, les archives sont de nouveau à disposition des parlementaires et fonctionnaires, jusqu’au jeudi suivant qui précède la session à Strasbourg. Alors, l’opération se répète, en sens inverse. Entre allers et retours, 24 fois par an, 120 fois durant les cinq ans de la législature : ce qui fait plus d’un million d’Euros de frais de transport. Avec le ping-pong de septembre qui a toujours deux sessions, parce qu’il faut récupérer la pause du mois d’août. C’est ainsi que le vendredi 31 août 2007, les camions repartiront de Bruxelles chargés des caisses et des armoires pour la session plénière du 3 septembre à Strasbourg, que le vendredi 7 ils ramèneront le tout à Bruxelles, que le vendredi 21 il reporteront le tout à Strasbourg et que le vendredi 28 ils ramèneront le tout à Bruxelles, d’après le calendrier approuvé par les parlementaires, chaque automne pour l’année suivante.

 

Au cour de cette transhumance en complet croisé, les caisses sont les protagonistes de gags et d’erreurs. Parfois, elle finissent dans un autre bureau que le leur, et ce n’est pas une mince affaire que de les retrouver parmi les 2.650 destinataires possibles C’est ansi que commence la chasse au trésor, presque toujours par courriel : « S’il vous plaît, quelqu’un a vu la caisse numéro …. ? » Avant elles étaient en fer, avec des coins affilés, et elles étaient la cause principale des accidents du travail des parlementaires et de leur suite : coups dans les chevilles, coupure aux mollets, sans compter les collants et les pantalons déchirés. Maintenant elles sont en plastique avec des formes arrondies. Et la plus grande de leur dangerosité, c’est quand elles se cachent entre les bureaux et les étagères et qu’elle font un croche-pied au premier député distrait. La substitution des caisses a, elle aussi, été douloureuse pour le budget du Parlement européen. Les « cantines », comme les appellent les assistants, ont un design étudié pour elles et elles ont coûté 840.000 Euros, 244 Euros pièce. Et comme le design est particulier, le Parlement a dû acheter 800 chariots spéciaux pour les transporter dans les corridors.

 

Ce 29 mars, au cours de la mini session de Bruxelles, Le Parlement européen présidé par l’Allemand Hans-Gert Pöttering a approuvé la ligne guide du bilan 2008, avec un passage qui risque de faire naître des controverses aussi violentes que celles qui ont accompagné l’échec de la Constitution Européenne : « Le Parlement est particulièrement préoccupé par les coûts dus à la dispersion géographique, en particulier par le nombre de missions entreprises par le personnel dans les trois sièges de travail », peut-on lire dans les lignes guide, « et il examinera la possibilité de mieux les rationaliser ».

 

Si on exclut les assistants des parlementaires, pour le seul fonctionnement administratif des Parlementaires européens en 2005, on a payé 71.369 jours de transferts entre les trois sièges. L’aller-retour entre Bruxelles et Strasbourg fait perdre deux demi-journées de voyage, c’est-à-dire une journée de travail, multiplié par 12 fois par an, multiplié par plus de 3.000 « employés », qui coûtent le triple aux contribuables parce qu’on leur paie les heures de service. l’indemnité de mission et les frais de train.

Mais combien cela fait-il, en gros sous ? Jusqu’ici le sujet est tabou. Les Europhiles ont peur de prêter main forte aux Eurosceptiques et d’irriter la puissante lobby parlementaire française. Durant la jeune histoire de l’UE, on n’a fait ce calcul qu’une seule fois, avec un résultat effrayant : on jette 16 % du budget total du Parlement européen en indemnités de transferts, salaires de personnels en excès, chauffage, locations et entretien de bureaux vides dus à la dispersion géographique des sièges. La relation remonte à 2002-2003 et porte la signature de Julian Priestley, alors secrétaire général du Parlement européen. L’étude de M. Priestley, sans prendre position, révèle entre autre que le coût des cinq jours de session à Strasbourg sont de 33 % plus élevés qu’à Bruxelles.
Tout le monde sait que la capitale belge serait la solution la meilleure, parce qu’elle est déjà le siège de la Commission européenne et qu’elle est mieux reliée au reste de l’Europe. Un sondage informel effectué auprès de 800 fonctionnaires le confirme : 750 d’entre eux ont voté pour l’hémicycle et les bureaux à Bruxelles. Mais les premiers qui refusent de l’accepter, ce sont les Français.  C’est ainsi que 78 millions d’Euros par an s’en vont pour la gestion des immeuble temporairement vides, 42 pour la maintenance des réseaux informatiques inutilisés, 22 pour le paiement d’un personnel momentanément inutile, 18 en indemnités de transfert pour les fonctionnaires du Parlement, 9 en frais divers, et 34 millions suite au dernier élargissement. Soit un total de 203 millions d’Euros par an, seulement pour le fonctionnement administratif.

C’est-à-dire que cette somme ne tient pas compte des millions d’Euros remboursés au Parlementaires et à leurs assistants, et pas même du coût en perte d’efficacité des 3.000 employés contraints à déménager leur siège de travail deux fois par mois. Si on sommait le tout, le gâchis s’élèverait à 300 millions d’Euros par an ou peut-être plus. Une dépense qu’on pourrait orienter vers d’autres buts.


Après la relation du secrétaire général, cependant, personne n’a jamais plus osé séparer les chiffres des différents points du bilan sur lequel elles sont étalées. Les bureaux administratifs du parlement se gardent bien de les révéler.  « Les chiffres actuels sont inconnus. », admet pour L‘Espresso le libéral allemand Alexander Alvaro. «  Nous comprenons la valeur symbolique de Strasbourg pour la paix en Europe. Mais si l’UE veut mûrir, il est important qu’elle élimine les gâchis d’argent et de temps. Strasbourg pourrait, entre autre, devenir le siège des réunions du Conseil de l’Europe, des gouvernements de l’Union. Ceci donnerait une tout aussi bonne exposition médiatique à la ville. »

 

Alvaro fait partie des promoteurs de la pétition lancée sur le site www.oneseat.eu. La longue liste de ses partisans va du ministre libéral suédois Cecilia Malmström à la socialiste hollandaise Edith Mastenbroek. Une alliance transversale qui comprend également les Verts anglais et italiens. En l’espace de quelques semaines, la campagne pour un siège unique a recueilli plus d’un million de signatures : d’après le Traité constitutionnel réfuté, un million d’adhésions aurait suffi pour proposer la question à la Commission.

La solution n’est pas simple. Le siège de Strasbourg est prévu dans les Traités. Et pour modifier les Traités, il faut un vote unanime de tous les Etats membres, y compris la France et le Luxembourg. Un accord avec le Grand-duché impose que, sur le total du personnel du Parlement Européen, au moins la moitié soit assigné au siège du Luxembourg. Entre temps, la France améliore ses correspondances terrestres avec le TGV qui, comme il y a quelques jours, a fait Paris-Strasbourg en 140 minutes, et ses pointes de 575 km/heure. Un record qui éloigne encore plus Strasbourg de Bruxelles, parce qu’entre les deux capitales européennes les quelques trains directs continuent à voyager à une vitesse italienne, avec une moyenne qui ne dépasse pas 80 km/heure.»

« Europeccati capitali » Fabrizio Gatti *, publié sur L’Espresso.

Traduction de l’italien ImpasseSud)

 

 

S’il m’est arrivé de rire en lisant ce récit presque cocasse avec ses trahumances, ses ballots qui vont et viennent indéfiniment et ses crocs-en-jambe sournois, il n’en reste pas moins que la moutarde me monte au nez, que je me demande où est passée l’Union européenne dont je rêve depuis de nombreuses années. Quelqu’un nous a-t-il raconté tout cela en 2005, à la veille du fameux référendum sur le Traité constitutionnel ? Tous les bénéficiaires de ce qui ressemble plus à une poule aux œufs d’or pour une minorité de privilégiés qu'à une instituion sérieuse susceptible de prendre des décisions pour 492 millions de citoyens, s’en sont bien gardés.

Ces jours-ci, j’ai aussi lu cela : "C'est pas à moi, cliente, de voler le métier de la caissière". 200.000 personnes, rien qu’en France, vont probablement perdre leur misérable salaire de caissier/caissière pour faire plaisir aux actionnaires des hypermarchés. Mais quel rapport ? me dira-t-on. A ceux pour qui il est invisible, je propose de vivre pendant un an sans biens personnels préalables et avec des difficultés de fin de mois. Je suis sûre que le rapport deviendra tout de suite évident, car des impôts, tout le monde en paie, même les plus démunis, même les chômeurs, à travers les impôts indirects comme la TVA par exemple, incluse dans les prix de vente de tous les produits, même celui du pain. 
Et pour finir, je me demande ce qu'on enseigne dans les grandes écoles
 depuis dix ou vngt ans, car ce ne sont certainement pas de simples bacheliers qui ont conçu un bazar pareil. 


Quel gâchis! D'Euros, naturellement, mais aussi d'intelligence, de temps, d'efficience, de confiance, d'espoirs, etc... : un véritable péché capital comme le suggère le titre original italien ! Depuis que j'ai lu ce reportage, je ne peux plus m'empêcher d'évoquer l'image de cette mouvance perpétuelle à chaque fois que des échos des « travaux » de l'UE arrivent à mes oreilles, à mon esprit. La voie du bon sens réussira-t-elle un jour à prendre le dessus ?

 

* Fabrizio Gatti est également l'auteur de "Io, clandestino" que j'ai traduit en français ici : "Bienvenue en Europe !"

 

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Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 18 Avril 2007, 13:44 dans la rubrique "Actualité".