Ceux qui s'intéressent aux suites du séisme du 6 avril 2009 relatées sur ce blog se demandent certainement : mais tous ces gens-là, relogés à moitié ou pas relogés, pour la plupart sans travail à côté d’une ville morte, comment vivent-ils ? Comment s’arrangent-ils ? Pour l’instant, au cours de mes recherches, j’ai retenu deux ou trois récits. Voici le premier.
« Les villes sont faites de vie et de pierres, d’hommes et d’immeubles. Ici, il n’y a plus que des gens », écrit Ferrucio Sansa sur Il Fatto quotidiano. Ils restent l’un près de l’autre, unis sous ce nom, L’Aquila, par besoin d’appartenir à une communauté. Mais combien de temps cela durera-t-il ? L’Aquila est en train de mourir.
Si on la regarde aujourd’hui, le matin, quand la vie se réveille, elle ressemble à une fourmilière sans couvercle : des milliers de personnes, des voitures qui tournent sans direction précise. A chaque croisement, un embouteillage.
L’état d’urgence, la vie sous les tentes de la Protection civile, est presque terminé. Les journalistes s’en sont allés. L’Aquila est restée seule, avec ses habitants qui agitent des drapeaux noirs et verts, qui répètent un nom sans qu’on ne sache plus exactement à quoi il correspond. A chaque fois qu’elle dit son nom, Giuseppina Tagliavento, une retraitée de 74 ans, lève les yeux vers la colline du centre historique. Mais là-haut, il n’y a que des immeubles emballés dans des échafaudages.
A présent, L’Aquila est éparpillée sur des dizaines de kilomètres carrés avec ses habitants. Le Tribunal se trouve dans un immeuble bleu électrique qui ressemble à la maison des Schtroumfs. Nous voilà à Bazzano, une commune à cinq kilomètres entre les champs aux taches rouges des coquelicots et une étendue de concessionnaires de voitures. Il faut du temps pour le trouver. Au premier essaie, tu t’enfiles dans un supermarché, au second dans un magasin d’articles de jardinage. A la fin tu vois un drapeau tricolore au vent et tu trouves des juges et des avocats en robes qui tournent dans des bureaux au milieu des champs.
On aurait presque envie de sourire de la capacité d’adaptation de L’Aquila qui refuse de se rendre. Puis, tu te rends compte que tout cela n’est pas le début d’une renaissance, mais plutôt le début d’une fin : l’urgence est en train de glisser lentement dans la normalité, le provisoire devient définitif. Le danger, c’est que le cœur des gens abandonne lui aussi le centre historique.
Il suffit d’une journée pour le comprendre. On vit désormais dans sa voiture. Camilla Inverardi est architecte, comme son père : « Mon appartement et mon bureau étaient en plein centre » raconte-t-elle. Elle essaie d’en sourire : maintenant son bureau est en pleine campagne. Les ennuis continuent dès que tu te mets à la recherche des bureaux de l’administration publique pour présenter un projet : « Où est le bureau de l’adjoint aux Activités productives ? », demande Camilla à ses collègues. Il se trouve dans une copropriété de la périphérie, au-dessus d’un supermarché. Les bureaux de la municipalité sont éparpillés de Coppito à Torrione. Pour les trouver, il faut appeler un standard téléphonique, mais la situation change tous les jours. « Et le siège de la Province ? » « De nombreux bureaux se trouvent encore dans des conteneurs » raconte Massimo Cialente, le maire de L’Aquila.
Essayez donc de vous en sortir. Les entreprises avec lesquelles vous travailliez n’existent plus, transférées ou fermées. Mais les habitants de L’Aquila sont ainsi faits, sérieux comme ceux qui vivent au milieu des montagnes, mais capables d’étincelles d’ironie, ennemis de la commisération. Alors le nouveau bureau s’appelle « Terrae Mutatae ». Pour la pause-repas, on va au café de la famille Specchio. Il s’est écroulé, mais on s’y retrouve dans une maisonnette en bois ou en train de manger pain et saucisson sous une pergola. On ne te parle de la nuit du 6 avril que si tu poses la question, et ils essaient de sourire, - les yeux humides cependant -, en racontant comment Sandro Verlinghieri a sorti sa fille vivante de dessous les décombres et... en pyjama et recouvert de ciment, il s’est précipité sur l’autoroute vers l’hôpital de Florence.
L’Aquila ne trouve plus son centre, on dirait qu’elle a été dessinée avec un compas qui a perdu son pivot. Il faut toute la ténacité des gens pour ne pas laisser tomber. Avant, tu allais Corso Vittorio Emanuele et tu trouvais de tout. Il y avait le bar Eden et le Bar del Corso avec son salon de thé où des générations d’Aquilani se sont rencontrées. Maintenant les vitrines sont pleines de poussière, rendues inaccessibles par une grille métallique. « Mes amis sont éparpillés une peu partout, et moi je n’ai pas de voiture », dit Emilio Granito, retraité des Postes, en haussant des épaules maigres sous son veston. Il tourne dans les rues de Pettino, mais il ne sait pas à qui parler du match Italie-Paraguay. Dans cette périphérie qui a poussé comme un champignon sur la faille du tremblement de terre, tu ne trouves pas le moindre commerce ou café, sur des kilomètres. Voilà un autre problème : les personnes âgées.
Pas seulement elles, cependant. L’Aquila était une ville jeune, universitaire. C’est un miracle que sur les 27.000 étudiants il en soit resté 22.000. Mais c’est dur : les salles de cour et les instituts sont dispersés un peu partout. Le problème, le plus gros, cependant, c’est celui des chambres. Ceux qui en ont les moyens ont trouvé quelque chose dans les villages des alentours. Les autres font des allers-retours. « Le vendredi soir, c’était un spectacle, des milliers de jeunes en train de manger et de s’amuser », raconte Giulia, 18 ans, étudiante en ingénierie, tandis que nous marchons Via del Corso. Elle parle comme si elle écoutait encore l’écho de ces voix. A midi, au contraire, le silence est tel que tu entends ta respiration.
Voilà Palazzo Quinzio, ensuite on s’enfile Via Bafile. Ici, il y avait la librairie Colacchi, depuis 1938 : 40.000 volumes sur des étagères en bois. Maintenant, elle se trouve dans un centre commercial. Panarelli, Piazza Palazzo, où L’Aquila qui compte achetait ses vêtements, est désert. Tout comme Sista, Mazzatti et Sordini. Là, tu venais pour acheter ou coller ton nez aux vitrines. Ils se sont tous transférés dans une construction qui devait servir de garage.
Des beaux vêtements, on en trouve encore, mais ce que tu risques de ne plus trouver, c’est L’Aquila. La vie s’est transférée dans les Centres commerciaux. Et le soir on va Viale della Croce Rossa [photo de gauche, surnommée baraccopoli, NdT]. Maintenant, en ces nuits où le vent des montagnes amène les parfums des prés, les jeunes se rencontrent dans la grosse rue où il y avait des entrepôts et des marchands de pneus. Là, restaurants, cafés et pub ont réussi à renaître. En voyant Mario et Lucia qui s’embrassent sous l’enseigne d’un pompiste, tu penses que la vie est plus forte que la tragédie. Mais ce n’est pas vrai, tout du moins pas complètement. C’est le tremblement de terre qui a gagné : il a emporté la foule bruyante qui, le dimanche matin après la messe dans le dôme, se répandait sur la place. Adieu également au Théâtre communal avec ses loges où tu cherchais les visages de tes amis : pour les spectacles il n’y a plus que « il ridotto ». Pour les concerts, on va à la Caserne de la Finanza à Coppito. Ça fait un certain effet de voir les gens qui arrivent pour un quartette : des femmes en robes de soirée, des hommes en costumes sombres. Ce n’est pas seulement une question de style, on cherche à sauver l’idée de la communauté.
En attendant, cependant, chaque soir à onze heures, l’armée ferme les grilles d’accès au Corso Veneto. La ville reste seule, avec une meute de chiens sauvages qui montent la garde. »
Ferruccio Sansa, « L’Aquila sta morendo », publié sur Il Fatto Quotidiano le 20 juin 2010.
(Traduction de l'italien par ImpasseSud)
P.S. Encore un petit clin d'oeil sur L'Aquila d'avant, avant de replonger dans la triste réalité.
Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila
Mots-clefs : L'Aquila, Planète Terre, Italie, Société
Commentaires et Mises à jour :
Re: Quelle tristesse !
Pierre, merci pour ces liens, mais il s'agit d'infos parties une fois de plus d'Internet, sans aucune investigation ni apuration.
Comment peut-on répéter comme un perroquet que Bertolaso a résolu le problème des ordures à Naples quand ce n'est pas vrai ! (Voir Naples et pourrir) Parce que c'est Bernenou qui l'a dit à ses télés ? Idem pour tout ce qu'il a fait : dans tous les "bienfaits" dont il serait l'auteur, moi je ne sais que trois choses : c'est qu'il sert son maître au doigt et à l'oeil, qu'il claque des sommes de fric énormes, celui des contribuables bien entendu, en favorisant le business de "la caste" (de gauche comme de droite, celle du gros business politique) et de ses proches, et qu'il a sa part de responsabilité dans les 308 morts de L'Aquila où pendant 3-4 mois de secousses prémonitoires il a continué à répéter qu'il n'y avait aucun danger, n'a préparé aucun plan d'urgence et a même porté plainte contre un technicien géologue qui annonçait un phénomène imminent. Quand on est corrompu dans l'âme, la suite va de soi. Des "grands hommes" de cette espèce, on s'en passerait volontiers.
Comment peut-on parler de "démantèlement" d'un réseau mafieu quand on arrête 4 mafieux et que derrière chaque mafieu qu'on arrête avec emphase bien entendu, sous l'oeil des caméras, il y a tout un clan qui continue à faire des affaires locales et internationales et des pouvoirs politiques douteux ? C'est bien mal connaître la question. En plus, bonne partie de ces gens-là est dehors quelques jours plus tard ou bien souvent deux mois plus tard pour des retards de procédure !
En Haïti il ne se passe rien de positif non plus : comme je l'ai déjà dénoncé ici, les ONG continuent à détruire le peu de tissu économique et social qui existait avant et personne ne verse les fonds promis à Montréal le 31 mars. Quand le remède peut tuer le médecin, Promesse, Six mois après le séisme Haïti reste un champ de ruine, En Haïti la reconstruction patine. Quant à L'ONU, si le MINUSTAH, la FAO, l'USAID et autres, installés sur place depuis des années n'ont pas réussi à changer les choses avant le séisme, que faut-il penser des "grands projets" qu'ils annoncent dans le chaos actuel ?
Rien de surprenant d'ailleurs, vu qu'à L'Aquila 60% de la population attend encore d'être relogée 15 mois après et que seuls 4 pays ont honorés leurs promesses : France, Kazakstan, Russie et Allemagne. Les promesses d'Obama : des promesses de capitaines ? Et quelle esbroufe que ce Bill Clinton en Haïti !
Ce soir, je suis vraiment très très pessimiste, Pierre. Le fric pourrit tout, et depuis que le libéralisme l'a libéré, on a libéré tous les grands et petits margoulins de cette Terre, qui dans chaque catastrophe, crise, malheur voient tout d'abord une opportunité de business, de spéculation. Nous avons vécu des années de socialisme absolument exceptionnelles, mais aujourd'hui, malheur à ceux qui sont frappés ou rejetés en marge, car la solidarité, sauf dans de belles exceptions bien entendu, soit tourne à la dame patronesse soit n'est plus qu'un effet de langage. Et la solidarité sans justice...
Re:
Merci ImpasseSud, pour ces précisions. Je voulais simplement mettre en avant l'aveuglement des journalistes par media interposés et il est franchement dommage qu'ils se contentent de diffuser des infos non vérifiées aseptisées par le pouvoir en place.
Je suis un peu comme toi, désemparé par ce monde du fric et du pouvoir. Ce matin les premières nouvelles internationales sur RFI parlaient des manoeuvres près de la Corée du nord et qui semblent agacer ce nid de guêpes fortement armées, avec menaces de riposte nucléaire. Les USA jouent-ils avec le feu ? Voir les video :
Puis on annonçait une nouvelle pression sur l'Iran http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/07/26/97001-20100726FILWWW00483-iransanctions-les-usa-satisfaits.php
Jusqu'à quand pourra t-on contenir les ardeurs de ces dictateurs ?
Dès fois il est bond de faire l'autruche, en se coupant de toutes les sources d'informations, pour se consacrer uniquement à du concret qui est bon pour soi et partagé avec ceux que l'on aime.
:-)
Re: Re:
Cher Pierre, ta dernière phrase n'est "théoriquement" pas fausse, mais dans le cas présent elle me laisse perplexe, tout comme tes liens d'ailleurs.
Mon billet parle de la vie des sinistrés à L'Aquila et d'une ville médiévale-joyau en train de mourir. Crois-tu vraiment que les Aquilani qui attendent d'avoir un chez-soi, des réparations depuis 15 mois, une reprise économique et un travail pour ceux qui l'ont perdu, attendent de récupérer leur centre ville et le départ d'une REconstruction ait la moindre possibilité de faire l'autruche ? Ou de se préoccuper des tyrans de la Corée du Nord, de l'Iran ou des caprices d'Obama ?
Avoir le droit de faire l'autruche, somme toute, c'est un luxe réservé à ceux qui en ont les moyens et le temps. La perception de la notion de tyran et de dictature est relative, tout du moins dans nos pays occidentaux, par rapport à ce qu'on avait l'habitude de vivre avant. Pour les Aquilani qui habitaient une ville d'art magnifique, pleine d'étudiants et à mesure d'homme, aujourd'hui il est assez difficile de faire l'autruche dans une chambre d'hôtel ou de caserne, dans un garage-refuge, un camper, une roulotte, un conteneur, une baraque, entassés chez des parents ou dispersés à des dizaines de kilomètres, ou même isolés loin de tout et de tous ceux qu'on connaissait dans les HLM-CASE avec leurs appartements tous identiques qu'ils n'ont pas le droit de personnaliser, avec comme seuls échappatoires une route de Zone industrielle entre des entrepôts ou un Centre commercial.... avec l'oblogation de payer les arriérés d'impôts et de remboursement de prêts pour acheter des maisons, des appartements dont on ne possède plus que des ruines.
Très emblématique la sélection des candidats/dates au prochain Loft Story/Big Brother parmi les sinistrés de L'Aquila, sous une "tente" où un grand nombre de jeunes n'a pas réussi à trouver le courage de s'enfiler. 160 candidats mais qui, malgré leur âge, ne parlent que de tremblement de terre. C'est ce qu'a déclaré une des personnes qui fait passer les auditions : "on voit que ces gens-là sont encore traumatisés par cette tragédie. Parfois, plutôt que de faire ce boulot, j'ai l'impression d'être devenue assistante sociale".
Où se trouve le "concret bon pour soi", dans tout cela ? Une catastrophe naturelle est une catastrophe naturelle, mais il y a une féroce dictature dans le fait de tuer l'espoir de s'en sortir. Malheureusement, c'est ça l'Italie conformiste d'aujourd'hui, elle n'a plus grand chose à voir avec celle que j'ai connue. Alors moi aussi j'ai du mal à faire l'autruche, même si je continue à apprécier les bons moments avec ceux que j'aime.
:)
Quelle tristesse !
Merci, une nouvelle fois, ImpasseSud pour ton éclairage.Mais où est-tu Bernenoujuskou ? Le monde entier pense que tout est règlé dans ce grand pays qu'est l'Italie, mais on ne voit que la scène et non les coulisses ! Des scoop, de ci, de là, bien orchestrés et mis en scène par les médias d'Etat, pour dire que tout va bien. Quand le monde va t-il ouvrir les yeux sur les "après catastrophes" ?? Il y a un programme mondial pour Haïti compréhensif pour un pays très pauvre http://www.ht.undp.org/
mais pour l'Aquila après ce désordre http://www.lepoint.fr/actualites-societe/2010-02-10/italie-le-heros-de-l-aquila-accuse-de-corruption/920/0/422755
et celui-ci
http://www.2424actu.fr/actualite-internationale/un-reseau-mafieux-demantele-a-l-aquila-1150088/#read-1150088
http://www.lenouvelliste.ch/fr/news/international/news.php?idIndex=3&idContent=213112
Quelle image donnée aux donateurs ?
As-t'on des résultats positifs de reconstruction pour les habitants de l'Aquila et non pour la galerie? J'ose espérer...
:-)