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Martini Carlo Maria, « Vers Jérusalem » (2002)

Des motivations assez diverses m’ont poussée à me procurer ce livre. D’une part, je venais juste de lire « Le sourire de l’agneau » de l’écrivain israélien David Grossman, puis, dans la foulée, « Cappuccino à Ramallah » de l’architecte palestinienne Souad Amiry, qui, l’un et l’autre m’avaient projeté dans la Palestine physique. De l’autre, il y a un certain temps déjà que je suis intriguée par un grand homme d’Eglise, le Cardinal Carlo Maria Martini, archevêque de Milan de 1980 à 2002, jésuite et bibliste de renommée internationale, qui, son ministère arrivé à terme et étranger à toute soif de pouvoir, n'a manifesté qu'un seul désir : reprendre son pèlerinage vers Jérusalem et y être enterré. Qu’y a-t-il donc derrière cet homme d’une apparente et impressionnante impassibilité : de la froideur ou de la réserve ? Qui est ce prélat âgé qui, avec douceur, humilité et dans un langage accessible à tous accepte tous les dialogues sur le monde d’aujourd’hui ? Car son ouverture d’esprit (1) se démarque très nettement du verrouillage dogmatique et rétrograde du Vatican. Pouvais-je résister à l'appel de ce titre ?

 

Qu’on ne pense surtout pas que ce livre est réservé aux croyants ou à ceux qui sont à la recherche d’une foi, car son regard est beaucoup plus ample. « A Milan », écrit Mgr. Martini (p. 163-164 de l’édition italienne), « il existe une initiative que l'on répète chaque année depuis 1989, « La Cattedra dei non credenti » [la Chaire des non croyants, NdT], où on invite croyants et non croyants à parler, afin qu’ils disent à haute voix, qu’ils expriment les raisons pour lesquelles ils croient ou ne croient pas. La « Cattedra » se veut un exercice de l’esprit, parce que ce qui est important, ce n’est pas tant la distinction entre croyants et non croyants mais celle qui existe entre « pensants » et « non pensants ». Quand on est « pensant » on dialogue, et on dialogue sur quelque chose qui nous tient à cœur : c'est une grande valeur de croissance de civilisation, de progrès humain et social. Le dialogue sur les valeurs, le dialogue sur la foi, fait partie du progrès de l’humanité et crée un dialectique utile, nécessaire. Le monde serait vraiment triste si tout le monde raisonnait avec un ordinateur et disait : « ça, c’est ton secteur et ça, c’est le mien ».

Personnellement, comme les passages relatifs à la foi ne m’intéressent pas spécialement, je dois avouer que je les ai un peu survolés. Ce que je voulais découvrir  et comprendre avant tout, - car j’ai parfois l’impression de le partager -, c'est ce "désir de Jérusalem", ville universelle, de toutes les réalités, tous les symboles et toutes les lacérations, la « destination finale d’un chemin » ; et, ensuite, il me fallait en savoir plus sur la pensée de Carlo Maria Martini.

Mon attente n’a pas été déçue, loin de là, et il faudra certainement un certain temps avant que cet ouvrage ne soit relégué sur une étagère.

 

Mais revenons au livre. Compte tenu du fait qu’il s’agit d’un recueil d'un certain nombre des interventions du prélat, en faire un résumé est impossible et risquerait d’être réducteur vu l'abondance de sujets carrément abordés, ou effleurés pour ne surtout pas les passer sous silence. Je me contenterai donc de reprendre, à ma façon et selon ce qui m'a marquée, les principaux points de la préface (en fait c'est plutôt une introduction) qu’a écrite Gianfranco Bottini pour l’édition originale en italien.

 

Percevoir avec force, à un certain moment de sa propre existence, la nécessité de se diriger vers Jérusalem, la choisir comme sa propre ville et la désirer comme terre pour sa propre sépulture n’est pas chose commune, surtout quand on n’est pas juif. Pour un chrétien, c’est même tout à fait inhabituel. Cependant, quand cette nécessité a l’intensité qui filtre à travers les mots qu’utilise Carlo Maria Martini pour en parler, alors celle-ci a le pouvoir de susciter une résonance profonde chez les gens les plus divers, au-delà des frontières confessionnelles, qu’ils soient laïques, religieux, chrétiens ou non chrétiens. On a presque l’impression que les paroles du psaume biblique qui fait de Jérusalem la patrie de tous les peuples sont en train de se vérifier : « Et de Sion on dira : ceux-ci et celui-là sont nés d’elle » (87, 5)

La Jérusalem vers laquelle Mgr. Martini dirige ses pas avec décision, c’est celle d’aujourd’hui, terrienne et contemporaine, chargée de mystère et de contradictions, toujours plus objet de querelles et sanglante, marquée par des passions adverses et déchirée par de violents conflits. Ce n’est pas seulement la ville des soi-disant lieux saints, but de pieux voyages. Encore moins une capitale stratégique du Moyen-Orient, objet d’intérêts culturels ou diplomatiques. Il ne faut pas non plus la confondre avec la nouvelle Jérusalem qui descend des cieux, dont parle l’Apocalypse : dans la vision chrétienne de la foi, elle n’est certainement pas séparée d’elle, mais elle y est encore moins remplacée. Riche d’histoire et de prophétie, de symboles religieux et de cultes, elle est, au contraire, la ville sainte pour les trois religions monothéistes. De toute façon, c’est une ville faite, non pas de murs et de pierres monumentales, mais de personnes vivantes, de peuples, de communautés religieuses et de familles durement éprouvées par les souffrances et les blessures dans leur espoir. C’est vers cette Jérusalem et sa complexe et tragique réalité qu’un cardinal, presque en se dépouillant de tous les signes ecclésiastiques, a l’intention de se mettre en chemin.

« Vers » : la préposition est essentielle. Tout d’abord parce l’itinéraire intérieur vers cette ville repose sur un grand nombre d’années de la vie de Mgr. Martini, presque en un « crescendo » qui a fini par instruire son propre ministère épiscopal. Ensuite, parce qu’au terme de son service pastoral à Milan, il se rend à Jérusalem uniquement pour se dédier, dans le silence, à la prière et à la poursuite des études bibliques de critique textuelle qu’il a dû abandonner quand il a été nommé évêque.  Il s’y rend, non pas dans le cadre d’une présence stable, mais en assumant la condition du pèlerin : non pas celle du touriste pieux, mais dans les conditions précaires et itinérantes qui doivent être celles d’un pèlerinage vers Jérusalem, selon l’antique et authentique acceptation que ce terme a dans la tradition juive et chrétienne.

D’où vient la force avec laquelle, malgré les obstacles et les difficultés, il poursuit son but ? Quelle est la motivation de ce choix mûri et vécu dans une douce attente et une fermeté inflexible ? Quand on lui demande pourquoi il veut aller à Jérusalem, il répond « Je n'en sais rien. Je pars enchaîné par l'Esprit, comme disait Paul, mû intérieurement par l'Esprit du Seigneur [...] Et je pars sans savoir ce qui m'adviendra là-bas. Nul ne sait ce qui peut arriver à Jérusalem, où il se passe tant de choses douloureuses et déchirantes. »

Après avoir accompli jusqu’au bout son ministère pastoral au service de Dieu dans le diocèse de Milan, il précède l’Eglise encore hésitante à entrer dans l’expérience radicale de « l’intercession », c’est-à-dire, étymologiquement parlant « faire un pas au milieu », aller se mettre entre les deux parties du conflit. « Il ne s’agit donc pas seulement d’articuler un besoin devant Dieu (Seigneur, donne-nous la paix !), tout en restant à l’abri. Il s’agit de se mettre au milieu. Cela ne signifie pas non plus assumer simplement la fonction d’arbitre ou de médiateur, en cherchant de convaincre un des deux que lui a tort et qu’il doit céder, ou bien en invitant l’un et l’autre à se faire quelque concession réciproque, à arriver à un compromis. En faisant ainsi, nous serions encore dans le camp de la politique et de ses maigres ressources. Celui qui se comporte de cette façon reste étranger au conflit, il peut s’en aller n’importe quand, en se plaignant éventuellement de ne pas avoir été écouté. Intercéder, c'est un procédé beaucoup plus sérieux, grave et compromettant, c’est quelque chose de beaucoup plus dangereux. Intercéder, c’est rester là, sans bouger, sans issue, en essayant de mettre une main sur l'épaule des deux [adversaires] et en acceptant le risque de cette position. (…) Donc pas quelqu’un qui, de loin, exhorte à la paix ou à prier de façon générale pour la paix, mais quelqu’un qui se met au milieu, qui entre dans le cœur de la situation, qui tend les bras à droite et à gauche pour unir et pacifier... » (Extrait du chapitre « Un cri d’intercession » p. 135, le plus beau et le plus fort du livre à mon avis.)

 

Les autres interventions, recueillies par Elena Bolognesi, ont été regroupées en quatre unités thématiques.  

La première présente le chemin vers Jérusalem comme un pèlerinage aux racines de la foi. En effet, les racines de la foi chrétienne sont juives, même si, au cours des siècles, la chrétienté l’a complètement oublié.

Dans la seconde unité, on fait allusion à l’ineffable mystère de Jérusalem entre histoire et prophétie, que le langage symbolique du message biblique lu au long de l’histoire recrée et enrichit de sens.

Des relations entre chrétiens et juifs, Mgr. Martini s’est occupé à un niveau mondial. La troisième unité thématique atteste sa sensibilité et son engagement à inoculer dans la conscience des chrétiens une attitude de conversion et d’amour envers le peuple hébreu, pour sa tradition et sa culture.

Pour finir, dans la dernière unité, il exprime son espérance de paix pour Jérusalem et sa terre. En sous-entendu,  on y trouve sa conviction qu’il n’y aura pas de paix sur la terre tant qu’il n’y aura pas la paix à Jérusalem. Intercéder et s’engager là-bas pour la justice et la paix signifie donc travailler au bénéfice de l’humanité. En fait, il est difficile de trouver dans le monde une question plus complexe que celle du Moyen-Orient, ou une crise plus embrouillée que la crise israélo-palestinienne.

 

Que tous ceux, croyants ou non croyants, que cette question intéresse n’hésitent pas un seul instant à aborder personnellement ce très beau livre, très accessible puisqu'il s'agit d'un langage parlé, car les lignes que j'ai tracées ici n'en sont qu'une toute petite approche.

 

(1) Dialogo sulla vita, L'Espresso (en it.)

Les textes en italique sont la traduction en français effectuée par moi-même du texte original en italien.
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Ecrit par ImpasseSud, le Vendredi 29 Juin 2007, 16:19 dans la rubrique "J'ai lu".

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