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Tremblement de terre à L’Aquila (10) : Les Aquilani en colère vont protester à Rome

Comme je l’ai déjà raconté dans mes billets précédants, la gestion des suites du tremblement de terre du 6 avril à L’Aquila n’est pas du goût des Aquilani qui, bien que terriblement éprouvés moralement, sans ressources et/ou ayant tout perdu pour un bon nombre d'entre eux, doivent en plus passer leur temps à se défendre contre l’autoritarisme scandaleux dont ils sont l’objet de la part de la Protection civile et le peu de sérieux du gouvernement.

Dans la vie publique comme dans leur vie privée, la Protection civile a presque annulé les pouvoirs des administrations et autorités locales, elle ne laisse aucun espace pour un retour à une vie semi-normale, insérant au contraire plein d’interdits, diktats, restrictions, barrières, mépris, et, en empêchant l’implication des entreprises locales dans la gestion ou l'approvisionnement des tendopoli* où se trouvent encore près de 30.000 personnes ainsi que toute participation locale à la gestion de l'avenir et de la reconstruction, elle freine la reprise économique de la région et de ceux qui en dépendent.

Quant au gouvernement, il continue à ne pas débourser les fonds qu’il a promis pour que les gens puissent se chercher un logement ou faire les réparations nécessaires dans celui qu’ils avaient, à tel point que tout le monde se demande si ces fonds existent.

Pendant ce temps-là, sans prendre l'avis de personne, l’une et l’autre vont de l’avant dans la construction de plusieurs « new towns » dont personne ne veut, en pleine campagne, pour reloger 13.000 personnes à l'automne alors que c'est 45.000 qui en auront besoin (voir le billet n° 9).

Bref, on traite les Aquilani comme si, en plus de leur patrimoine et d’une bonne partie de leurs biens personnels, ils avaient également perdu leurs facultés mentales. Ceci tout en favorisant la dispersion au maximum et en faisant en sorte, avec le concours servile des médias à la botte de Berlusconi, que tout reste plus ou moins dans l'ombre. Si bien que depuis fin mai les protestations se suivent, hélas sans grands résultats, et que pour le 16 juin, les Aquilani avaient décidé, maires en tête (en plus de L’Aquila, il y 48 communes sinistrées) d’aller à Rome pour se donner un peu de visibilité et demander deux choses : le vote d’une taxe de circonstance et la récupération de la gestion de la reconstruction.

 

Organiser cette manifestation n’a pas été facile : pas facile d’amener aux assemblées citadines des gens démoralisés et intimidés, pas facile d'avertir les dispersés sur la côte adriatique via SMS ou Internet, pas facile de faire passer l’information dans les tendopoli* où Internet est considéré comme inutile et où la distribution de tracts est interdite « pour ne pas déranger les hôtes », cette interdiction tombant immédiatement quand il s’agit de karaoké, de bals ou de clowns. Comme dirait Miss Kappa : « Ce qu’on veut, c’est qu’on reste tous là comme des abrutis, en train de chanter. En parfait style berlusconien. »

 

C’est donc après avoir affronté mille et une difficultés que mardi dernier, 16 juin, un groupe d’au moins 2.000 personnes, toutes victimes du séisme, a réussi à arriver à Rome, sous les fenêtres de Montecitorio, la Chambre des députés. Des personnes de tous les âges, qui, bien que profondément éprouvées et lasses, ont défié la chaleur opprimante, la fatigue et la peur. Car on ne voulait pas d’eux, on ne voulait pas de leurs banderoles dont l'une, en parfait dialecte aquilani, disait « Berlu$co’, non te fa revede’ a L’Aquila » (B, on veut plus te voir à L’Aquila, NdT). A Montecitorio, le député du PDL (Partito de la Libertà de Berlusconi) qui les a reçus, (un certain Giorgio Straguadagno dont le nom de famille signifie "je gagne énormément", ce qui rappelle la sagesse latine du nomen omen (1)) leur a tout de suite déclaré sans perdre son temps qu’une taxe de circonstance ne pourrait pas passer, qu’on n’allait pas obliger les Italiens (2) à mettre la main au porte-feuille, et encore moins confier l’argent de la reconstruction à des administrations locales dont on ne peut pas se fier (3). Et que, par conséquent, tout resterait dans les mains de la Protection civile. « Vu que vous n’avez pas l’argent nécessaire pour agir de façon autonome par rapport au gouvernement central, vous n’avez pas le droit de prétendre quoi que ce soit. C’est ça ou rien », a-t-il conclu.

A signaler qu’en même temps on avait autorisé la protestation d’un syndicat de gardes jurées qui, en très petit nombre, manifestaient pour le renouvellement de leur contrat. Munis de sifflets, comme par hasard et sous l’œil bienveillant des forces de l’ordre, ils ne cassaient les oreilles à tout le monde qu’à chaque fois qu’un représentant des Aquilani sortait pour les informer, allant jusqu’à couvrir leurs slogans lancés au mégaphone. (vidéo). La tension n’est retombée que quand les Aquilani ont repris, en défilé, la direction de Piazza Venezia, forçant un barrage de police, bloquant la circulation par un bref sit-in Via del Corso, et terminant la manifestation main dans la main par une ronde qui faisait le tour de la place et une minute de silence pour les 307 morts. « Une journée de douleur, déception et profonde amertume. Tous, parfaitement conscients qu’avec ce décret (4) notre ville mourra. », écrit Miss Kappa qui était sur place et à qui je dois les détails de ce récit.

Le lendemain Berlusconi était à L’Aquila, ou plutôt il survolait L'Aquila... en hélicoptère. Et les comités de citadins qui l’attendaient pour lui poser des questions sur toutes les voies d’accès au siège de la Protection civile où il devait se rendre auprès de l’Ecole de la Guardia di Finanza qui recevra le G8, n’ont eu droit qu’aux sarcasmes, mépris et insultes des forces de l’ordre qui les surveillaient, un mauvais sourire sur les lèvres : « Bandes d’idiots ! Vous ne croyez quand même pas qu’il va passer par ici ?! Vous êtes pathétiques ! » « Ceci est le suc, édulcoré, de ce qu’on nous a dit », conclut Miss Kappa.

« Voilà donc où nous en sommes. Mais nous n’avons aucune intention de capituler. Nous sommes seuls, nous sommes peu nombreux pour l’instant parce que beaucoup de monde a peur ou n’en peut plus, mais nous irons de l’avant. Nous les attendons pour le G8. »

Voilà ce que certains JT nationaux ne racontent pas ou survolent rapidement, ne puis-je m'empêcher de conclure à mon tour, préférant tous s'attarder, depuis un mois et plus, sur  les histoires de c. (5) d'un petit homme lamentable, douteux et dépravé. Comment est-il possible qu'une nation tout entière se passionne, se repaisse et s'écharpe du matin au soir à son propos, vote pour lui en grande majorité, mais se désintéresse totalement de la profonde détresse des sinistrés, de la destruction d'un magnifique chef-lieu et des villages qui l'entourent ?!!!! Comment se fait-il qu'il soit si facile d'obnubiler, de vider les esprits ?

 

Manifestations sans grands résultats, ai-je écrit plus haut. Sans doute, et manifester durant le G8 sera encore plus difficile vu qu’on parle déjà de déplacer les grandes tendopoli toutes proches ou de les boucler. Mais tous ces gens cruellement démunis, qui aimaient leur ville, qui veulent la reconstruire, ont parfaitement raison, et je ne comprends vraiment pas qu’on puisse, qu’on ose dissocier les questions d’urgence du désir de renaître, de recommencer, de "voler" comme on dit si justement à L'Aquila. C’est ajouter une violence à la violence du tremblement de terre. Aujourd'hui, finalement (les protestation du 30 mai), et bien que la terre tremble encore, de 11 heures à 22 heures, les Aquilani ont eu le droit d'entrer dans la zone rouge, et de parcourir, par groupes de cinquante personnes accompagnées par les pompiers, la rue du centre historique qui va de la villa comunale (jardin) au dôme. Inutile de dire que tous les JT en ont parlé. Un tout petit premier pas ? Dans cette affaire il faudra de toute façon beaucoup de patience et de ténacité, mais s'il y a une chose de sûre, c'est qu'il ne faut surtout pas que la pression populaire faiblisse. 

 

* tendopoli : nom attribué aux villages de tentes

(1) Locution latine qui, traduite littéralement, signifie "le nom est un présage" ou encore mieux "le destin est le nom", qui dérive de la croyance chez les Romains que le nom d'une personne indiquait son destin.

(2) En fait, dans un premier temps, tous les partis de l'opposition étaient tombés d'accord pour une taxe unique sur les revenus supérieurs à 130/140.000 €.... Ce qui est loin de concerner tous les Italiens !

(3) Dans cette région des Abruzzes sans grande infiltration mafieuse et dont le Président est du PDL, il est intéressant de savoir que le maire de L'Aquila et la Présidente de la Province particulièrement concernés par ce séisme sont inscrits au Partito Democratico, le parti de gauche.

(4) Lire ici à propos du "décret abracadabra".

(5) Désolée pour cette expression. J'en changerai quand je trouverai mieux.


Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila 

1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila

2 : Les risques de la reconstruction

3 : Les lieux communs

4 : Avant et après

5 : Sur la scène et dans les coulisses

6 : L'éclosion des petits malins

7 : La parole aux blogueurs

8 : Là aussi on vote... malgré tout

9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte

11 : A trois mois du séisme vers le Sommet du G8

12 : La parade du G8 à son apogée et les réponses des Aquilani

13 : L'erreur d'Obama

14 : Les Aquilani plus isolés que jamais

15 : Vu de loin

16 : La grande confusion

17 : 6 mois après, cahin caha, mais toujours en dépit du bon sens

18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue

21 : 1 an après !

22 : Un an après, le bilan

23 : Deux films qui racontent la réalité du post-séisme

24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?

25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués

26, 27, etc... toute la suite ici

Mots-clefs : Italie, L'Aquila, , , Médias, Internet, Sujets brûlants, Planète Terre

Ecrit par ImpasseSud, le Lundi 22 Juin 2009, 08:59 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

sarah-k
23-06-09 à 09:12

C'est boulversant et ahurissant !
Il y a des tremblements de terre qui boulversent l'opinion et d'autres pas , la focalisation médiatique n'a pas eu lieu.
C'est dingue de penser que cela fonctionne comme ça.
L'intérêt international en ce moment, c'est la recherche des boîtes noires dans l'océan atlantique.
Merci de faire ce travail d'information, il n'y a pas grand chose dans nos journaux sur le sujet.

 
ImpasseSud
23-06-09 à 13:31

Re:

La focalisation médiatique marche désormais à l'audimat. Au début, du côté des médias, c'était à qui en disait le plus, en parlait le plus, en discutait le plus. C'était même la guerre des talk-show! Et puis, des voix ont commencé à dire que c'était ennuyeux, que là-dessous il y avait de l'instrumentalisation. Une semaine après, le centre d'intérêt s'était déjà déplacé sur le vignettiste et le journaliste qui ont "osé" dénoncer les véritables causes du grand nombre de morts et l'incompétence de la Protection civile. Etc... Ça a duré environ un mois, avec une focalisation différente chaque jour sur les VIP qui sont allés défiler sur place en s'attardant sur leurs exhibitions. Ensuite l'histoire de c. est arrivée et le rideau est définitivement tombé. 
Quand on lit les feuilles de choux, les sites internet où les blogs locaux, on a l'impression de pénétrer dans un monde parallèle d'où aucun son ne doit sortir. Tu voudrais les aider, mais tu ne sais pas quoi faire. Alors, moi j'ai pensé que je pouvais leur donner une petite voix, même si c'est en français.