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Afghanistan : Emergency de nouveau sur la ligne de tir (4) : de retour à Lashkar-gah

Hopital Emergency à Lashkar-gahNous voilà enfin au dernier acte de cette sale affaire, c’est-à-dire à la réouverture de l'Hôpital d’Emergency à Lashkar-gah, province de Helmand, fermé en avril 2010 suite à un coup-monté dont j'ai raconté les détails dans 3 de mes billets (1-2-3). Soixante-dix lits qui, pendant plus de cent jours, sont restés vides dans une zone où la chirurgie de guerre est nécessaire, fondamentale, et où 40% des blessés ont moins de 14 ans. Comme d’habitude, la partie n’a pas été facile, mais je n’ai jamais douté un seul instant qu'on y arriverait vu les deux précédents du même genre, le soutien massif de la population locale et la ténacité d’Emergency. Alors voici un aperçu des négociations qui ont abouti à ce beau résultat, pour le plus, directement de la bouche de Gino Strada, le fondateur de cette ONG italienne présente en Afghanistan depuis 1994.

 

Rappelons tout d’abord que pour Gino Strada, les conditions de la présence d’Emergency en Afghanistan (3 hôpitaux, une maternité, 28 centres de secours, 2 dispensaires dans les prisons, un personnel afghan d’env. 1200 personnes) ou partout ailleurs dans le monde ne sont pas négociables : aucune arme à l’intérieur, aucun contrôle militaire autour de ses structures, aucun filtrage à l’entrée, mais le respect de la part de tout le monde et l'accès libre à tous les blessés.

 

Jeudi 29 juillet 2010

« La grande nouvelle, c’est qu’aujourd’hui, jeudi, l’hôpital de Lashkar-gah rouvre. Nous avons eu un entretien avec le gouverneur de la province et je crois que finalement tout le monde a compris le coup-monté qui avait porté à la fermeture de l’hôpital. Cette question est donc terminée et on peut tourner la page. »

 

« Au départ, il y a eu une conflictualité. D’autre part, il n’y avait pas de quoi être surpris. Quand un pays est occupé militairement, il y a les occupants et les occupés. Les Afghans sont des occupés. Il n’y a donc rien d'étonnant à ce que le Président de l’Afghanistan n'ait pas même le pouvoir de contrôler le gouverneur de cette province [Helmand. NdT]. Au cours d’un tout récent colloque avec le conseiller de la Sécurité nationale à Kaboul, on nous a dit clairement : le gouvernement afghan n’a pas de pouvoir et il ne contrôle que très peu de régions du pays, où il ne compte pas et où il ne décide de rien. Sur place, ceux qui décident, ce sont les militaires de la Coalition [ISAF, NdT]. »

 

« Les négociations ont tout d’abord traîné parce que le gouverneur avait posé des conditions inacceptables pour nous, c’est-à-dire que la sécurité soit garantie par des militaires afghans, et que l’hôpital soit entouré par un système de filtrage, ce qui nous aurait transformé en objectif parce qu’il est logique que des gens armés pensent qu’ils ont des ennemis et qu’il est logique qu’eux-mêmes représentent des objectifs. »

 

« Ces jours derniers, les pressions sur le gouverneur ont terriblement monté. Les gens se retrouvaient sans hôpital chirurgical dans une région de l’Afghanistan où on a un besoin énorme de chirurgie de guerre. Donc la société afghane, le Conseil des anciens, les représentants des villages, ont commencé à faire pression pour créer les circonstances qui permettraient à l’hôpital de rouvrir. Demain nous avons une réunion avec le Conseil des anciens et nous en aurons la confirmation. »

« La pression exercée par la société afghane, avec sa structure, ses représentants, son Conseil des anciens et les représentants des villages a été déterminante. Comme en 2007, somme toute. Une suite sans fin de délégations qui, à l’époque,  avait fait la route de l’Helmand à Kaboul pour demander la réouverture et faire pression. Cette fois-ci, il s’est passé la même chose. Durant toutes ces semaines, nous avons continué à recevoir des lettres et des pétitions signées par les leaders de cette zone, très belles, avec, comme signature, une empreinte digitale du pouce ou de l’index à côté d’une photo collée pour que celui qui signait soit reconnaissable. Nous avons reçu beaucoup de messages qui allaient dans ce sens, et moi je crois que c’est cela qui a été déterminant. Ensuite, je suis convaincu que l’ONU aussi a fait ses propres démarches, avec les Anglais par exemple. Hier, nous avons rencontré l’ambassadeur de Londres qui disait qu’ils n’avaient rien contre la réouverture. Ensuite, c'est jusqu'à un certain point que nous tiendrons compte de tout ce qui a été dit, car ce qui compte, c’est la quotidienneté des rapports. »


Et pour ne pas retomber dans le même piège ?

« Nous sommes en train d’en parler, mais nous n’avons pas de baguette magique. Il y a des petites choses à ajuster : un hôpital, ici comme en Italie, est un des endroits les plus vulnérables qui soit parce qu’on considère qu’il sera respecté. Donc, en général, les contrôles sont modestes par rapport à ceux des aéroports, par exemple. Nous, nous ne voulons pas transformer nos hôpitaux en forteresses. Il s’agira donc d’un peu plus d’attention, sur certaines questions, à l’entrée par exemple. »


Emergency a gagné une fois de plus ?

« Bah... gagné... » a conclus Gino Strada, « je ne prends pas cela comme une bataille d’Emergency contre qui que ce soit. Nous sommes contents parce que la population locale, d’ici la fin de la semaine, réussira à avoir l’unique hôpital digne de ce nom dans cette région. Il y aura moins de morts et moins de blessés abandonnés. C’est cela, la véritable victoire. »

(Sources : les citations sont extraites de l’interview à Gino Strada effectuée le 29.07.2010 par Angelo Miotto pour Peacereporter, Traduction de l’italien par ImpasseSud)


Quelques photos du Centre de Chirurgie : 12 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8

 

Et pour conclure, la confirmation trouvée dans l’énorme dossier sur la guerre en Afghanistan que WikiLeaks a publié on-line le 25 juillet, que pour les Etats-Unis, Emergency est une ONG « insupportable » et que John Negroponte a fait pression sur le gouvernement italien pour en limiter et en contrôler les activités. « Nous disions qu'avec nous, on était en train d’essayer d’éliminer un témoin gênant, et maintenant cette fugue d’information nous donne raison », a déclaré Gino Strada

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Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 2 Août 2010, 18:45 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

PierreDesiles
02-08-10 à 21:28

Bravo !

Enfin, une ONG qui agit avec intelligence et qui réussit là où les autres échouent. Enfin des bonnes nouvelles, comme on aimerait les entendre à l'Aquilla ou à Haïti.

Merci pour ta traduction ImpasseSud et pour le suivi de ce récit qui a été payant grâce à une forte détermination et mobilisation autour de Emergency et Gino Strada.


 
ImpasseSud
03-08-10 à 08:36

Re: Bravo !

Pierre, ce qu'il y a de profondément réjouissant dans cette ONG et dans ce retour (c'est la 3ème fois !), c'est le grand message d'espoir dont elle est porteuse, c'est-à-dire que "les droits de l'homme" sont pour tout le monde, mais aussi que la défense des "droits de l'homme" est l'affaire de tout le monde, non pas seulement des plus privilégiés qui, à l'occasion, viennent en faire l'aumône à ceux qui le sont moins comme le font la plupart des ONG. 
Pour la majorité des Afghans, quel que soit leur bord et même s'ils n'en ont pas les moyens financiers, Emergency est désormais "leur" affaire, et c'est la raison pour laquelle elle réussit à gagner tous ses bras-de-fer contre l'arrogance du pouvoir.

On pourrait en tirer une belle leçon, tu ne crois pas ?


 
PierreDesiles
03-08-10 à 12:03

Re: Bravo !

""On pourrait en tirer une belle leçon, tu ne crois pas ?""

Il y a malheureusement des gens qui refusent d'apprendre les leçons !

http://www.france-info.com/monde-institutions-internationales-2010-08-03-afghanistan-la-base-militaire-de-l-otan-a-kandahar-attaquee-par-des-472442-14-20.html

Pour nous qui sommes du bon côté de la barrière, nous ne pouvons qu'encourager ces ONG dévouées à leurs causes, dans des zones où la vie ne tient qu'à un fil. Dommage aussi que bon nombre d'entres-elles ne respectent pas cette charte"Aider son prochain comme soi même!".


 
ImpasseSud
03-08-10 à 16:19

Re: Bravo !

Les informations officielles sur l'Afghanistan, celle de l'ISAF en particulier, ne sont pas fiables, ni pour les chiffres, ni sur les opérations, ni à propos des morts et des blessés, ni en ce qui concerne les rapports avec la population locale. J'en ai eu si souvent la preuve, mais WikiLeaks vient de le confirmer. C'est la raison pour laquelle on s'en prend à Emergency qui, à Lashkar-gah, non loin de Kandahar justement, raconte ce qu'elle voit passer sur sa tête, les explosions qu'elle entend et ce qu'elle a sous les yeux : 40 % des blessés qui arrivent dans son hôpital ont moins de 14 ans, sans compter les femmes et les vieillards... Cela se passe de commentaire !!!!

Que les Américains fassent ce qu'ils veulent en racontant tous les mensonges qu'ils veulent (y compris Obama) au mépris de la vie de leurs jeunes compatriotes. Mais nous Européens, que faisons-nous là-bas ? Pourquoi persiste-t-on dans la servilité envers les USA, avec des gouvernements et des ministres va-t-en guerre ? De quel chantage ou de quelle obtusité sont-ils la proie ? L'Italie vient juste de perdre deux de ses soldats, déchiquetés par des mines.... de fabrication italienne ! "Un triste effet boomerang", comme l'a dit Cecilia Strada, 31 ans, la fille de Gino aujourd'hui Présidente de l'ONG.

Quand elle avait 9 ans, raconte Gino Strada dans Les perroquets verts, sa mère décida de l'emmener à Quetta, à la frontière afghane où se trouvait l'hôpital où il exerçait comme chirugien, pour qu'elle se rende compte de ce qu'il faisait et qu'elle comprenne pourquoi il était si souvent absent. Habituée à une grande affinité avec lui, elle l'avait suivi partout, en silence, supportant la vue des horreurs les plus atroces, surtout des enfants qui avaient sauté sur ces "jolies" mines russes qui avaient l'aspect d'un jouet, d'un perroquet vert justement, mais demandant tout à coup en reconnaissant un enfant dont on venait d'amputer l'avant-bras : "Mais c'est l'enfant qui était en salle opératoire ! Pourquoi ne pleure-t-il pas ?"
"Nous en avons parlé longtemps, cherchant à comprendre pourquoi les enfants, ces enfants-là, ne pleurent pas. Elle m'a demandé de la misère qui devient routine, de la présence silencieuse de la tragédie, et parfois de la mort qui devient une condition de vie. C'est peut-être cette quotidienneté de la tragédie qui les prépare à ne pas pleurer. Nous avons parlé de ces enfants-là, et de ceux qui, chez nous, se roulent par terre de façon hystérique pour ne pas changer le pansement de la dernière écorchure qu'il se sont faite au genou". (Extrait traduit de l'italien par ImpasseSud)

Les leçons, je crois qu'il faut les enseigner très jeune, mais ce n'est pas tellement dans l'air du temps aujourd'hui.