A L'Aquila, 18 mois après le séisme du
« (…)On court le risque que L’Aquila devienne quelque chose entre Pompei et Civita di Bagnoregio, si vous voyez ce que je veux dire. C’est-à-dire une situation à conserver telle quelle dans la gelée, mise à la ferraille dans la sécurité de ses étayages, à présenter, à conserver comme un endroit après-séisme à visiter. C’est-à-dire une ville où on abandonne l’idée même de la ville qui était celle d’un organisme où habitaient 50.000 personnes. Donc, la sensation qui est la nôtre, c’est qu’on ne projette rien qui puisse contredire ce que je viens d’illustrer. Là est le danger, là est la situation qui s’est crée par le fait qu’aucune ressource n’a été débloquée pour la REconstruction, qu’il s’agisse des fonds nécessaires à remettre en état ce qui existait ou qu’il s’agisse de projets occupationnels, de l’emploi, pour tous ceux qui avant vivaient à L’Aquila.
(…) Cela ne concerne pas seulement les immeubles qui se sont écroulés, mais le plus important, c’est le tissu social, le tissu administratif, il s’agit d’une ville qui n’existe plus.
Pour nous L’Aquila a toujours été une ville universitaire. Avant, on disait qu’elle était habitée par 50.000 personnes dont 20.000 étaient des étudiants venus de l’extérieur qui habitaient dans le centre. Et dans le centre, on assistait à un véritable échange interculturel, soit en provenance d’autres régions italiennes soit de différentes parties du monde. Cela pourrait constituer notre point de départ, notre point fort pour rassembler, projeter une REconstruction qui, si elle ne part pas d’une idée neuve ou d’un projet même hardi, ne pourra probablement pas décoller. (…) »
(Traduction de l'italien par Impasses Sud)
Passée l’occasion en or avec le gros business du G8, hélas exclusivement au bénéfice de « la caste »(1), on a en effet l’impression que ces 55.000 assistés sont des gêneurs, venus importunément se sommer aux laissés-pour-compte et aux chômeurs des délocalisations, des fermetures et des faillites de la crise. « Ils ont un toit sur la tête, non ? Alors de quoi se plaignent-ils, ces ingrats ? » C’est plus ou moins le langage du gouverneur.
Non ! Si un toit sur la tête peut tout d'abord vous réjouir après plusieurs mois sous la tente, 18 mois après le séisme qui vous a jeté à la rue, un logement en commodat ne suffit plus quand on a un chez soi réparable. Cet arrogant et ses semblables devraient savoir qu’au Frioul, après le séisme de 1976, l’ordre des priorités a été : 1) travail-emplois, 2) logements, 3) églises et monuments. C’est la raison pour laquelle ils s’en sont sorti impeccablement. Ce dont se plaignent les sinistrés de L’Aquila, justement, c’est non seulement qu’on les fasse passer pour des nantis ingrats et geignards aux yeux de l’Italie toute entière, mais de l’impossibilité de sortir de cet état d’assistés dans lequel on les a enfermés.
Un coup d'oeil de plus près.
1) A 18 mois du séisme, il y a donc encore env. 15.000 personnes qui sont toujours au chômage technique (700€ par mois), 29.000 ayants-droit au subside de l’Etat (200€ par personne et par mois), 3.000 et plus encore dans des hôtels ou résidences. Le gouvernement étant un très mauvais payeur, les ayants-droit reçoivent leur subside avec plusieurs mois de retard, les hôteliers sont régulièrement contraints de menacer d'interrompre leur service pour obtenir partiellement les arriérés qui leurs sont dus, et les entreprises qui ont monté les étayages, par exemple, pour le compte de la Protection civile, sont régulièrement contraints à lancer des rappels dans la presse. Certains fournisseurs sont même en liquidation.
On est donc face à une normalité feinte avec d’une part tous ces sinistrés en situation précaire dans l’attente d’avoir la possibilité, les fonds nécessaires et l'autorisation de réparer leur « chez-eux réparable » (ou simplement de rentrer dans leur chez-eux intact mais en Zone rouge) et/ou d’avoir la possibilité de rouvrir leurs commerces et entreprises endommagés, et qui, pour toute réponse, voient la réécriture à l’infini des listes de priorité, reçoivent des promesses de fonds qui n’arrivent jamais, et des coups de matraques s’ils crient trop fort. Pendant ce temps-là, les intempéries (on est entre 700 et 1.000 mètres) et les pillages faciles dans un ville déserte continuent à aggraver la situation.
De l’autre, face à une ville à REconstruire, les réponses aux appels d’offres lancés par les mairies pour les réparations et la REconstruction restent timides, prudentes, rares et voire volontairement incompletes. Un paradoxe ? Non quand on sait que les entreprises devront anticiper l’argent (et peut-être même s'endetter) pour le compte d'un Etat qui ne paie pas ou très tard.
Tout ceci explique pourquoi les assistés sont pratiquement coincés dans une sorte de voie de garage végétative, où sans moyens ou autorisations, ils sont contraints à rester dans l’attente, d‘une part, de récupérer/réparer leur capital immobilier inutilisable en l’état (70% des Italiens sont propriétaires de leur appartement), et, de l’autre, de retrouver une source de revenu qui leur rende leur indépendance et le droit à l’initiative.
2) Les nouveaux pauvres : il s'agit de la catégorie des personnes qui, sans être aisées avant le séisme, était cependant à l'abris de la pauvreté, parce qu'ayant un emploi et/ou un revenu (les chambres d'étudiants) et un logement dont ils étaient propriétaires ou futurs propriétaires en train de rembourser un prêt. Aujourd'hui, leur logement détruit ou toujours en attente de réparation, même s'ils ont un toit sur la tête et ne paient pas de loyer (ce qui n’est pas le cas de tout le monde), 700 à 1.000 € par mois pour 5 personnes, surtout avec des enfants en bas âge et des adolescents, ce n'est pas beaucoup. Les restos du cœur ont dû redoubler le nombre des repas qu’ils servent, et la Caritas a deux fois plus de « clients » qu’avant. Comme ces parents, par exemple, qui, cette année et toutes économies envolées, n’ont plus les moyens d’acheter manuels et fournitures scolaires pour leurs enfants. Sans oublier ceux qui, depuis 18 mois chez parents, amis, dans des garages, campers ou abris de fortune, toujours en attente des réparations apparemment renvoyées aux calendes grecques ou dans l’impossibilité de rembourser leurs prêts, sont en train de perdre leur propriété au profit d’une grosse société immobilière, Fintecna, qui, supportée par le governement, attend cette manne promise immédiatement après le séisme.
3) Personnes seules et/ou âgées : aucun studio n’ayant été prévu dans les HLM-CASE ou les maisonnettes en bois, on les laisse dans les casernes et les hôtels (parfois à des dizaines de km, dans une autre région), complètement déracinées et abandonnées à elles-mêmes.
4) Gravats : « L’Aquila 2079 : nous sommes enfin débarrassés des gravats », plaisante amèrement Legambiente (la ligue italienne pour l’environnement), car au rythme actuel, il faudra 69 ans pour éliminer les tas qui encombrent toujours les rues. En effet, on parle, on discute, on se dispute, mais entre contestations, magouilles, enquêtes et polémiques infinies, les gravats sont toujours là.
5) Augmentation des accidents de la route : "Sur les routes comme à la guerre, Basta !" s'exclame un conseiller municipal. La projection des sinistrés vers la périphérie ou à des dizaines de kilomètres, la dispersion des administrations, des écoles, des universités sans l’ampliation du réseau routier ou des transports en commun font que les Aquilani passent bonne partie de leur journée dans leur voiture. Ceci a généré une circulation continuellement chaotique, des embouteilles permanents, des pertes de temps inénarrables et une augmentation notoire des accidents.
6) Les adolescents : là, il s’agit vraiment d’un très très gros problème. Quelques enseignants (1-2) y ont mis du leur pour proposer des activités particulières, mais les adolescents les refusent parce qu’ils sont dans un cadre scolaire. Tous leurs points de repères et tout ce qui leur était cher ayant disparus avec « leur » ville autrefois vivante et jeune parce qu’universitaire, pleine d’activités et de possibilités, de spectacles, de points de rencontre et d’agrégation, ils tournent comme des âmes en peine. Bien souvent, là où ils vivent avec leur famille, ils sont isolés et n’ont pas le moindre coin personnel, d’où l’impossibilité de se réunir entre potes. Alors, entre ennui, solitude et mal de vivre, ils ont pris l'habitude de se retrouver, souvent entre fumée et alcool, sur le Viale della Croce Rossa ou à L'Aquilone, le plus grand Centre Commercial de la zone.
7) La terre a recommencé à trembler dans les Monts Reatini tout proche, épargnés le
8) Ceux qui s'en vont : si on exclut les personnes âgées seules qui ont immédiatement été éloignées et qu’on oblige à rester là où elles sont, face à un avenir incertain et sans perspectives, ceux qui le peuvent commencent à aller voir ailleurs, les jeunes en particulier. Un autre indice qui ne trompe pas : à L'Aquila, pour cette rentrée scolaire 2010-2011, les enfants d'environ 500 familles manquaient à l'appel.
9) Université : la situation est complexe, peu claire. Pour défendre son existence, cette année encore on a attiré les étudiants avec l’absence totale de taxes. Mais les facultés restent très dispersées, parfois exilées jusque dans des dépôts comme la Faculté de lettres. Insuffisance des transports en commun, des logements, des restos, conditions d'étude difficiles. Construction de campus en projet et une partie des résidences du campus de la Curie évacuée et mise sous séquestre pour irrégularités.
10) Du côté églises et monuments historique : après les promesses étrangères faites lors du G8, mis à part les 4 pays qui se sont rapidement manifestés (France, Allemagne, Russie, Kazakhstan), tout le reste semble souffrir d’amnésie. Par contre, on annonce la réouverture de 40 églises pour Noël. Dans quel état et grâce à l'argent de qui, je n’en sais rien. En tous cas, du côté de la Curie, il semble qu’on continue à appliquer le proverbe que « charité bien ordonnée commence par soi-même ».
11) Urban sketchers : les ruines, c’est beau et ça inspire. Il paraît que ce nouveau tourisme fait la queue et qu’il faut presque prendre son numéro parce qu’on n’entre dans la ville que sous encadrement et au numerus clausus. (photos)
12) Les magouilles : après que le chef du gouvernement, i.e. Berlusconi, ait délesté la Protection civile des devoirs qui devraient être les siens sur le dos du gouverneur de la région des Abruzzes nommé Commissaire à la REconstruction, après que le maire de L’Aquila ait été nommé vice-commissaire, après que dans un désaccord permanant parce que le premier annonce que l’argent arrive tandis le second ne voit jamais rien arriver et menace de démissionner, Berlusconi a nommé un autre vice-commissaire : vice du commissaire ou vice du vice ? Un homme d'affaire douteux, natif d’un des hameaux de L'Aquila et devenu super manager à Rome, directeur administratif de l'Università cattolica del Sacro Cuore, membre de la "Famiglia Pontificia" et pour cela gentilhomme de Sa Sainteté, parfaitement intégré dans « la caste » et déjà condamné pour la disparition de 2 millions d'euros, qui vient de créer, à quelques kilomètres de L’Aquila, un golf de 18 trous avec village touristique et hôtel de luxe accessibles par une route toute neuve qui évite la vue des villages en ruine. Tout à fait l'homme qu’il fallait !
Etc.
Bref, je pourrais en écrire encore et encore : raconter des procès aux responsables des écroulements, au chef de la Protection civile pour absence de prévention, des enquêtes mises sur pied par la magistrature sur la conformité ou non des isolateurs antisismiques des HLM-C.A.S.E de Berlusconi, ou encore des histoires de pots-de-vin, des barrières bureaucratiques qui empêchent l'argent des dons d'arriver à bonne fin, etc.
Je pourrais également m'attarder sur ce qui a décollé autour du divertissement et de la culture, car même dans le pire, il faut bien rire ou sourire de temps en temps : quelques concerts par-ci, un peu de théâtre par-là, des échanges à petite échelle, des rencontres, du sport, la création d'un comité de quartier, la naissance de nouvelles associations, la reprise de certains cours, etc., sans oublier les réunions et les assemblées où on parle, on parle, on parle…. Mais quel poids cela peut-il bien avoir quand manque l’essentiel, c’est-à-dire un véritable logement, du travail et de l’espoir ?
Soulever les voiles tendus servilement par bon nombre de médias, signifie non seulement mettre à nu une situation catastrophique mais aussi mettre en lumière le terrible bras de fer qu'il y a e
Un après-séisme infernal, plus redoutable qu'un séisme.
(1) « La caste » : en réf. au livre de Gian Antonio Stella, c'est ainsi qu'en Italie on désigne désormais tous les hommes politiques riches et les hommes-clefs des grosses entreprises de travaux publics (qui incluent la Protection civile) dans le giron ou directement aux ordres de Berlusconi.
Mots-clefs : L'Aquila, Italie, Planète Terre, Société, Sujets brûlants