Mon premier billet de cette série racontait la résistance à la corruption du droit de vote démocratique. Celui-ci est sous le signe de la résistance à la corruption, à la destruction du territoire, car Naples et sa région sont de nouveau sous les ordures. De nouvelles explosions de colère, des camions qui brûlent dans la nuit, des affrontements avec la police, des mamme qui montent au créneau. Mais comment cela ?! Berlusconi n’avait-il pas, en 2008, fait un de ses habituels « miracles » ? N’avait-il pas résolu définitivement ce problème d'ordures vieux de 14 ans, le balai à la main dans les rues de Naples, une jeune femme à ses côtés, devant une claque complaisante et des médias à ses ordres pour les scènes nationale et internationale ? Mais en Campanie, les gens savaient bien qu’il n’en était rien, qu’il s’était contenté de faire disparaître les ordures des beaux quartiers, sans rien nettoyer en périphérie, sans bonifier les campagnes empoisonnées(1), que l’ouverture de nouvelles décharges allait continuer, et que le nouvel incinérateur imposé à Acerra (un modèle obsolète ?) malgré les protestations et inauguré en grande pompe avait au contraire eu du mal à démarrer, qu'il ne fonctionne jamais à plein régime mais est souvent en arrêt, est déjà sous enquête de la magistrature pour la nocivité de ses émissions.
Le tissu de mensonges, le mépris envers les populations qui tourne autour de cet énorme scandale est inimaginable. Cela fait partie des histoires que l’on ne peut comprendre que sur place et du côté des victimes, ou bien, au-delà des informations partielles, déformées que relayent bonne partie des médias comme des perroquets, en s’immergeant carrément, en fouillant, sans jamais perdre de vue l’essentiel. Faute de quoi on finit, farcis de notions érronées, par faire le jeu du marchand de tapis qui gouverne le pays, comme le fait la presse internationale ces jours-ci.
Les histoires d’ordures de Naples et d’ailleurs, des déchets toxiques, du saccage sans scrupules des sols, sous-sols et nappes phréatiques, terrains agricoles, de l’air qu’on respire et des Parcs nationaux, qui mieux qu’Alessandro Zanotelli, 72 ans, Alex, comme tout le monde l’appelle, peut les raconter ? L'un des manifestants de ces jours derniers, une sorte d’Abbé Pierre, toujours présent là où l’homme est bafoué. Pour celles et ceux qui désirent se faire une petite idée exacte sur un état de faits bouleversant, voici ma traduction de l’interview (vidéo de 7' à 22') que cet homme qui généralement fuit les médias, a relâchée à Gad Lerner, le conducteur de « L’Infedele » ce lundi 25 octobre.
Gad Lerner - Après 30 ans en Afrique entre Soudan et Kenya, tu es revenu vivre à Naples, Rione Sanità, un des vieux quartiers de la ville, l’un les plus dégradés économiquement et socialement. Tu te retrouves face à cette révolte. N’as-tu pas l’impression d’être retourné en Afrique ?
Alex Zanotelli - « Si, j’ai passé des décharges de Nairobi à… J’ai vécu à côté pendant 12 ans, dans les bidonvilles Korogocho (2). J'ai les poumons pleins de fumée toxique, comme si j’avais passé ma vie dans une mine. Rentré en Italie, j’ai choisi d’aller vivre à Naples parce que je connais les difficultés de cette ville. Je suis donc retourné vivre à côté des décharges et des ordures. (…) Ce qui est en train de se passer autour de nous est inacceptable. Voilà pourquoi je m’y investis, je suis un passionné de la vie, de ce Dieu qui veut que tous ses enfants puissent vivre. Malheureusement, nous en Campanie, nous sommes en train de mourir ou, encore pire, on est en train de nous assassiner. Ces jours-ci, j’ai participé à plusieurs reprises aux marches et aux réunions à Terzigno et à Boscoreale (3) et je ressens toute la colère que les gens ont en eux. Ils ont raison de la laisser exploser ! Il faut absolument qu’ils se fâchent parce qu’on est littéralement en train de nous piétiner, de nous assassiner. Nous ne pouvons pas continuer comme ça !
GL - Aujourd’hui le ministre de l’Intérieur a lancé une alarme : « Là-bas, il y a quelqu’un qui veut alimenter la violence et qui serait même content qu’il y ait un mort ».
AZ - (…) Les gens, la population des communes vésuviennes veulent vivre, tout simplement. Chapeau bas aux Mamme Vulcaniche (4) qui ont inventé de tout pour hurler leur désir de vivre, qui luttent pour leurs enfants et pour le futur de cette terre. Je dirais que les accusations qu’on a lancées, c’est-à-dire que c’est la Camorra [mafia napolitaine, NdT] qui tire les ficelles, sont fausses. Encore plus maintenant que j’entends ces accusations de la bouche de Roberto Maroni [le ministre de l’intérieur, NdT]. Je voudrais rassurer le gouvernement. Bien sûr, des violents, il y en a, mais nous avons dit à ces jeunes qui sont en train de protester dans la violence, de ne pas utiliser la violence parce qu’ils risquent de trahir tout un peuple qui, de façon pacifique, est uniquement en train de revendiquer le droit de vivre. Donc, il n’y a personne derrière et nous tenons à le dire clairement, à tout le monde.
GL - Il n’y a donc aucun besoin de l’armée, parce que le Ministre de la Défense, Ignacio Larussa, a proposé d’envoyer l’armée sur place…
AZ - (…). En Campanie, la présence de l’armée est nécessaire. Qu’il l’envoie pour bonifier le territoire dévasté par les déchets toxiques. Le grand drame de la Campanie, c’est qu’il y a 20 ans que les industries du nord [de l’Italie, NdT] de mèche avec la Camorra, enterrent leur déchets toxiques en Campanie, région autrefois felix et aujourd’hui infelix. Nous ne pouvons plus accepter que ça continue. Je voudrais rappeler que les communes vésuviennes se trouvent justement dans le triangle de la mort, Nola, Marigliano, Acerra, un de ces terribles endroits où ont été déposées des quantités énormes de déchets toxiques.
GL - Cette fois-ci il s’agit de deux fosses : cava Sari qui dégage des puanteurs épouvantables qu’on est en train d’essayer de couvrir avec de l’argile, et la peur qu’on rouvre la cava Vitiello. Guido Bertolaso [le chef de la Protection civile, directement aux ordres de Berlusconi, NdT] a dit que pour l’instant, on n’y toucherait pas. Il y a d’autres endroits ?
AZ - Moi, je remercie la population des communes vésuviennes, parce que finalement, elle a reporté en première page le BUBON DES ORDURES que nous vivons à Naples. On n’a jamais cherché aucune solution. Il s’agit d’un double bubon.
Le premier, c’est celui des déchets toxiques. On a du mal à imaginer tout ce qu’on a enseveli dans notre Campanie pendant 20 ans. - Entre parenthèse, je n’ai pas oublié qu’on me l’a fait payer quand, directeur de Nigrizia, j’ai dénoncé le trafic vers la Somalie. - Aujourd’hui, en Campanie, ce qui est en train de se passer est inimaginable, on continue à enterrer des déchets toxiques. Pour nous, l’armée est la bienvenue, mais à condition que ce soit pour bonifier, non pas pour occuper. Seule l’armée peut venir à bout de la bonification de ce territoire. Je rappellerai de nouveau le triangle de la mort : le nord de Naples, la Terra dei fuochi, la province de Caserte où on a enterré les déchets toxiques du port de Marghera [le pôle industriel de Venise, NdT]. Il y a quelques jours, le parquet de Santa Maria Capua Vetere a confirmé que dans l’agglomération de Caserte il y a 80% de tumeurs en plus qu’ailleurs.
La seconde : il ne faut pas oublier que cette explosion de colère des communes vésuviennes remet en lumière le second problème, celui des ordures ménagères. Malheureusement, nous sommes face à quelque chose de dramatique, la victoire totale des pouvoirs économiques et financiers. La collecte différenciée ne les intéresse pas. Il est tellement évident que la politique n’en veut pas !!!(5) Elle veut des incinérateurs et des méga-décharges parce qu’elle y gagne beaucoup d’argent. Ce système-là, nous ne pouvons pas l’accepter car il porte forcément à la mort. Nous sommes bombardés par les dioxines produites par les déchets toxiques et clairement bombardés par les dioxines qui proviennent de l’incinérateur d’Acerra. Ici, il s’agit d’un cri pour la vie.
GL - Quand l’UE a fait part de sa désapprobation, Guido Bertolaso l’a pris assez mal. Berlusconi l’a envoyé sur place et a promis que tout serait résolu en 10 jours. Tu le crois possible ?
AZ – (…) Je ne pense pas que l’envoi de Bertolaso sur place soit la solution du problème, il a déjà failli il y a deux ans. Bertolaso est plutôt une partie du problème qu’il faut résoudre.
Le problème, c’est le décret n°90 de la loi n° 123/2008 du gouvernement de Berlusconi. Un décret d’une gravité inimaginable, qui impose à la Campanie 12 méga-décharges, la cava Vitiello entre autre justement, et 4 incinérateurs ! (...) Et c’est cela qu’on est en train de nous imposer avec l’armée. Tous les sites prévus pour les incinérateurs et pour les décharges sont désormais des zones militaires. Cela, c’est très grave. Le problème, c’est ce décret n° 90 !!!! Je le dis tout net. J’ai ici une citation, une déclaration de l’évêque de Nola, qui me semble importante, reprise par le pape : « L’ouverture d’une autre décharge provoquerait la mort définitive de ce territoire. Les lois sont faites pour l’homme, et non pas l’homme pour les lois ». Ces paroles me semblent fortes et sages. Au fond, cette révolte serait une intifada. Ceux qui l’appellent ainsi ont raison. Ce qui est en train de se passer à Terzigno et à Boscoreale remet en question le décret n° 90, parce qu’il n’est pas au service de l’homme. Il tue parce que cette loi tue et assassine, et quand les lois tuent et assassinent, il est important de se lever et de dire que ces conditions sont inacceptables, qu'elles sont dictées par l’intérêt et par les puissances économiques et financières. Dans ce pays, il faut que les hommes politiques recommencent à faire de la politique.
GL - Tu disais que tu es missionnaire en Italie, en Campanie ? Qu’entends-tu exactement par là ?
AZ - Je me souviens de mon dernier soir dans le bidonville Korogocho. Les gens ont demandé : « Avant que tu ne sortes, on voudrait prier sur toi. Cela a été très beau, une très longue prière faite par les pasteurs protestants et les responsables de petites communautés chrétiennes, qui ont invoqué l’Esprit saint sur moi « pour que je retourne convertir ma tribu blanche, car si la tribu blanche ne se reconvertit pas, il n’y a plus d’espoir, ni pour nous ni pour eux. » C’est pour cela que j’ai choisi de rentrer en Italie, choisi de rester à Naples, dans cette perspective de mission justement, pour proclamer le Dieu de la vie, (…) tous ses enfants ont droit à la vie, dans le sud du monde et dans le sud de l’Italie. On n’a pas le droit de piétiner les gens. Tout le monde doit pouvoir vivre.
Si nous acceptons cava Vitiello… Déjà que cette zone-là est invivable à cause de la puanteur… Cava Vitiello contiendra environ 15 millions de tonnes. 50.000 personnes seront obligées de prendre la fuite.
Moi, je remercie cette population parce qu’elle a reporté à la surface la question de fond, ce décret n° 90 – qui doit absolument disparaître – un décret de Berlusconi qui impose à la Campanie 12 méga-décharges et 4 incinérateurs. Cela signifie qu’on veut nous assassiner ! »
En ce qui concerne les incinérateurs, tout dépend du type d’incinérateur, de la qualité des émissions, de la génération d’énergie qu’on peut en tirer, de la façon dont ils sont gérés. Mais en ce qui concerne les sols empoisonnés, les ecomafia, les décharges abusives et les nouvelles méga-décharges !... Imaginez un peu que dans le département français du Rhône, par exemple, dont la superficie est très légèrement inférieure à la somme des superficies des Provinces de Naples et de Caserte (qui n'occupent qu'un tiers de la Campanie), avec une population d'environ 1.700.000 habitants pour le premier et 4.000.000 pour les deux autres, on décide d'ouvrir 12 méga-décharges et de construire 4 incinérateurs tout en continuant à fermer les yeux sur l'enfouissement sauvage de déchets toxiques importés d'ailleurs!!!
Bref, c’est cela la véritable histoire des ordures de Naples et de la Campanie. Quand je pense que certains pays européens ont déjà aboli les décharges... L'Italie, serait-elle devenue une nouvelle terre de mission ?
P.S. Pour en savoir plus : Waste Emergency (en italien et en anglais)
Tous mes billets : Italie 2010, ceux qui résistent
(1) Vidéo en fr. : Voir Naples et pourrir
(2) Voir le vidéo d'Envoyé Spécial : Les glaneurs de Nairobi
(3) Terzigno et Boscoreale sont deux des communes des Terres du vin (Lacryma christi) et des pierres du Vésuve.
(4) Photos : Mamme vulcaniche : 1-2-3 ; Alex Zanotelli à une manifestation
(5) En Campanie, la collecte différenciée n'est pas exempte de risques, mais il y des maires qui résistent :
- Vincenzo Cenname, le maire de Camigliano, province de Caserte, a été destitué par le gouvernement le 6 août dernier parce qu'il refusait de passer son excellente gestion du service des eaux et de la collecte differenciée (60%) à l'administration de la Province de Caserte qui voulait la remettre entre les mains de consortium douteux (mafieux?).
- Angello Cassallo, le maire de Pollica, province de Salerne, a été assassiné le 9 septembre dernier parce que l'excellente gestion, entre autres, de la récolte différenciée de sa commune (65%) était sans aucun doute devenue trop "gênante".
Mots-clefs : Italie, Planète Terre, Hommes de bonne volonté, Afrique, Médias, Union Européenne
Commentaires et Mises à jour :
Une décharge infinie...
1) Aux pieds du Vésuve, la colère des habitants explose à nouveau, contre les maires cette fois-ci car on a maintenant la preuve que les nappes phréatiques sont contaminées.
2) A quelques kilomètres de Rome, la bomba "Malagrota", la plus grande décharge d'Europe : on y déverse de tout car la collecte différenciée.... ne semble pas être le fort de Rome.
3) à Milan : séquestre d'un méga chantier pour la construction d'un quartier résidentel: en sous sol métaux toxiques et dioxines. Déchets toxiques : la mairie de Milan était au courant.
Ordures de Naples, 2 ans après la situation n'a pas changé et l'UE se fâche
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Ordures : à Naples, rien n'a changé depuis deux ans, a dit l'UE aujourd'hui.(Il Fatto quotidiano)
Lire la traduction dans Le Monde : "Naples, Ordures : les inspecteurs de l'UE exigent la mise en oeuvre d'un plan". Mais contrairement à ce qu'on peut lire dans la dépêche, aucun décret n'aurait été adopté : le démenti est arrivé du Président de la République en personne.
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La suite : les tours de passe-passe habituels
... C'est la grande spécialité du cavalier, comme à L'Aquila. Quand le ton monte trop haut et qu'on l'oblige à se distraire de ses affaires personnelles et de ses occupations préférées, quand les émeutes éclatent, il ... promet.
Aux mamme de Terzigno, vendredi dernier il a promis que pour l'instant il n'y aurait pas de seconde décharge et que dans celle qui existe déjà on ne déverserait plus que les ordures ménagères des 18 communes voisines. Affaire résolue ? Non, car cava Sari, dans le Parc National du Vésuve, est toujours ouverte, les écoulements des déchets toxiques ne vont pas disparaître pour autant. Pas plus que la puanteur d'ailleurs. Et puis, comment se fier aux promesses de ce bonhomme-là ?!!!
En 2008, le gouvernement n'avait-il pas promis de fermer définitivement la décharge de Taverna del Re ? Et bien, c'est pourtant vers Giugliano et Taverna del Re que le gouvernement vient de dévier les ordures de Naples où des affrontements entre police et manifestants ont immédiatement éclaté. Les prêtres de Giuliano-Qualiano sont du côté de leurs ouialles et les ont encouragés à participer à une marche aux flambeaux de protestation.
Mais aussi à Chiano, lieu d'une violente révote en 2008, et en Calabre dont l'unique incinérateur est sous séquestre et où on est également en présence d'enfouissement de déchets toxiques (sous terre comme en mer), avec une population qui n'en peut déjà plus.
"Problème résolu en 58 jours en 2008 !", et maintenant "en trois jours !" a fanfaroné le petit chef au cour de son énième show médiatique qui le montrait en train de regarder la flamme de "son" incinérateur à travers une petite fenêtre.
Dans la réalité : Promesses jamais tenues et tours de passe-passe continuels, un problème qu'on laisse pourrir depuis près de 20 ans sans jamais aucune prise en considération sérieuse, comme le répète si bien Alex Zanitelli.
Berlusconi accuse la gauche (qui a elle aussi sa part de culpabilité ! - et les médias internationaux le répètent comme des perroquets -), mais n'en est-il pas à son 3ème mandat et n'était-il pas au pouvoir de 2001 à 2006 ?
Donc, toujours à suivre. A quand et à qui le prochain tour ?