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D'une bonne publicité involontaire, et du vérouillage global de l'information

Roberto SavianoVous connaissez certainement Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra, ce best-seller sur la Camorra, une enquête au long cours sur la mafia napolitaine avec noms, prénoms, surnoms, dates, méthodes, implications locales, nationales et internationales, politiques et économiques mondiales, etc…., qui a déjà vendu quelque 5 millions d’exemplaires dont 2,5 en Italie et a été traduit en 52 langues. Et si vous ne le connaissez pas encore (à lire, absolument !), vous aurez certainement entendu parler du film du même nom, Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2008. Tous ces succès, mais surtout le grand nombre de ses lecteurs comme il aime le répéter, lui ont valu des menaces de mort, ce qui fait que cet homme de 31 ans vit aujourd’hui sous escorte policière depuis 4 ans. Un sujet de fierté pour les Italiens ! Eh bien non, selon Berlusconi qui n'aime pas Saviano. Après l'avoir critiqué ouvertement à plusieurs reprises, il est retourné à la charge dans une récente conférence de presse retransmise par son monopole télévisé, unique source d’information pour 70 % des Italiens : « Les livres comme Gomorra font une mauvaise publicité à l’Italie. Ils sont promoteurs de mafia. On parle trop de mafia », a dit en gros le saint homme dont le monde entier connaît le peu de probité en affaires et la légèreté de mœurs.

 

Et pourtant, parmi tous les Italiens, quand il s’agit de trouver un homme véritablement respectable, c’est justement Roberto Saviano que le reste du monde va chercher, le journaliste et l'homme qu'on a été fiers d’inviter à l’Académie des Nobel à Stockholm en même temps que Salman Rushdie ; l'homme courageux en faveur de qui prix Nobel et autres figures morales ont pris et continuent à prendre parti ; le journaliste dont le Le Monde d'avant-hier a traduit la réponse écrite à Berlusconi (texte original en it.) ; le journaliste emblème de l'investigation sérieuse qui en fait l’invité d’honneur (vidéo, son article) de la sixième Conférence mondiale des journalistes d’investigation qui s’est ouverte avant-hier à Genève. C’est Saviano qu’on interview un peu partout, qu'on recherche, aujourd’hui sur Le Temps, dont on parle sur Le Devoir ou sur The Independent, c’est de Saviano dont on publie les récits et les articles dans toute la presse occidentale.

Quel autre plus que lui, pour l'instant, fait autant d'honneur à l'Italie ?
Le petit Président du Conseil serait-il jaloux de la notoriété internationale d'un journaliste qui raconte la vérité ? En attendant, on se demande comment ce marchand de tapis expert en publicité s’y serait pris s’il avait voulu que tout le monde parle de Roberto Saviano. Le pauvre ! il est sur le déclin.

 

Mais venons-en à cette Conférence mondiale des journalistes d'investigation, car elle mérite intérêt et réflexion vu qu’elle met a nu le clivage toujours plus profond qui existe désormais au sein de la profession de journaliste. Car si d’un côté Genève a également vu la présence de Seymour «Cy» Hersh, l’Américain qui dévoila les dessous du massacre de My Lai au Vietnam et le scandale de la prison d'Abou Ghraib en Iraq, mais aussi Mountader Al Zaïdi, le reporter iraquien devenu célèbre pour son lancer de chaussure à Bush, de l’autre, il est évident que nous devons désormais nous contenter des pauvres récits de perroquets d’un journalisme de bureau et du servilisme des embedded. « Les causes de cette fragilisation sont nombreuses. » peut-on lire dans Le Temps. « La crise économique a saigné les médias : ces derniers hésitent à soutenir des enquêteurs qui coûtent cher sur le court terme, provoquent des ennuis juridiques et des pressions de toutes sortes. Celles-ci peuvent aller jusqu’à la menace, voire pire, comme le montre la triste comptabilité des journalistes assassinés. Il y a aussi une crise de vocation, tout au moins en Occident: de moins en moins de journalistes sont attirés par cette activité à risque. Rendue aussi plus difficile par le verrouillage de l’information par les agences de relations publiques, chargées de porter la bonne parole économique ou politique. »


Nous y voilà ! Il ne s’agit plus, comme autrefois, des censures politiques dont le degré de pression changeait d’un pays à l’autre, mais de la globalisation de la censure économique, qui limite, sélectionne, écarte, amenuise ou grossit les nouvelles, selon les besoins du moment ou du marché. C’est ainsi qu’à partir du rapport 2009 de Médecins sans Frontières qui s’arrête plus spécialement sur les crises humanitaires oubliées par les médias, que La Repubblica, l’un des plus grands quotidiens italiens, a décidé d’y voir un peu plus clair dans ce nouveau « système d’information globalisé toujours plus anesthésié, victime des mécanismes qui suppriment les priorités les plus évidentes et bouleversent la hiérarchie des valeurs, et ceci au nom de l’audience, tenue sous contrôle par les senseurs de la publicité. »
Ici, on peut lire que la focalisation de l’information reste souvent nationale, voire patriotique. En Italie, par exemple, les crises humanitaires n’occupent que 6% des nouvelles du petit écran.

En 2006, on y a parlé 410 fois de la SRAS (à crise déjà dépassée et déclassée "potentielle" par l'OMS) contre 3 fois de la tuberculose qui cette année-là a fait 2 millions de morts.

En 2007, Paris Hilton a été l'objet de 63 rubriques en 3 mois, tandis qu’en 1 an, on n’a parlé que 41 fois des crises humanitaires en cours au Darfour, en Somalie, en République Démocratique du Congo, en République Centre-africaine et au Tchad, en mettant souvent tout dans le même sac de surcroît.

En 2008, la télévision s'est occupé 208 fois de l'histoire d'amour entre Carla Bruni et Sarkozy en 3 mois, tandis que l’épidémie de choléra au Zimbabwe qui a fait des milliers de morts n’est apparue sur le petit écran que 33 fois en 1 an.

En 2009, les soldes de fin de saison et le fait qu’il fait chaud en été sont devenus des "nouvelles" 368 fois contre 116 pour les reportages qui ont parlé des 800 millions de personnes qui meurent de faim chaque année dans le monde. S’en suit le TOP-10 des crises oubliées, où l’Afghanistan a la primeur, jamais objective cependant mais vue du haut des propres participations militaires. Quant au SIDA et à la malnutrition, aux maladies tropicales, on n’en parle que lors des sommets ou si le Pape…

Etc.

 

Bien sûr, il n’y a pas que les crises humanitaires, bien sûr, en matière de journalisme, l’objectivité et la recherche approfondie de l'exactitude n’ont pas toujours été des idéaux bien traités, mais là on assiste carrément à une mutation. D’un côté « L’enquête journalistique en danger », « Un genre menacé d’extinction », et de l’autre, une focalisation systématique de l’information officielle, qui, en refoulant tout le reste, saute sans arrêt du thème du jour, amplifié outre mesure, voire carrément déformé par rapport aux faits réels et à leurs portées, aux faits au contraire sans importance et sans conséquences, mais canalisant : distrayants ou effrayants, mais qui poussent de toute façon dans la direction du marché qui ne veut plus que des exécutants et des gens dociles. 

 

A l’ère d’Internet, c’est terriblement étonnant, non ? Mais, vu que de par la versatilité de l’être humain tout a toujours deux faces, heureusement qu’il y a Internet, heureusement qu'il y les blogs et parents proches, heureusement qu'il y a le journalisme citoyen, heureusement qu'il y a les ProPublica, Reporters sans Frontières, PeaceReporter pour n'en citer que quelques-uns, où on aime les Roberto Saviano, les Anna Politovskaïa, les Hu Shuli et tous leurs semblables, ces journalistes investigateurs qui racontent ou ont raconté le monde comme il est, dans une participation active à la lutte contre le mensonge, l’omertà et la corruption. Une catégorie de journalistes en expansion en Inde, au Brésil, dans toute l'Amérique du Sud et en Chine, une catégorie de journalistes qui, même en Occident, fait un travail d'information remarquable qui répond à la soif de savoir d'un certain public, substantiel mais qui, à condition qu'on lui en laisse la place, pourrait encore s'élargir. Voir cette vidéo qui fait un excellent tour de la question : "Journalisme d'investigation : mythe ou réalité ?"

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Ecrit par ImpasseSud, le Samedi 24 Avril 2010, 14:44 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

brigetjones30
25-04-10 à 20:11

Merci

Merci pour cet article.
Bien à toi
Bri

 
ImpasseSud
26-04-10 à 07:56

Re: Merci

Briget,
Je suis contente que tu l'aies apprécié et merci à toi d'avoir laissé un mot.
Bien amicalement


 
ImpasseSud
27-04-10 à 18:46

Saviano bloqué en Italie par le gouvernement berlusconien ?

Roberto Saviano devait venir en France du 3 au 6 mai pour parler de son livre "La beauté et l'enfer" qui sortira le 29 avril chez Robert Laffont. Tout était arrangé, hôtel, interviews, autorisation officielle... Son voyage vient d'être annulé "par une décision gouvernementale" écrit-on dans Le Nouvel Observateur.

 
JvH
27-04-10 à 21:03

Saviano est vraiment une personne que j'admire, sa réponse à Berlusconi est intelligente et mesurée.
Quant à ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas en regardant la télé, c'est vraiment tragique. L'autre jour j'ai vu un reportage sur ZDF au sujet de la Somalie, on n'en entend jamais parler et pourtant, il y aurait des choses à dire!

 
ImpasseSud
28-04-10 à 08:51

Re:

Tu connais aussi bien que moi la qualité de l'information en Italie qui, comme si cela ne suffisait pas, s'est ultérieurement détériorée depuis ton départ car non seulement le petit chef a rompu tous ses freins, mais les 7 médias nationaux se bousculent pour lui complaire. Je ne sais pas comment les choses se passent en Allemagne, mais j'ai désormais l'impression qu'à l'ère de "l'excès de communication", les médias sont de toute façon obligés de faire un tri, subjectif, cela va de soi. Et chaque pays le fait, non pas en fonction de l'importance ou des conséquences à venir, mais en rapport étroit avec sa politique intérieure. Ce qui fait qu'il y a deux types d'informations : celle que diffuse les médias, plus ou moins sélective, subjective, arrangée ou tronquée, et celle qu'il faut aller chercher soi-même sur la Toile, à condition d'en avoir les moyens, de connaître plusieurs langues et d'avoir du temps à disposition. Ce qui n'est pas évident pour tout le monde.

P.S. A propos de langues et d'information, l'année dernière je me suis mise à l'espagnol, et cela a très bien marché vu que je pouvais partir de l'italien. Je me suis donc dit que j'allais me mettre à l'allemand, même si au départ je savais que ce serait plus difficile vu que ce n'était pas mon premier essai. Mais alors que j'étais en butte aux "non règles et fantaisies" de cette langue charmante, j'ai lu ton billet "Spreichen sie Deutsch ?" .... qui m'a franchement découragée. :(


 
JvH
28-04-10 à 09:59

Re:

Oh mais non, tu es sérieuse, là? C'était un billet rempli d'anecdotes, mais mon intention n'était pas de décourager les personnes qui apprennent la langue de Goethe (expression qui fait toujours rire mon chéri allemand)! C'est dans mon tempérament de râler, mais si j'étais vraiment honnête je reconnaîtrais que l'allemand est une langue qui commence à me plaire beaucoup. D'ailleurs l'autre jour on a passé la journée avec des amis italiens qui vivent à Berlin, et au milieu de la conversation, on a utilisé de nombreuses expressions allemandes.

 
ImpasseSud
28-04-10 à 14:50

Re:

Rassure-toi ! :-) J'avais très bien compris le sens de ton billet, mais aussi celui des nombreux commentaires qui ont suivi : une sorte de confrontation sympathique et amusante sur la langue de Goethe entre blogueurs/euses de la langue de Molière :-))) vivant en Allemagne. 
Le fait est cependant que l'étalage de vos difficultés après un an ou plus de présence dans le pays avec des cours à la clef avait quelque chose de décourageant pour quelqu'un qui comme moi s'y était mise sérieusement avec ce site dans le seul but, non pas de devenir bilingue ou même d'être capable de soutenir une conversation, mais simplement d'acquérir en six mois les connaissances indispensables pour avoir accès à la presse et aux reportages et documentaires en allemand. A cela, il faut ajouter que je venais juste de lire sur un site officiel allemand pour étrangers qu'il faut au moins un an d'une étude assidue pour arriver à un premier niveau. Donc en butte à tous les par-coeur hors règles que vos commentaires semblaient confirmer, je me suis demandée si les heures que j'y passais en valaient la chandelle.
De toute façon, ce n'est pas grave du tout. Un jour ou l'autre je m'y remettrai :-) car j'adore l'étude des langues étrangères, ça vous ouvre des portes que les traductions laissent fermées.