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De Luca Erri, « Eloge du pied » (1999 ? )
--> Titre original « Elogio del piede »

Erri De Luca, Photo de Fabiano VenturaDans un repos relatif au cours de cet hiver, mes pieds ont vraiment beaucoup souffert depuis trois semaines. Souffert ? Un bien grand mot ! Disons plutôt qu’ils ont soudain dû se confronter, sans entraînement préalable mais de plus en plus enthousiastes, à un exercice nécessaire, forcené et salutaire. Cela a commencé le 22 avril, à Naples : une ville de plus d’un million d’habitants à pied, c’est fatigant, même avec des chaussures adéquates, quelques arrêts pour goûter une sfogliatella (prononcer chfouliatèèlll) sortant du four ou déguster un caffè-espresso finalement original, ou encore, savourer une véritable pizza DOC arrosée d’une bière. Puis le 25 (fête nationale en Italie), la journée étant belle et ne nécessitant pas le pied marin que je n'ai pas, nous sommes partis pour les Iles Eoliennes, à Vulcano : nous avons fait à pied l’ascension du Grand cratère, seule façon de découvrir l’exceptionnelle beauté de l’archipel, imprégnant nos poumons et nos vêtements des exhalations sulfureuses des fumerolles, mais laissant les bains de boue aux néophytes. Le 6 mai, il a fallu retrouver Naples, mais c’est avec plaisir que nous nous sommes enfilés, pour digérer, dans la douce fraîcheur de ses souterrains pleins de surprises, parfois un bougeoir à la main et les pieds en canard ou de biais pour franchir des boyaux au sol visqueux d’humidité. Et, dans la foulée, ce dimanche nous sommes retournés aux Iles Eoliennes, Lipari cette fois-ci, que nous avons parcourue de long en large, entre ses jardins ombragés et silencieux, gardiens d’antiques nécropoles, ses falaises et ses écueils, ses villas typiques, sa végétation luxuriante percée parfois par une coulée d’obsidienne non plus noire mais striées, et sa neigeuse carrière de pierre-ponce, etc. Que ça fait du bien de s’occuper de ses pieds !..... C’est ainsi que l’« Elogio del piede » (1) (2) (Eloge du pied) d’Erri de Luca, grand écrivain italien mais aussi grand marcheur et alpiniste, m’est revenu en mémoire. En voici ma traduction :

 

Nos pieds sont le moyen de nous déplacer, de communiquer, jouer, connaître, apprendre, mais souvent nous l’oublions. Pourquoi ? 

Parce qu’ils sont loin de la tête.

Parce qu’ils connaissent le sol, les épines, les serpents, le rugueux et le glissant.

Parce qu’ils sont tout l’équilibre.

Parce qu’ils sont la surface qui vous revient quand on est dans une foule et qu'on supporte le coude d’un autre dans une côte, un bras sous le nez, un cartable dans le ventre, mais qu'on ne permet à personne de vous les piétiner.

Parce qu’ils sont la frontière minimum et inviolable.

Parce qu’ils soutiennent tout le poids.

Parce qu’ils savent s’accrocher aux moindres prises et appuis.

Parce qu’ils savent courir sur les écueils et que pas même les chevaux savent le faire.

Parce qu’ils vous emmènent.

Parce qu’ils sont la partie la plus prisonnière d’une corps incarcéré. Et que celui qui en sort après de nombreuses années doit apprendre de nouveau à marcher en ligne droite.

Parce qu’ils savent sauter, et que ce n’est pas de leur faute s’il n’y a pas d’ailes plus haut dans le squelette.

Parce qu’ils savent se planter au milieu des rues comme des mules et faire une haie devant la grille d’une usine.

Parce qu’ils savent jouer au ballon et qu’ils savent nager.

Parce que pour quelque peuple pratique ils étaient unité de mesure.

Parce que ceux des femmes faisaient crépiter les vers de Pouchkine.

Parce que les ancêtres les aimaient et que comme premier geste d’hospitalité, ils lavaient ceux du voyageur.

Parce qu’ils savent prier en se balançant devant un mur ou repliés vers l’arrière par un prie-dieu.

Parce que jamais je ne comprendrai comment ils font pour courir en comptant sur un seul appui.

Parce qu’ils sont allègres et qu’ils savent danser un merveilleux tango, un croquant tip-tap, une tarentelle adulatrice.

Parce qu’ils ne savent pas accuser et qu’ils n’empoignent pas d’armes.

Parce qu’ils ont été crucifiés.

Parce que même quand on aimerait les balancer dans le postérieur de quelqu’un, on est saisi par le doute que l’objectif ne mérite pas l’appui.

Parce que, comme les chèvres, ils aiment le sel.
Parce qu’ils ne sont pas pressés de naître, mais qu’ensuite, quand arrive le moment de mourir, ils ruent au nom du corps contre la mort.

 

Que ferons-nous dimanche prochain ? De toute façon, mes pieds sont d'accord.

(1) Publié partiellement sur Il Manifesto le 26.01.1999, mais repris en entier ici
(2) Lire le 9ème commentaire)
Les oeuvres d'Erri de Luca 
traduites en français
Photo di Fabiano Ventura (via Quasirete)

Mots-clefs : ,
Ecrit par ImpasseSud, le Mercredi 16 Mai 2007, 16:10 dans la rubrique "Bribes perso".

Commentaires et Mises à jour :

jojo
17-05-07 à 10:04

J'aime beaucoup le texte d'Erri de Luca, merci de me l'avoir fait découvrir!

Oh, comme je t'envie de te ballader comme ça sur les îles éoliennes! C'est là que j'ai passé mon voyage de noces, c'était idyllique!
Si tu veux encore faire travailler tes pieds je te conseille l'île de Salina, la montée au Monte Fossa delle felci est une expérience à ne pas rater! Tu peux en voir des photos ici:
http://heimendahl.net/Moritz/album/Nozze/

 
ImpasseSud
17-05-07 à 14:40

Re:

Elle sont bien belles tes photos. Vous vous êtes baignés en janvier ? Nous, nous sommes plus frileux, nous attendons le mois de juin.

J'ai découvert ces îles bien avant de venir habiter en Italie. Mais effectivement, aujourd'hui, nous pouvons nous y rendre facilement moyennant deux traghetti (ou un traghetto + un aliscafo) et un bout d'autoroute, entre 3 et 4 heures de voyage. Là, ça faisait plusieurs années que nous n'y étions pas retournés car nous évitons systématiquement la saison d'été, à cause de la foule. Je connais surtout Vulcano et Lipari, et ces jours-ci, à part quelques groupes de Français ou d'Allemands il n'y avait encore personne.

Salina, nous l'avons mise en liste pour la prochaine fois, plutôt pour un weekend. Hier, j'ai rencontré une de mes amies, une habituée des Eoliennes car sa famille possède un "motoscafo", et, tout comme toi, elle m'a dit que c'est celle qu'elle préfère et m'a vanté la ballade au Monte Fossa delle felci.
Moi qui aime les volcans actifs, après une nuit au sommet de l'Etna il y a bien des années, j'ai toujours rêvé d'aller à Stromboli et je regrette de ne pas l'avoir fait avant l'écroulement d'il y a trois ans, quand l'ascension était encore libre. Désormais, seuls on ne peut plus monter que jusqu'à 400 m, autrement il faut se joindre à un groupe avec un guide. Moi qui suis dépourvue d'instinct grégaire.....


 
jojo
17-05-07 à 16:56

Re:

Non, c'était en octobre, et on s'est baignés, l'eau était encore chaude mais il n'y avait plus aucun touriste!
Ces îles ont vraiment été une découverte, je m'y acheterais bien une maison (sauf que pour y arriver depuis Trieste c'est une nuit de train, une journée à Napoli et une nuit de bateau!).
Ah, Salina... nous on était dans un petit appartement qui s'appelle "gelso vacanze", c'était vraiment sympa, on avait une terrasse avec vue sur la mer et hamac pour nous tous seuls... Si vous y allez, ne ratez pas le "pane cunzato" e le granite da Alfredo!!!
Ne me parle pas de Stomboli, on n'a pas réussi à y aller! C'était pourtant un de mes rêves, mais vu qu'on était hors saison il n'y avait que très peu d'excursions organisées, et le jour où on avait choisi d'y aller... collegamenti interrotti, il y avait trop de vagues! Vuol dire che dovremo tornare... :)

 
ImpasseSud
17-05-07 à 18:41

Re:

Octobre, ici c'est le mois de l'année que je préfère !
Merci pour tes informations sur Salina, nous en profiterons ! :-)

Ces îles semblent à portée de main, et pourtant il n'est pas très facile d'y arriver... sauf pour les VIP qui ont mis le grapin sur Panarea et qui s'y font transporter en hélicoptère : il y a un service depuis Reggio à 210 Euros l'aller simple !!!! 
Le fait que l'accès soit un peu difficile, y compris la fréquence des collegamenti interrotti, pourrait les préserver, ce qui n'est pas si mal. En tous cas, elles se défendent, certaines d'elntre elles ont mis un numerus clausus pendant les mois d'été et il paraît, entre autre, - c'est ce qu'on nous a dit ce dimanche à Lipari -, que la commune s'oppose à la vente des maisons à des non-résidents ou non originaires.
Je souhaite que tu aies bien vite une autre occasion pour revenir.


 
sarah-k
23-05-07 à 09:22

Parce que

Parce que je suis à côté de mes pompes et que je n'avais pas encore lu ce magnifique article.
Merci! Pour le texte.

 
ImpasseSud
23-05-07 à 17:55

Re: Parce que

Un texte comme celui d'Erri De Luca, ça fait encore plus de bien les jours où on en a plein les pompes. As-tu jamais rien lu de lui ?

 
sarah-k
24-05-07 à 14:51

Parce que

Non! Je n'ai jamais rien lu de lui.
Je ne t'ai pas encore dit les nouvelles que j'avais préférées...plus le temps passe et plus j'ai honte :-)))

 
ImpasseSud
24-05-07 à 15:41

Re: Parce que

Si tu n'as rien lu de lui, au cas où.... je te conseille Trois chevaux et Montedidio. En ce qui concerne le second, cependant, je crains que le passage à travers une traduction ne lui ait ôté une part de sa saveur.

Bein oui, pour les nouvelles, heureusement que t'as honte !!!! :-))) Mais je n'ai pas encore  perdu tout espoir ! Allez, un petit effort ! :-)

 
ImpasseSud
24-06-07 à 10:59

"Eloge du pied" au complet

Un grand merci à Patricia qui vient de me communiquer par courriel la première phrase de la poésie.


 
Gavilan
24-03-08 à 20:50

Je me méprenait sur le sens d'adulatrice, ne sachant pas que cela signifie litéralement "qui flatte avec insistance souvent par bassesse ou par intérêt", mais une "rufianna tarantella" n'est-ce pas carrèment une tarentelle putassière?

 
ImpasseSud
25-03-08 à 16:42

Re:

Connaissez-vous la tarentelle ? Il s'agit d'une danse allègre, légère, entre sourires et regards. Non, je maintiens "adulatrice" qui, au sens figuré, est réellement une des traductions possibles de "ruffiana". "Putassière" aurait une implication vulgaire et une attribition exclusivement féminine, l'une et l'autre totalement étrangères au texte et au ton du poème.
S'il y a un domaine où la traduction littérale est impossible, c'est bien celui de la poésie... et c'est ce qui la rend si difficile.