Je viens de lire un excellent article dans l’hebdomadaire italien L’Espresso, qui fait un tour d’horizon « japonais » sur toutes les créations et recherches effectuées dans ce pays en matière de robotique. Une centaine de prototypes présentés par la NEDO, (New Enegy Development Oraganization) sont exposés à l’Exposition universelle de Aichi : « La coexistence entre les gens et leurs androïdes domestiques sera une des principales caractéristiques d’un avenir très proche, ce n’est pas de la science-fiction. La première génération de robots domestiques entrera dans nos familles dès la prochaine décennie.»

Multinationales, entreprises et universités travaillent d’arrache-pied et la compétition est acharnée. Au-delà de la « colf » à tout faire (auxiliaire de vie ou aide-ménagère, comme on préfère), on y retrouve, les portables (wearables) qui multiplient la force des muscles, les chaises roulantes qui sortent leurs jambes d’acier pour monter les escaliers, PaPeRo, ce « délicieux » androïde qui s’occupe de vos enfants, le gardien qui lance l’alarme en cas d’intrusion, incendie etc… , se rend même compte que la maison est sale et vous demande s’il ne serait pas temps de faire un peu de ménage, le quadrupède pour aveugle qui peut également porter secours en cas de catastrophes naturelles, la chaise médicale en mesure d’effectuer un diagnostic pré-hospitalier et qui fournit même les premiers soins, l’automate sur roues à tête d’éléphant qui vous apporte un verre d’eau ou ouvre la porte au médecin si vous êtes obligés de rester au lit, et même iUnit, le véhicule électrique de demain qui change de forme et qui, le soir, rentre chez vous avec vous, vous rendant même d’autres services au lieu d'être garé dans la rue. La grande gageure, cependant, c’est de réussir à doter iUnit d’une sensibilité équivalente à celle des êtres humains quand ils évitent les obstacles et les heurts au sein d’une foule, comme cela se passe à Shibuya, ce croisement de Tokyo où, aux heures de pointe, des milliers de piétons vont dans toutes les directions sans se heurter et ni même s’effleurer.

« Du point de vue de la technologie, bon nombre d’entreprises seraient déjà en mesure de produire en grand et de commercialiser la plupart de ces engins. Mais elles préfèrent attendre la prochaine décennie, parce qu’elles craignent que les gens ne soient pas encore prêts à les accepter, et qu’à la maison ils se sentent mal à l’aise en compagnie d’un étranger en acier. Voilà donc la raison d’être des robots inutiles et amusants tels que Aibo ou Asimo, dont le rôle est de nous enseigner à nous familiariser avec des automates, de nous habituer à leur présence. Dans vingt ans, on se rendra compte qu’il était idiot d’en avoir peur. » Telle est l’opinion d’Atsuo Kato, 63 ans dont 40 à inventer des automates, professeur de robotique auprès de la Waseda University.

Les robots appartiennent à nos vies depuis longtemps déjà, et j’accepte volontiers l’idée d’avoir un « outil » toujours plus sophistiqué à mon service. Par contre, je dois avouer que quand on les destine à remplacer le contact humain ou le rapport direct avec un animal domestique, alors là, je commence à avoir des frissons dans le dos. Que chacun d’entre nous essaie un instant de se mettre dans la peau d’un malade au long cours, d’une personne handicapée ou âgée, ou, tout simplement, dans celle d’un handicapé provisoire suite à un accident quelconque. Et que dire quand il s'agit de votre enfant? Je ne crois pas que la seule compagnie d’un robot, même s’il est capable de vous prodiguer les soins essentiels, puisse, avec la froideur de son acier (ou même de sa peau feinte comme celle de la nurse Saya) et les capacités d'échanges verbaux et neutres  de son intelligence artificielle limitée, puisse percevoir ou comprendre les besoins de chaleur humaine et de conversations distrayantes ou libératrices faites d'habitudes lexicales, de souvenirs et de désirs secrets, ni même les découragements passagers, les états d’âme fluctuants et souvent capricieux de ceux qui sont contraints à dépendre des autres. Il est vrai que certains êtres humains ne valent pas mieux qu’eux ou peut-être encore moins, mais en général, ce sont eux qui, en premier, vous abandonnent.

Mon raisonnement ferait sans doute sourire Atsuo Takanishi, un autre professeur de la même université, qui avance ce qui suit en toute bonne foi : « Nous, nous sommes une île et notre société est traditionnellement mono ethnique. Nous n’avons jamais eu le mélange des peuples qu’il y a en Europe ou en Amérique. Donc, nous sommes incapables de concevoir l’idée de faire venir ici des millions de Chinois ou de Coréens pour aider nos familles, nos malades et nos personnes âgées. C’est pour cela que depuis trente ans nous étudions les robots. Vous, Européens, vous souriez, parce qu’ils ont un visage comique qui singe les humains et qu’ils ressemblent à des jouets. Mais vous vous trompez. Quand, même dans les pays en voie de développement, on aura vaincu la pauvreté et qu’il n’y aura plus d’émigration de masse vers les continents les plus riches, vous finirez bien par acheter nos robots. Aucun pays du monde n’a développé les androïdes comme le Japon. »

Pauvre Professeur Takanishi ! Il me semble que la compagnie prolongée des robots lui a déjà fait perdre la notion de la réalité humaine ! Car, si un jour la pauvreté disparaît de tous les endroits de notre planète, cela signifiera simplement que l’homme est devenu moins égoïste, et que, par conséquent, il a compris qu'il est nécessaire de tenir compte des besoins des autres et important d'entourer de soins humains et chaleureux tous les êtres en difficultés. Quite à se faire aider, cela va de soi, par les meilleurs « outils » de la robotique. Pourquoi les Japonais ne se demandent-ils pas plutôt pourquoi leur taux de suicides est l’un des plus élevés au monde?

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