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Tremblement de terre à L’Aquila (7) : la parole aux blogueurs

L’ « Articolo 21 », c’est l’article de la Constitution italienne en vigueur depuis 1948, qui garantit la liberté de la presse, mais aujourd’hui, en Italie, il faut être aveugle ou complice pour ne pas se rendre compte des distorsions flagrantes de l'information. De l’avis des experts internationaux, cette liberté n’est plus que partielle (1-2-3-4), d’une part à cause des pressions mafieuses, mais surtout à cause de la concentration d’un véritable empire médiatique dans les mains de Berlusconi qui, non seulement, monopolise l’information à ses fins personnelles et politiques, mais, en plus, a engendré un vaste servilisme complaisant et bruyant qui passe son temps à étouffer, dénigrer et dénaturer les autres sons de cloche. La couverture de tout ce qui concerne le tremblement de terre de L’Aquila du 6 avril n'y échappe pas. Le dirigisme imposé à l’information n’étant cependant pas total (pas encore ?), la satire peut encore y faire allusion, à condition que ce soit de nuit, car en première soirée elle déclenche l'indignation popul...iste, il est toujours possible de dénicher la vérité sur la Toile (jusqu'à quand ?), ou de manifester dans une salle comme cela s’est passé à Rome le lundi 11 mai. Je n’ai donc pas été surprise quand j’ai entendu l'ancien Président de la République italienne, Oscar Luigi Scalfaro, et la Présidente de la Province de L’Aquila, Stefania Pezzopane, tomber d’accord sur le fait que ce qu’on raconte à la télévision est loin de refléter la réalité, « la réalité que je vois tous les jours » a ajouté cette dernière.


En effet, ce que montrent les directes des JT se résume, sauf exception, aux blabla de leurs propres envoyés spéciaux, toujours devant les mêmes tentes en toile de fonds ; à l’interview d’un homme politique ou d’un VIP venu se pavaner, ou de M. Bertolaso, le grand chef de la Protection civile, avec son habituel paternalisme ; et à un zoom sur un groupe de jeunes enfants occupés à dessiner ou riant des farces des clowns arrivés sur place pour leurs changer les idées. Heureusement qu’il y a les blogs. Est-ce grâce à eux que les JT parlent, finalement (en demi-phrases - cela va de soi -), des sérieux problèmes hygiénico-sanitaires dans les « tendopoli », les quelque 170 camps de tentes où se trouvent 35.000 sans-abris, avec épidémies de dysenteries, bronchites, pneumonies, crises d'asthme, etc. ? L’odeur insupportable qui y règne avait été évoquée dans la presse le 6 mai, mais pour la saleté des sanitaires, l'insuffisance des douches et les rats qui courent entre les tentes, il a fallu attendre le 14
C'est donc à ce niveau-là que les blogs doivent prendre le relais. Ici et , on vous parle du régime de ghetto que la Protection civile, arrogante sur tous les fronts comme avant le tremblement de terre dont elle niait la possibilité sans vouloir prévoir aucun plan d'urgence, fait régner dans certains camps, en n’appelant plus les gens que par le numéro qu’on leur a attribué, en contrôlant étroitement les entrées et les sorties et en cadenassant la nuit les fils de fer dont on les a entourés, en prenant la moindre suggestion pour une rébellion ou de l’ingratitude, en écartant systématiquement les journalistes, en laissant que s’installe un système des privilèges, etc…
La réplique est parfois cinglante, voire carrément méchante, car les volontaires de la Protection civile (qui ne se ressemblent pas tous, heureusement) et les partisans de la majorité qui lui a donné blanc-seing, n’admettent pas qu’on puisse émettre les moindres critiques ou doutes à propos de leur « dévouement ». Comme si le fait de sacrifier(façon de parler car aucun volontaire salarié ne perd sa journée de travail qui passe à la charge de l'Etat) un peu de son temps à ceux qui sont dans le malheur vous donnait le droit à la tyrannie et à l'insolence. De volontaires qu'ils sont, ils devraient au contraire avoir appris la patience, et savoir tirer un enseignement de leurs erreurs.

On en apprend également beaucoup sur l’humanité qui, par contre, règne dans les camps autogérés ; sur la grande disponibilité et la délicatesse des pompiers, et sur ceux qui, en dehors de toute organisation, sont venus apporter leurs compétences techniques et résolvent les petites difficultés ; sur l'infirmière de l'hôpital de L'Aquila qui a sombré dans une profonde dépression après avoir vu, le 6 avril, en pleine évacuation, qu'on faisait un choix parmi les patients à évacuer. On y découvre aussi que dans les tentes il y a surtout des personnes âgées et des étrangers, et que dans les hôtels et les résidences au bord de la Mer Adriatique, il y a les fonctionnaires, les enseignants et les représentants de la bourgeoisie locale : ici on se demande pourquoi, photos à l'appui. Sur les blogs, on décrit l’absence de moyens dont souffrent les municipalités (il semble que celle de L'Aquila soit encore sans réseau informatique interne), avec, par conséquent, l'impossibilité de répondre rapidement aux demandes d'aides urgentes promises par le gouvernement ; le désarroi des commerçants et des artisans sans plus aucune source de revenu, mais avec des factures à échéance ; les opportunismes de ceux qui profitent du tremblement de terre pour tourner leur veste, la position trop condescendante de l'Eglise, etc. C'est donc, entre autres, d'ici, d'ici, d'ici, d'ici et d'ici que l'on peut partir pour en savoir plus, vu qu'un lien tire l'autre. Ah ! à propos du dernier justement, j'ai eu le plaisir de suivre un bel exemple de solidarité entre bloggeurs.


L’histoire de Miss Kappa est emblématique. La nuit du tremblement de terre, aucun de ses parents n'est resté sous les décombres, mais pour le reste, Anna (c'est son nom), 52 ans, a tout perdu : boutique et laboratoire d’antiquaire, un bel appartement sous les toits qu’elle avait restructuré personnellement, et sa maison dans les montagnes toutes proches. Et avec cela sa source de revenu, le travail d’une vie, l’âme de la ville où elle est née et où elle a grandi, et tous les témoins de ses souvenirs, toutes ses photos. Sa famille et celle de son mari étant dans la même situation, ils auront bien du mal à récupérer quoi que ce soit.

Blogueuse depuis mars 2007, le réseau d’amis qu’elle s’est faite s’est vite élargi grâce à sa verve perspicace, tranchante, mais chaleureuse et pleine d’humour. A peine sortie des décombres d'une maison-amie (qui s'est écroulée elle aussi) où elle s'était réfugiée dans la campagne voisine de L'Aquila n'en pouvant plus après trois mois de secousses répétées, mais surtout après celle du 30 mars au soir, plus violente, le jour même du sésisme, le 6 avril, elle s’est empressée de faire savoir à « sa » blogosphère qu’elle était saine et sauve. Contrairement à tous ceux qui ont quitté la ville pour des résidences temporaires sur la côte adriatique, Anna a voulu rester à L’Aquila. Sans plus aucun toit et logeant tout d’abord dans sa voiture garée dans une tendopoli où on lui a fourni vêtements chauds et couvertures, puis dans une très vieille roulotte sans confort dans le champ d’un éleveur, sans plus aucun PC, sans plus aucune connexion, sa voix risquait de se taire. Alors, dans un maigre post du 9 avril, elle a demandé si quelqu'un avait un vieux PC inutilisé. Le 10, on le lui avait déjà procuré, mais la connexion…. extrêmement lente, et un continuel va-et-vient.

Alors Marina, sympathique et passionnante professeure à la retraite, a lancé une collecte depuis Rome. Grâce au grand nombre de participants, grâce à Daniele à Gênes et à Ornella à Avezzano, Anna a reçu un portable tout neuf, déjà configuré, avec une clef USB de 400 heures de connexion. Et l’excédent, 1.775 €, a permis, à elle et à son mari, Peppe, de s'acheter un petit conteneur de 10 m2 avec un lit, une table, une petite armoire et une plaque per il caffè. A défaut du magnifique centre historique où ils habitaient, ils l'ont parqué dans la zone industrielle, dans la cour d'une entreprise-amie, partiellement sinistrée elle aussi, à côté des conteneurs des ingénieurs, avec l’eau courante, l’électricité et un WC avec douche. Ils y sont depuis le 7 mai : « Ce n’est pas rien ! » écrit-elle en remerciant chaleureusement. « Vous, mes amis très chers, vous m’avez également fait cadeau de ce conteneur, de ce petit espace où faire renaître une vie nouvelle. Merci de votre générosité qui, en ce moment, nous est vraiment précieuse. Dès que cela me sera possible, je publierai des photos de votre cadeau. Savez-vous qu’hier soir, en nous couchant dans un semblant de normalité, Peppe et moi-même, pour la première fois depuis le désastre, nous avons réussi à hasarder l’ébauche de quelques hypothèses à propos de notre avenir ? »

Tous mes meilleurs voeux à Anna et à son mari, bien entendu.

A part cela, la terre continue à trembler, mais cela n'intéresse plus que les feuilles de choux locales (1-2).

Hier, plutôt que d'opter pour des terrains communaux ou domaniaux intuilisés, en abondance dans l'agglomération de l'Aquila, pour la construction des 4.000 maisonnettes qui devraient donner un logement à 13.000 sans-abris (et les autres ?), on a préféré, au milieu des protestations locales, exproprier des particuliers à bas prix. L'arrogance de la Protection civile continue. D'ici une semaine ou deux la marie communiquera l'intégralité de la double liste des immeubles où l'on peut rentrer (A sans travaux et B après travaux).
Malgré les déclarations fanfarones de Berlusconi qui au lendemain du 6 avril disait que l'Italie peut se débrouiller seule, le gouvernement a décidé de faire appel à l'Union européenne. Afin qu'elle puisse faire sa demande dans le cadre légal des 10 semaines après la catastrophe, hier le Commissaire européen pour les Affaires régionales, Danuta Hubner, est venu commencer son inspection. Espérons qu'il ouvre les yeux bien grands.

Et, pour finir, suite aux ambiguités du gouvernement à propos des fonds pour la reconstruction, Berlusconi a assuré que toutes les reconstructions seraient prises en charge à 100 %. Va savoir pourquoi, du côté des Aquilani, tout le monde continue à en douter.

 

Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila 

1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila

2 : Les risques de la reconstruction

3 : Les lieux communs

4 : Avant et après

5 : Sur la scène et dans les coulisses

6 : L'éclosion des petits malins

8 : Là aussi on vote... malgré tout

9 : Ce qu'aucune JT italien ne raconte

10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome

11 : A trois mois du séisme vers les Sommet du G8

12 : La parade du G8 à son apogée et les réponses des Aquilani

13 : L'erreur d'Obama

14 : Les Aquilani plus isolés que jamais

15 : Vu de loin

16 : La grande confusion

17 : 6 mois après, cahin-caha, mais toujours en dépit du bon sens

18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir

19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue

21 : 1 an après !
22 : Un an après, le bilan

23 : Deux films qui raconent la réalité du post-séisme

24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?

25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués
26, 27, etc... toute la suite ici

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Ecrit par ImpasseSud, le Samedi 16 Mai 2009, 14:06 dans la rubrique "Actualité".