Quelqu’un a-t-il présent à l’esprit un des derniers numéros on-line de Libération, où était publiée la photo d'une jeune fille, prise lors de la manifestation de samedi dernier contre la loi qui pourrait interdire tout signe religieux ostensible à l’école. Elle montrait un visage extrêmement pur encadré par un voile candide, semblable à ceux que portent les Palestiniennes. Ce visage avait le type de beauté qui vous rend muet d'admiration, et qui pourrait appartenir à La Vierge à l'Enfant de Raphaël, mais avec des yeux byzantins, sombres, qui caractérisent les visages de Giotto. Dans son regard, cependant, la coquetterie était évidente, trasformant ce voile, non plus en un signe d’appartenance religieuse, mais plutôt en la parure d’une reine. Car, au point où en est arrivée la polémique, il ne s’agit plus d’un signe religieux, mais bien d’une pièce d'étoffe brandie comme défi.
D’un côté, on a ces quelques milliers de lycéennes - car c’est bien de cette catégorie qu’il s’agit - qui exhibent leur voile, en opposition avec leurs aînées de quelques années qui, plus qu’étudiantes sont souvent des travailleuses qui ont envie de le leur arracher. Elles affirment qu'elle veulent rendre évidente une foi qu’elles disent fervante - quand on sait qu'à cet âge elle est, au contraire, aussi fugace que fougueuse -, mais leur comportement ressemble plutôt à la prise de position systématique contre l'ordre établi qui caractérise les adolescents. Elles ont manifesté en France (mais surtout à Paris et à Marseille, n’hésitant pas à traîner derrière elles des fillettes de 5 ou 6 ans qu’elles avaient affublées d’un voile), et à Beyrouth devant l’ambassade de France. Quoi de plus beau et de plus fascinant, dans un pays démocratique, que de jouer les mystérieuses sous un tchador qui les recouvrent complètement, quoi de plus tentant que de se mettre en évidence dans une classe ? Quand on est adolescent, on aime la provocation et on joue volontiers son avenir, sans un regard en arrière.
Parmi les musulmans, je pense que l’on peut trouver trois types de réactions :
1) celles de ceux qui sont contre ces manifestations, car ils savent que « le voile ne fait pas la bonne musulmane » et que seule la laïcité peut garantir une parité avec les hommes ;
2) celles de ceux qui, frustrés dans leurs aspirations depuis des générations, voient une sorte de revanche dans cette manifestation à caractère islamique ; et, pour finir,
3) celles de ceux qui, ne voyant pas d’un bon œil l’émancipation féminine, sont contents de la réapparition de cet emblème de la soumission. Car, si derrière une rébellion scolaire il y a souvent la décision individuelle d'une adolescente, à la tête de celles qui sont descendues dans la rue il y a un homme, Mohammed Latrèche, dont les fins politiques ne sont pas précisément la "liberté de choix" des femmes.
Et pour compliquer un peu plus la situation, il ne manquait plus que l’intervention de Mohamed Sayed Tantawi, cheikh sunnite de la prestigieuse mosquée égyptienne Al Azhar, en faveur du respect des lois du pays d’acceuil. Déclaration qui n’a pas manqué de provoquer des remous dans le monde musulman.
De l’autre, il y a les centaines de millions de femmes musulmanes qui, dans le monde entier, regardent, médusées, cette poignée de jeunes filles qui semblent complètement inconscientes du tort qu’elles sont en train de leur faire. Car pendant que ces dernières manifestent, leurs sœurs du Maghreb, celles qui côtoient tous les jours l’intégrisme parfois le plus cruel, luttent pour obtenir la parité des droits (et obtiennent un résultat comme récemment au Maroc), ou font en sorte de conserver les libertés héritées de l’occupation française comme en Algérie et en Tunisie. Celles qui se trouvent en Arabie Saoudite, en Afghanistan, au Nigeria et ailleurs, où être de sexe féminin est une véritable malédiction, subissent les pires humiliations. Celles qui habitent en Iraq sont terrorisées par la potentielle abolition du code d’Etat de la famille en vigueur depuis 1959 - la loi la plus démocratique de tout le Moyen-Orient en ce qui concerne la femme et l’enfant -, contre un retour à la Sharia et son application selon l'interprétation iranienne, que Bush est en train d’échanger (avec la renonciation aux élections directes) contre une main mise permanente sur les puits de pétrole (« Bagdad vaut bien une sharia », titre Il Manifesto). Quant aux femmes iraniennes, leurs conditions sont telles que, même si elles peuvent poursuivre leurs études et obtenir un poste, elles n’ont aucun droit sans leur tchador, un mari ou un père.
Cette polémique alimentée par des opportunistes est désormais pourrie, de part et d’autre, et elle ne peut en aucun cas conduire vers une issue satisfaisante pour tout le monde. Odon Vallet écrivait dans Le Monde du 22 novembre 2003 :
Mais qu'y peuvent les pouvoirs publics ? Ils ne sauraient raisonner l'irrationnel ni tolérer l'intolérance. Ils n'ont guère prise sur les passions, et s'ils restent sereins on les traite de passifs. On exige d'eux une "loi sur le voile", mais il serait plus prudent d'en faire un rappel général du principe de laïcité. Celle-ci est, non un rempart contre des usages, mais une limite à leurs abus. Elle est orientée, non contre une communauté, mais pour la fraternité de ce peuple indistinct que le grec nomme laos. Il est ce que Paul Eluard appelle "la foule immense où l'homme est un ami". Et la femme, une amie.
Mais depuis lors, la situation s’est durcie, et l’histoire ressemble de plus en plus au dilemme du roi Salomon ou à un nœud gordien. Le gouvernement, devra probablement trancher dans le tas, par une loi.
France 3, au cours de la dernière de ses émissions du programme « Méditerranée » a proposé récemment une interview faite à une femme Yéménite, musulmane pratiquante mais qui habite depuis longtemps à l’étranger. Elle ne porte le voile que lorsqu’elle vient voir sa famille à laquelle elle est très attachée, afin de ne pas lui déplaire. Mais sa phrase conclusive est sans équivoque : « le voile n’existe que dans les mentalités, c’est le patriarcat qu’il faut combattre. »
Mots-clefs : Sujets brûlants, Femmes, Religions
Commentaires et Mises à jour :
Re: Bravo !
Merci Marco, pour ce commentaire chaleureux. Je dois avouer que je n'aime pas beaucoup le type d'information actuelle, où on te dit du matin au soir ce que tu dois penser, toujours pour te tirer d'un côté ou de l'autre. Je suis plutôt de celles/ceux qui préfèrent voir la situation dans son ensemble, pour ensuite s'en faire un idée.
Pour la mise en page, je savais qu'elle était de Bi-rewt, et j'ai presque envie de l'adopter. Mais n'étant pas une experte des maneouvres informatiques, j'ai un peu peur de me lancer. :-)))) On verra.
Lien croisé
Merci
c'est just des sentiments égoîstes
Re: c'est just des sentiments égoîstes
De toute façon, mon billet n'avait pour but que d'analyser un état de fait.:-)
Re: Bravo !
je sui une élève marocaine dans un lycéefrancais a rabat où le port du voile est interdi.
je le porte à l'extérieur du lycée et je peux vous dire que je ne l'ai pas mis pour me différencier des autres...cela ne me rapporte d'ailleurs que des problèmes...
Re: Re: Bravo !
Personnellement, n'étant pas musulmane, j'évite comme je l'ai fait dans cet article, mais aussi comme je l'avais fait ici, d'émettre une opinion tranchée qui n'est pas de mon ressort. Je pense cependant qu'il y a une grande différence entre un lycée français en France et un lycée français au Maroc. Et je suis très surprise qu'on y applique la même loi qu'en France, et désolée pour les problèmes que cela te cause.
désolant
Re: désolant
Nayla, merci pour ton intervention. Mais je pense que tu devrais relire mon billet, car il me semble que tu ne l'as pas bien compris. Ici, je me contente d'analyser la situation telle qu'elle est dans son ensemble, pas les cas particuliers.
Et si tu as un moment, vas lire cet article : France : Quatre femmes musulmanes reprochent à la gauche son racisme à l'envers
Re: Re: désolant
Re: désolant
Pourquoi donnez-vous à Impasse Sud des intentions qui sont le contraire de ses intentions déclarées?
> Je ne comprendrai jms pourquoi les gens s'obstinent a détruire l'islam
Détruire, en voilà un grand verbe. Vous le pensez sérieusement?
Re: Re: désolant
Nayla,
J'ai effacé votre dernier commentaire parce que désobligeant et franchement polémique.
Quand j'ai écrit cet article en janvier 2004, la France était divisée en deux et chacun donnait son opinion. Moi, j'ai essayé de faire une analyse impartiale de la situation, dans le plus grand respect et sans aucun jugement, en tenant compte de "tous" les points de vue possibles. Et il semble que les quelque 3000 visiteurs qui l'ont lu l'ont compris vu que, jusqu'à présent et bien que le sujet soit toujours brûlant, personne n'avait jamais laissé de commentaire intolérant.
Vu que pour moi et comme je l'ai écrit dans un autre article, la tolérance est un "confort" auquel je tiens particulièrement, je remercie donc tous ceux qui sont déjà passés par ici et ont su comprendre le ton de mon billet, mais aussi tous ceux qui passeront en espérant qu'eux aussi le comprennent. Mais, pour l'instant, je me vois contrainte, - et j'en suis profondément désolée -, de vérouiller les commentaires.
Bravo !
Rien n'est jamais blanc ou noir dans la condition humaine, mais cette fiction manichéenne sert surtout les intérêts de ceux qui se servent de la foi et des signes des autres pour imposer leur pouvoir et leur égoïsme. Ce que, d'ailleurs, tu montres bien dans ce texte magnifiquement écrit.
Merci aussi pour ton compliment sur la mise en page de mon site, mais tout le mérite en revient à Bi-rewt qui a fait un travail splendide.
A bientôt,
Marco.