Enchantée par La Jalousie d'Alain-Robbe-Grillet et par Enfance de Nathalie Sarraute, c'est avec confiance que j’ai attaqué ce roman de Michel Butor, symbole lui aussi du Nouveau roman, en rien rebutée par l'originalité du vouvoiement uniforme du récit et sans me sentir impliquée pour autant. Cet homme de 45 ans qui, à
Nous sommes en 1955. Directeur de la branche française d’une fabrique italienne de machines à écrire et par conséquent aisé, Léon Delmont se rend plus ou moins une fois par mois à Rome, à la maison mère. A chacun de ses voyages, il retrouve discrètement sa maîtresse, Cécile, belle jeune femme, intelligente, cultivée et agréable qui travaille pour un attaché militaire à l’ambassade de France, et qu'il a rencontrée deux ans auparavant dans le train qui l’amenait à Paris.
En ce matin pluvieux de novembre, cependant, ce n’est pas pour ses affaires qu’il monte dans le train de 8 heures 10 qui n’arrivera à Rome qu’à 5 heures du matin le lendemain, mais, dans un voyage surprise, pour aller annoncer à Cécile qu’elle peut se transférer à Paris, qu’il a tout arrangé, travail, logement, et qu’il a même décidé de quitter sa femme pour elle. Car si Cécile est libre, Léon est marié avec Henriette et père de quatre enfants. Durant ce long voyage inconfortable qu’il a choisi de faire en troisième classe en souvenir de leur première rencontre (mais aussi…. pour économiser car son billet ne lui sera pas remboursé), on va assister à la modification progressive de cette décision, mais surtout à une peinture du personnage par lui-même.
Je ne comprends vraiment pas comment ont fait la plupart des lecteurs dont j'ai lu les résumés pour s’apitoyer sur cet homme qui apparaît toujours plus égoïste et plus mesquin au fur et à mesure qu’on avance dans l’histoire. Il a tout à coup envie d’échapper à la médiocrité de sa vie ? Mais c’est lui qui est médiocre ! D’un côté une épouse qui a environ son âge et quatre enfants avec tout ce que cela implique, de l’autre une maîtresse jeune, belle et libre qui ne lui offre que des plaisirs, lui donne l'illusion d'être jeune et sans attaches : dans la décision qu'il a prise, moi je vois surtout une crise de la cinquantaine, et des plus classiques.
La petitesse de cet homme, on la découvre un peu plus à chaque tour de roue, où, tout en divagant sur le temps qu’il fait, les différents hôtes du compartiment, sur les gares que le train traverse et dont il connaît tous les noms et les arrêts, il nous livre, dans le but de faire le beau, des pensées toutes plus hypocrites et pitoyables les unes que les autres. Henriette, acariâtre ? Ce n’est sans doute pas facile de toujours faire bon visage à celui qui vous trompe à chaque voyage et invente des tas d'excuses pour ne pas rentrer à la maison. En tout cas, il n’y a que lui qui le dit et le répète, pour pouvoir jouer les victimes, car quand il fait en sorte qu’elle soit obligée de recevoir sa maîtresse chez eux (pour habituer les enfants, pour la préparer à moins souffrir !) il est franchement indisposé par le fait que les deux femmes, au lieu de se regarder en chien de faïence, au lieu d'exploser, éprouvent l’une pour l’autre une sympathie presque immédiate. Quant au bel arrangement qu’il va offrir à sa maîtresse, et dont il a décidé sans même la consulter, il consiste tout d’abord en une chambre de bonne dans la même rue et à deux numéros de son appartement, et un emploi quémandé « contre un salaire modéré » à l’agence de voyage où il achète ses billets, agence dont les fenêtres se trouvent juste en face de son bureau.
Brr… J’en ai froid dans le dos.
Ces vingt heures d'un voyage inconfortable entre Paris et Rome où chacune des villes joue un rôle important, on a vraiment la sensation de les vivre. Elles pèsent de plus en plus et je dois avouer que les cent dernières pages du livre ont fini par me lasser. Entre le voyage en cours, les retours au passé, les voyages précédents dans les deux sens et le cauchemar de descente aux enfers que notre Léon se met à faire à chaque assoupissement, il arrive qu’on ne sache plus où on en est. Une fatigue et une modification très bien illustrées sans aucun doute, mais Michel Butor est-il bien sûr que son héros ait quarante-cinq ans ? Moi, je lui en donnerais vingt de plus.
A lire, bien évidemment, car désormais il s'agit d'un classique.
Mise à jour du 15.06.2009
Le film : Récemment, j'ai eu l'occasion de voir le film qu'en a tiré Michel Worms en 1970 (il me semble qu'il n'est sorti qu'en italien et en anglais), avec Maurice Ronet, Emmanuela Riva et Silva Koscina : un film profondémment ennuyeux et qui date terriblement.
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