La raison d’être d’Emergency, c’est de soigner les victimes de la guerre et de la pauvreté, quel que soit le camps dont elles proviennent et sans discrimination d’aucune sorte. Ses trois règles, qui ne tolèrent aucune exception, c’est que la qualité des soins soit équivalente à celle qu’on prodigue en Europe, et ceci gratuitement au nom des Droits de l’Homme ; l’interdiction de pénétrer dans ses locaux avec une arme quelconque ; et l’indépendance de toute ingérence politique quelle qu’elle soit. Une ONG médicale comme les autres, penseront certains. Eh bien non ! Ce qui fait la différencie, c’est son rôle actif de témoin contre toutes « les opérations de paix » qu’on invente pour faire la guerre, c’est son rôle de pionnier au nom des Droits de l’homme qui, pour ne citer qu’un exemple, l’a incitée à ouvrir, après ses nombreux centres dans le monde, un centre de chirurgie cardiaque hautement spécialisé au Soudan, en relation étroite avec les neufs pays limitrophes, et, pour finir, c’est le rôle de formation démocratique qu’elle joue en créant des pôles d’emplois, son personnel international, réduit au strict nécessaire, ayant l’obligation contractuelle de former du personnel local. Mais venons-en à l’Afghanistan où un des ses hôpitaux est de nouveau sur la ligne de tir et où trois de ses opérateurs italiens (un chirurgien, un infirmier et un technicien) ont été séquestrés par les services secrets de Karzaï avec le concours de la FIAS/ISAF, les forces de l'OTAN.
En Afghanistan où elle a fait ses premiers pas en 1999, Emergency a aujourd’hui 3 hôpitaux, 1 maternité, 28 postes d’urgence et des cliniques dans plusieurs prisons ; elle emploie environ 1.200 personnes, a déjà soigné 2.500.000 patients et s'occupe des veuves de guerres du Panchir. Son dernier hôpital en date, Emergency l’a ouvert en 2004 à Lashkar-gah, dans la province de Helmand, au sud du pays, puisque c’est là que les mines antipersonnel faisaient le plus de victimes, là que la guerre contre les Talibans s’intensifiait toujours plus. Un hôpital qui ne plaît pas au gouvernement afghan, cependant, vu qu’on y soigne tous les blessés, indistinctement.
C’est ainsi qu’en 2007, en sautant sur le prétexte du rôle de boîte à lettres joué par Emergency (en accord avec le gouvernement italien de l’époque) pour la libération d’un journaliste italien prisonnier des Talibans, le gouvernement de Karzaï a fait arrêter et mettre au secret son directeur afghan (lire ici). Tout comme en 2001 quand les Talibans au pouvoir prétendaient lui imposer ses contrôles sur son hôpital de Kaboul, Emergency a répondu par un bras de fer en fermant tous ses hôpitaux afghans tant que son directeur ne serait pas libéré. Trois mois plus tard, il était libre et les hôpitaux rouvraient. Issue sans doute jamais bien digérée par les services secrets afghans à qui on a sans doute forcé la main avec toutes sortes de pressions... Un compte en suspens ?
Avril 2010 : toujours dans la province de Helmand, la région de Marjah qu’aujourd’hui on peut appeler « le front » depuis le début de la grande offensive de l'OTAN, l'opération Mushtarak lancée en février dernier par les forces multinationales de la FIAS/ISAF sous l’impulsion de Barack Obama (méritait-il vraiment le Prix Nobel de la Paix ?!), l’hôpital d’Emergency à Lashkar-gah est l’unique hôpital civil de la province. Mais vu que tous les journalistes indépendants ont été écartés des zones hermétiquement bloquées, c’est aussi l’unique témoin de ce qui se passe réellement là-bas. Et c’est là que le bât blesse… à nouveau !
Car Emergency y soigne tous les blessés sans distinction (mais n’était-ce pas l’aspiration d’Henri Dunant quand, sur le champ de bataille de Solferino en 1859, il eut l’idée de fonder la Croix-Rouge ?), rapporte que la FIAS/ISAF qui combat pour la démocratie ne respecte pas le droit des blessés à être soignés, qu’au lieu de garantir un couloir humanitaire qui permette de les évacuer, elle crée des cordons infranchissables même pour la Croix-Rouge, et que 41% des blessés qui réussissent quand même à arriver jusqu’à son hôpital, ne sont pas de féroces Talibans mais des enfants !
Donc rebelote ce samedi
En effet, tout s’est assez vite dégonflé, d’autant plus qu’en 2007 aucun des trois Italiens n’était en Afghanistan. Mais il n’en reste pas moins qu’ils n’ont toujours pas été libérés, qu’Emergency n’a pas encore reçu la moindre communication officielle, et que bien que le temps de garde-à-vue prévu par les lois afghanes soient écoulé, aucune accusation officielle n’a été prononcée. Selon Gino Strada, on se trouve donc face à un enlèvement !
Et le gouvernement italien dans tout cela ? Bien qu'il se soit, paraît-il (?), activé immédiatement, son comportement n'est pas des plus chaleureux, je dirai même qu'il donne l'impression de prendre ses distances. Car lui non plus, il n’aime pas Emergency : parce que les témoignages d’Emergency ternissent continuellement l’émouvante et rutilante image médiatique de la « Mission de Paix » des 3.150 Italiens de la FIAS/ISAF, que le monopole des médias passe volontiers en boucle ; parce qu’Emergency dément les « bienfaits » des frappes, parce qu’Emergency donne visibilité aux chiffres du gâchis, parce qu’Emergency, en quelque sorte emblème de la résistance à tous les mensonges, est très appréciée par une bonne partie des Italiens, qui, lors de leur déclaration d’impôt, l'ont mise à la tête de la liste des organismes, associations, ONG, etc. pour l’attribution du 5 pour mille.
Que faut-il penser de la première réaction du ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini : « Je prie pour que ce [les accusations, ndt] ne soit pas vrai, autrement j’aurais honte ! » ?! En somme, trois compatriotes, opérateurs humanitaires d'une ONG sans tache, sont prélevés et détenus sous un prétexte grotesque par le gouvernement afghan que l’Italie soutient, la FIAS/ISAF dont l'Italie fait partie participe manifestement à leur séquestre (vidéo), et le ministre se fie presque aux rumeurs, ne demande aucun compte à personne !!?!!! Il a tout de même envoyé son ambassadeur leur rendre visite (les 3 Italiens seraient paraît-il en bonne santé mais psychologiquement éprouvés) et assuré que le Ministère allait faire tout son possible, qu' « ils ne seraient pas abandonnés ». Je l'espère bien ! Car, de son côté, Emergency ne reste jamais les bras ballants. Vu que la prudence reste impérative sur place tant que les trois Italiens ne seront pas libérés, en Italie, Gino Strada a immédiatement transformé ces faits en « affaire nationale » que les médias ne peuvent pas étouffer, avec conférences de presse, interviews, pétition (il y avait déjà 180.000 signatures à 36 heures de l’appel) et manifestation à Rome prévue pour le samedi 17 à Navona San Giovanni, etc.
En résumé, il semble que cette fois-ci Emergency soit le carton d’un concours de tir : de la part du gouvernement afghan qui ne supporte ni l'indépendance de son aide, ni le fait qu’elle soit respectée par l'ensemble de la population afghane, quel que soit son bord ; de la part des forces multinationales de la FIAS/ISAF qui ne veulent plus aucun témoin de leurs « effets collatéraux », et du gouvernement italien qui n’en peut plus de cette épine dans le flanc qui met à nue ses incohérences mensongères.
Aux dernières nouvelles, rien de neuf pour les trois Italiens sous séquestre, et personne ne sait où ils se trouvent. Cependant, grâce à la médiation de l’ambassadeur italien, les 5 coopérants internationaux qui étaient encore bloqués à l’intérieur de l’hôpital ont pu être évacués sur Kaboul. L’hôpital est désormais dans les mains des autorités afghanes : « Si l’intention était de nous empêcher d’opérer à Lashkar-gah, l’objectif est atteint. Nous n’avons plus aucune nouvelle de l’hôpital. Tout s’est arrêté samedi dernier, au moment de la prise de possession des autorités afghanes. »
Donc à suivre…
dans les mises à jours qui vont suivre ci-dessous, mais aussi ici : 2 - 3 -4
Aujourd'hui, ma pensée va également aux deux journalistes français prisonniers des Talibans depuis plus de 100 jours. A mon avis, il ne faut jamais garder trop longtemps le silence sur les enlèvements ! Va savoir pourquoi, mais il me vient toujours quelques doutes à propos des gouvernements qui prolongent indéfiniment le silence des médias, soi-disant pour garder les mains libres dans les négociations.
Mots-clefs : Emergency, Afghanistan, Italie, France, Asie, Guerres, Hommes de bonne volonté, Justice, Médias, Sujets brûlants, USA, Société
Commentaires et Mises à jour :
Re: MISE A JOUR DU 16.04.2010
1) Du côté des 3 prisonniers italiens :
L'envoyé spécial du Ministère des Affaires étrangères italien, Iannuci, accompagné par l'ambassadeur italien ont pu leur rendre visite, séparément. Ils semblent en bonne santé, et au cours des entretiens qui se sont effectué en anglais en présence d'un fonctionnaire agfhan, ils ont dit qu'ils étaient traité correctement.
Toutefois, pas plus qu'Emergency qui n'a toujours pas reçu de communication officielle, aucune des autorités italiennes n'a été informé de leur/s lieux exact de détention à Kaboul.
Aucune accusation formelle n'a encore été prononcée, et les trois avocats afghan, désignés par Emergency et accrédités par le Ministère des Affaires italiens n'ont toujours pas reçu l'autorisation de rencontrer leurs clients.
Quant au message que le Ministre des Affaires étrangères Frattini a envoyé à Karzaï par l'intermédiaire de son envoyé, il a dû être remis à un de ses fonctionnaires.
2) Du coté de l'Italie:
L'information de la part de Gino Strada en personne bat son plein sur tous les médias. L'appel "Io sto con Emergency" a dépassé 370.000 adhésion, et de nombreuses personalités (pour le moins choquées par la tiédeur du gouvernement italien vis-à-vis de trois compatriotes en grave danger et par la mentalité de "sujet soumis" qui semble dicter son comportement) se sont prononcées en faveur d'Emergency.
La manifestation de cet après-midi à Rome, samedi 17 à 14.30, pour demander la libération immédiate des 9 opérateurs d'Emergency, a été déplacée sur demande de Piazza Navona (trop petite) à Piazza San Giovanni (beaucoup plus grande). Espérons qu'elle se remplisse !
Re: MISE A JOUR DU 17.04.2010
1) en Afghanistan, du côté des prisonniers :
Aucun changement en ce qui les concerne directement vu qu'aucun chef d'accusation n'a été prononcé, qu'Emergency n'a reçu aucune communication officielle et qu'on se sait toujours pas où ils sont détenus.
- Du coté de l'ONU, à Kaboul pour une conférence de presse, Staffan de Mistura a déclaré aux journalistes italiens qui se trouvaient sur place : "La communauté internationale peut et doit intervenir pour trouver une solution à cette affaire. Il y a eu des malentendus, et il faut agir en vitesse pour éviter qu'elle ne devienne une affaire légale...." Afin de rendre encore plus évidente l'opinion de l'ONU dans cette affaire, il s'est rendu en personne à l'hôpital d'Emergency à Kaboul "afin de témoigner de l'admiration de l'ONU pour le travail incroyable que fait Emergency pour sauver la vie des civils, surtout en ce moment où on enregistre une forte augmentation de la violence. L'oeuvre d'Emergency est importante, même pour le gouvernement afghan, et c'est la raison pour laquelle je suis optimiste."
- Du côté des Afghans, vu que soigner 2.500.000 blessés signifie que chaque famille afghane a, au moins une fois, eu recours aux soins gratuits d'Emergency, on assite à une forte mobilisation de "pétition". A titre d'exemple, dans le Panchir, cette région montagneuse du nord-est au dessus de 2.000 m, sans route mais parcouru par quelques pistes, où Emergency, après la victoire de l'Alliance du Nord de Massoud, a converti son Centre chirugique d'Anabah en maternité, quelque 10.000 personnes ont trouvé le moyen de venir signer, au stylo ou aux empreintes digitales).
- A Lashkar-gah, l'hôpital d'Emergency est fermé : une partie de patients a été évacué vers les structures afghanes, d'autres ont préféré affronter 600 kms de route/piste vers l'hôpital Emergency de Kaboul
2) du côté de l'Italie :
- Hier Karzaï a reçu l'envoyé spécial du Ministères des Affaires étrangères et l'ambassadeur italiens. Il aurait promis une enquête rapide et transparente, et mis la question à l'ordre de la prochaine réunion du Conseil de Sécurité afghan. Ici, si j'ai employé le conditionnel, ce n'est pas parce que j'émets des doutes sur cette rencontre, au contraire j'y crois, mais parce que même s'il est évident qu'un gouvernement en cours de négocations ne peut pas forcément révéler tous les dessous de l'affaire, les communiqués du Ministère, plus que d'informer le pays sur l'évolution "racontable" des négociations, sont surtout pleins d'auto-satisfaction, sans doute pour redorer le blason du gouvernement aux yeux des Italiens.
- les signatures de la pétition en sont à plus de 390.000, et environ 50.000 personnes ont participé à la manifestation d'Emergency à Rome pour demander la libération de ses 9 opérateurs, sans aucun symbole politique mais avec quelque chose de blanc (l'emblême de l'opposition à la guerre) avec des récits d'expérience et de la musique. Quelques personnalités de gauche ont tenu à confermer leur appui par leur présence, d'autres, de droite comme de gauche, ont clairement exprimé leur "Io sto con Emergency" à travers les médias ou des messages écrits de soutien. Gino Strada a de nouveau exposé ses convictions et les contradictions des "missions de paix", ajoutant qu'en Afghanistan depuis si longtemps, Emergency, heureusement, sait pouvoir compter sur l'appui favorable du vice-président du pays, ainsi que des Ministres de l'intérieur et de la défense, mais qu'en Italie, il en a vraiment assez d'être insulté par des gens qui non seulement ne font jamais rien, mais ne font même pas l'effort de penser.
Re: MISE A JOUR DU 18.04.2010
16 heures : LES TROIS ITALIENS SONT LIBRES !!!!!! et les accusations ont été déclarées privées de fondement. OUF ! L'Italie respire avec joie.
A suivre du côté des 6 Afghans
Re: MISE A JOUR DU 18.04.2010
5 des opérateurs afghans ont également été libérés. Pour le 6ème, on ne connait pas encore le chef d'accusation, mais Emergency lui fournira une assistance légale.
Maintenant, il reste à faire la lumière sur l'origine et le mandant de ce coup monté, et à décider ou non de la réouverture de l'hôpital de Lashkar-gah.
MISE A JOUR DU 15.04.2010
1) Les faits racontés par Gino Strada sur La Repubblica:
On introduit quelques armes dans un hôpital – directement ou avec la complicité de quelqu’un qui y travaille -, puis on donne le via à l’opération... Des troupes afghanes et anglaises encerclent le Centre chirurgical d’Emergency à Lashkar-gah, puis elles y entrent la mitraillette au poing et vont là où elles savent qu’elles vont trouver des armes, car, pour autant que nous sachions, aucun autre endroit n’est perquisitionné. Elles vont directement vers un magasin, n’ont pas même besoin de contrôler les centaines de cartons qui se trouvent sur les étagères, car les deux cartons avec les armes sont déjà – Oh ! quelle surprise ! -, sur le sol, au milieu de la pièce. Une caméra et les jeux sont faits.
On arrête trois Italiens – un chirurgien, un infirmier et un technicien logistique, le seul personnel international présent à l’hôpital à ce moment-là -, et six Afghans, et on les jette dans les geôles des Services de Sécurité dont les violations des droits humains ont déjà été largement documentées par Amnesty International et Human Right Watch.
On encercle également et on perquisitionne les maisons-habitation d’Emergency. Aux cinq personnes présentes – parmi lesquelles quatre Italiens -, on interdit de sortir de leur logement. L’hôpital est occupé par les militaires.
Les accusations : « Ils préparaient un complot pour assassiner le gouverneur, ils ont même reçu 500.000 dollars pour perpétrer l’attentat ». Celui qui le dit, ce n’est ni un juge ni un officier de police, mais simplement le porte-parole du gouverneur de la province.
Même un dément ne croirait pas à de telles accusations ! Pourquoi donc devraient-ils faire une chose pareille ? A Lashkar-gah, la majorité des missiles et des bombes ont pour objectif le palais du gouverneur. Qui pourrait bien être assez stupide pour payer 500.000 dollars pour un attentat qu’on essaie déjà d’accomplir tous les jours et gratuitement !?
Ce coup monté est destiné à se dégonfler, malgré la complicité de quelques personnes médiocres - quelle honte pour notre pays ! – qui essaient de la tenir sur pied entre insinuations et calomnies, dans la tentative de discréditer Emergency, son travail et son personnel.
(Traduction de l'italien par ImpasseSud)
2) Situation au 15.04.2010 :
- 96 heures se sont déjà écoulées depuis le prélèvement : Emergency n'a toujours pas reçu de notification officielle. Aucune accusation formelle n'a été prononcée.
- Les 3 Italiens auraient été transférés de la province de Helmand à Kaboul où demain, ils pourront recevoir la visite de l'envoyé spécial du Ministre it. des Affaires étrangères et de l'ambassadeur italiens. Un des trois
- Emergency, en accord avec le Ministère, leur a trouvé trois avocats... qui n'ont pas encore pu entrer en contact avec eux.
- Demain, un autre envoyé spécial du Ministère apportera à Karzaï un message du ministre et une lettre de Berlusconi.
- Le représentant de l'ONU à Kaboul (UNAMA), Staffan de Mistura, a adressé un appel à Karzaï et aux autorités locales pour que les 3 Italiens reçoivent "une assistance légale adéquate", que leur soient garantis "le processus qui leur est dû, des conditions de sécurité et la visite de leur ambassadeur". "J'espère que ces arrestations sont le fruit d'un gros malentendu. Les opérateurs médicaux qui opèrent dans des régions comme le Helmand, risquent leur vie pour toutes les personnes qui leur demandent de l'aide." L'UNAMA a également demandé à la Commission afghane pour les droits humains et au coordinateur de l'ONU pour les problèmes humanitaires de suivre la question de très près. (Sources)
Hier Emma Bonino, le porte-parole de gauche au Sénat it. a ajouté : "espérons que le gouvernement italien plaidera également pour le sort des 6 opérateurs afghans".