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Saramago José, « Caïn » (2009)

Ecrit en portugais, déjà traduit en anglais, en espagnol, en allemand et en italien, ce livre-là attend toujours qu’on le traduise en français. Va savoir pourquoi ! Le récent décès de José Saramago (dont je n’arrive pas à me consoler) aurait certainement servi de rampe de lancement (1). Des francs-parlers courageux comme le sien, aujourd’hui, où faut-il aller les chercher dans un monde aux recrudescences serviles et fanatiques ?

 

Près de vingt ans après L’Evangile selon Jésus-Christ dont la résonance dans un Portugal catholique avait pratiquement contraint l’auteur à s’exiler à Lanzarote, voilà que dans Caïn, José Saramago réinterprète, dans une satire extrêmement dense de contenus, les évènements les plus connus de l’Ancien Testament. Revenant sur ce Dieu injuste et vengeur, il utilise un des personnages les plus maltraités, Caïn, qui, envieux de son frère Abel, doux et agréable à Dieu, finit par le tuer, devenant ainsi l’archétype de l’assassin, du mal, une des pierres d’angle de la religion catholique, avec le remord pour le péché et le sens de la faillibilité humaine.

 

Le Caïn de Saramago, lui, est un homme ni pire ni meilleur que les autres hommes, agriculteur de son état, et aussi doux et serviable que son frère. Le Dieu qui apparaît dans ce récit est un dieu méchant, injuste et envieux, qui ne sait pas vraiment ce qu’il veut mais qui surtout n’aime pas les hommes. C’est un dieu qui refuse les offrandes de Caïn, par caprice et indifférence semble-t-il, provocant ainsi l’assassinat d’Abel.

Marqué au front par Dieu et condamné au vagabondage dans les landes désolées de l’aube de l’humanité, protagoniste ou simple spectateur, Cain traverse tous les évènements les plus connus et les plus significatifs de la Bible : le bannissement du Paradis terrestre, l’insatiabilité de Lilith, le sacrifice d’Abraham, la construction de la Tour de Babel, la destruction de Sodome, l’épisode du veau d’or, les terribles épreuves infligées à Job, le rapport de Dieu avec « son » peuple, Israël (que Saramago, pro-palestinien notoire, décrit comme un peuple violent), sans oublier la construction de l’arche de Noé et le déluge universel. Evénements qui, tous, illustrent comment l’obéissance aveugle que Dieu ne cesse de prétendre devient un joug sur les épaules de nombreux hommes de foi, incapables de contraster la volonté d’une divinité capricieuse et arrogante.

Mais Caïn, lui, traite son créateur sur pied d’égalité, le contredit point par point, le défie, puis, déçu, continue sa route errante, à travers l’espace et le temps, mais aussi, étymologiquement parlant, en commettant des erreurs. Il doute, tombe et se relève, conteste ce qu’il voit et affronte l’inéluctable. Il représente l’homme en révolte contre la divinité. En selle sur sa mule qui peine sur les pentes et traverse les déserts, le jeune Caïn connaîtra la lascivité à la cour de la reine Lilith, la compassion pour Abraham au bras tendu sur la tête de son fils Isaac, mais aussi la fourberie des anges, les subterfuges et les calculs des habitants de Babel et le sort sans pitié qui frappe la ville de Sodome.

Au-dessus de tout, il y a l’image d’un dieu toujours prompt à punir, mais jamais aussi rapide quand il s’agit d’éviter qu’un péché soit commis. Une injustice que tout le monde voit, mais qu’un seul homme a le courage de dénoncer face au Seigneur.

C’est donc encore la rébellion du fils qui cause les colères des autorités ecclésiastiques, aujourd’hui comme hier. Pour elles, quoi de plus impie, de plus sacrilège, quand, dans son roman, José Saramago donne la parole au jugement d’une créature sur l’œuvre de son créateur :

« - Je suis le Seigneur souverain de toutes choses,
-          Et de tous les êtres, diras-tu, mais pas de ma liberté,
-          Liberté de tuer,
-          Comme toi, qui étais libre de me laisser tuer Abel quand il était en ton pouvoir de l’éviter. Il aurait suffi que, pour un seul instant, tu abandonnes l’orgueil de l’infaillibilité que tu partages avec tous les autres dieux ; il aurait suffi que, pour un seul instant, tu sois réellement miséricordieux, que tu acceptes mes offrandes avec humilité, juste parce que tu ne devais pas oser les refuser. Les dieux, et toi comme les autres dieux, ont des devoirs envers ceux qu’ils disent avoir créés. »

(pag. 30 dans l’édition en italien, traduction de l’italien par ImpasseSud avec retours à la ligne pour ceux qui ne connaissent pas le style de Saramago)

 


Inconditionnelle de Saramago, et habituée depuis longtemps à son style, au début j’ai tout d’abord pensé qu’il s’agissait d’un livre mineur par rapport à L’Evangile selon Jésus-Christ. Il ne fait aucun doute que la Bible est pleine de violence et d’injustice et qu’il est on ne peut plus facile d’y trouver matière à scandales. Mais ensuite, j’en ai vraiment savouré chaque page, chaque réflexion… - de Caïn bien entendu -, seule façon, à mon avis, de dire ce que l’on pense sur une question aussi sérieuse, en la regardant du petit côté de la lorgnette, en la désacralisant sans pour autant la souiller. Ce qui est étonnant, cependant, c'est que dès qu'on touche aux religions, il y a toujours quelqu'un pour crier au blasphème. Ici, le Vatican a suivi les vents de fondamentalisme en cours, en décidant d'excommunier l'auteur. Dans notre Occident démocratique, excommunier un homme athée pour quelques épisodes de la Bible revus et corrigés, tu parles d'un ridicule ! Vu avec le recul qui est le nôtre, si on tient compte des souffrances, des guerres et des massacres que ces religions ont causé à l'humanité, au nom de Dieu justement, je pense au contraire qu'on peut lire ce très beau livre en toute tranquillité, car au pire, je ne crois pas qu'il puisse faire plus de dégâts que ne l'a fait la chrétienté en deux mille ans. Ensuite, on en pense ce qu'on veut. Moi, je me suis délicieusement amusée !

 

Bonne lecture !... dès que vous en aurez la possibilité.


(1) Mise à jour du 11 novembre 2010 : la sortie de la traduction en français est prévue pour le 6 janvier 2011

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 16 Août 2010, 16:45 dans la rubrique "J'ai lu".

Commentaires et Mises à jour :

mauguier
10-09-10 à 15:09

Cain, José Saramago

Il faut croire que la traductrice (et quelle traductrice !), Geneviève Leibrich, n'a peut-être pas encore terminé son travail, à moins qu'elle n'ait été déchargée de son travail par le Seuil, à supposer que les "ayants-droit" de leur côté soient allés chez un autre éditeur...?
J'attends, harcelant mon libraire qui scrute en vain son ordinateur...

 
ImpasseSud
10-09-10 à 16:41

Re: Cain, José Saramago

Bienvenue par ici, Mauguier.
En effet, il y a quelque chose d'incompréhensible dans ce retard. D'autant plus que ce livre est sorti en 2009, donc plusieurs mois avant le décès de l'auteur. La France a souvent de ces ... réticences littéraires à propos des traductions qu'on s'explique difficilement à l'étranger.

En Italie, les deux derniers livres de Saramago ont eu des problèmes de sortie. Car notre Prix Nobel n'avait pas que le Vatican comme ennemi. Le plus gros, c'était Berlusconi, pour lequel il déclarait continuellement son aversion et dénonçait les méfaits. En 2009, comme l'a raconté Pierre Assouline sur son blog, Einaudi, son éditeur italien depuis 20 ans, s'est retrouvé contraint à se priver de ses oeuvres et de ses meilleures ventes parce que Berlusconi, justement, venait d'en devenir propriétaire. Mais cela n'a pas retardé la publication de la traduction de Caïn, chez Feltrinelli qui a pris la suite, mieux en rapport avec Saramago politiquement parlant. Pour le plus grand bien des lecteurs d'ailleurs.... vu que cet éditeur est souvent près de 25% moins cher.

Il ne me reste plus qu'à souhaiter que votre libraire ait bientôt une bonne nouvelle à vous annoncer. :) Le Seuil répondrait-il si vous lui envoyiez un courriel-interrogateur ?