Tout d’abord, le 6, il y a eu quatre mois que le séisme a eu lieu. Ce 6 août, les médias ont parlé d’Hiroshima, mais pas du tremblement de terre de L’Aquila. Dans la nuit du 5 au 6, les Aquilani ont renouvelé leur cérémonie-anniversaire en mémoire des 307 victimes. L’Italie des anniversaires commémoratifs(1), où on pleure et où on applaudit (mais QUI ?!!!!), me laisse toujours perplexe. Car si, d’un côté, ces espaces de recueillement et de mémoire sont lénifiants pour les parents des morts et les survivants, il est évident que, sans participation nationale, cette forme de manifestation n’a aucun impact sur le temps présent, sur le gouvernement en place ou sur les fonctionnaires des structures étatiques qui ne font pas leur boulot. Après le désastre annoncé du 6 avril avec ses édifices classifiés à risques depuis dix ans, ses immeubles de sable aux murs portants fissurés et l'absence d'un programme d’urgence malgré trois mois de secousses annonciatrices, le gouvernement a-t-il déclenché le moindre contrôle des contructions sur l’ensemble du territoire ? A-t-on finalement réalisé que dans un pays à risques sismiques très élevés, il est essentiel que la Protection civile soit toujours prête à affronter, non seulement la première phase d’urgence, mais la seconde qui concerne le relogement ? Non, il a fait ouvrir une enquête qui peut durer indéfiniment et même finir par un non-lieu comme pour l’Irpinia, et il a finalement adopté un vieux projet de normes antisismiques continuellement renvoyé jusque-là, mais dont personne ne contrôlera sérieusement l'application. A Viareggio, un mois après la catastrophe du 29 juin dernier qui (à ce jour) a fait 28 morts (en fr.), là aussi on a fait une marche aux flambeaux avec pleurs et applaudissements, mais en haut lieu on n’a toujours pas inculpé le moindre responsable du manque de contrôle du matériel ferroviaire(2), pourtant si facile à identifier. Marches aux flambeaux, pleurs et applaudissements au niveau local ne suffisent pas à ramener la justice. On se demande au contraire si on n'a pas plus d'égards pour les morts que pour les vivants. Mais revenons-en à L'Aquila.
Si jusqu’à présent le temps s’écoulait sous le signe de l’immobilité, maintenant il semble qu’on soit passé à une phase de fébrilité, avec toute la confusion que cela génère quand du côté des institutions tout est conçu à l’enseigne de l’improvisation de dernière minute et que du côté des ayants-droit on n’a aucun point de repère et pas même un chez soi où prendre le temps de réfléchir tranquillement.
Pour l’instant la situation est la suivante :
1.- Depuis qu’elle s’est finalement mise en marche après le G8, la construction des new-towns avance rapidement. La semaine dernière, le premier gros-œuvre terminé, Berlusconi a pu dérouler son petit drapeau sur le premier toit, avec grand brio de manettes sur le monte-charge sous les yeux des médias, suivi par un déluge d'auto-compliments et de l'assurance qu'on pourra y entrer en novembre. (Ne devait-on pas y entrer en septembre ?)
Il paraît (à vérifier) que l’ensemble de ces préfabriqués qui devraient reloger 13.000 personnes répondent non seulement aux normes antisismiques, mais sont à l’avant-garde sur le plan d'épargne énergétique. Un bon point, en somme, si… par leur aspect de HLM ils ne gâchaient pas le paysage dans lequel on est en train de les planter, si la zone où on les construit, où la population doublera, n’était pas déjà saturée et même en difficulté en matière de fourniture hydrique, et si pour ces chantiers on n'avait pas exclus toutes les entreprises locales, sauf l’une d’elles, célèbre paraît-il pour le non respect des horaires de travail et des normes de sécurité.
2.- A qui iront ces logements ?
En théorie, ils sont réservés à tous ceux dont les habitations ont été déclarées E et F, c’est-à-dire irrécupérables ou à abattre, ainsi qu'aux habitants de la zone rouge de L’Aquila, son centre ville, encore sans vérifications approfondies. Ceci selon un ordre qui devrait tenir compte des priorités comme habitation unique, nombre des membres de la famille, handicaps, sources de revenue, etc…, mais aussi du choix émis par le demandeur qui peut également déclarer qu’il ne veut pas habiter dans ces HLM, mais plutôt dans un des logements alternatifs dont on commence à parler, entre possible réquisition des logements vides et maisonnettes en bois (sans autre plus en accord avec le paysage). Très bien, pensera-t-on.
Mais le problème, c’est que tous les ayants-droit, qu’on avait laissés dans l’ignorance la plus crasse jusqu’au 31 juillet au soir, n’ont eu que jusqu'à hier soir, c’est-à-dire 10 jours en tout et pour tout alors qu’ils sont dispersés un peu partout ou confinés dans les tendopoli, pour faire leur demande (sous forme de recensement) en complétant un formulaire aux déclarations ambigües et aux questions pas toujours claires, 10 jours pour prendre une décision dont ils ne sont pas à même de mesurer la portée, les implications ou les conséquences, une décision peut-être sans retour qui les effraie, etc… Une véritable odyssée avec le soi-disant secours de numéros verts qui ne répondent pas, de numéros payants munis seulement de disques répondeurs, ou de call-center où les personnes qui répondent ont l'interdiction de donner leur nom et ne savent pas répondre aux questions (vidéo). Encore une des merveilles de la Protection civile !
En plus, il y a les Aquilani de toujours qui ont peur de se voir supplanter par les nouveaux arrivés ou par les étrangers qui font beaucoup d’enfants….. Bref, on se regarde en chiens de faïence.
3.- Les autres.
Depuis le 6 août, environ 6.000 personnes dont les logements ont été classés A (et qui n'ont présenté aucun recours) devraient rentrer chez elles, la Protection civile ne les prenant plus en charge. Ceci va permettre de libérer des chambres ou des résidences qui pourront être occupées par un certain nombre des habitants des tendopoli.
Ensuite il y a les propriétaires des habitations classées B-C-D selon l’ampleur et l’importance des dégâts, qui, en théorie, ont droit au financement du gouvernement pour les réparations. Ces gens-là ont 90 jours (qui paraît-il approchent eux aussi de l’échéance, mais je n’ai trouvé aucune date) pour se trouver un architecte ou un ingénieur assermenté qui leur fasse un plan avec devis et s’engage à suivre les travaux, et pour faire leur demande de financement qu’ils doivent présenter dans les services des mairies (ouverts du lundi au vendredi de
Donc,
si on décide de passer sur le peu de considération méprisante réservé aux sinistrés par le Président du Conseil qui ne perd pas un occasion de plaisanter à leur sujet, par les hôteliers envers les clients-non-payants des hôtels et par certains volontaires de la Protection civile envers les hôtes des tendopoli où parfois on rogne sur la nourriture et trop souvent sur la gentillesse ;
si on décide de fermer les yeux sur la magouille des toilettes chimiques, de se boucher le nez dans les cas de carences sanitaires, et de trouver normal le démantellement des centres de premier secours ;
si on décide de faire semblant de ne pas savoir que les subsides mensuels de 100 ou 200 € par personne peinent à arriver (ceux du mois d’avril viennent juste d’être payés défalqués d'un 6/30 pour les jours qui ont précédé le tremblement de terre) ;
si on décide de passer l'éponge sur le temps perdu pour le G8 et parce que la Protection civile n'était pas prête ;
alors, on commence presque à être convaincus que la reconstruction va bon train et que même s’il y a quelques retards quelque part…. bref, que le gouvernement fait de son mieux. Et gare au média qui osera dire le contraire ou émettre quelques réserves !
Mais si on n’y regarde de plus près, on se rend compte qu’il y aura probablement beaucoup de laissés-pour-compte. Car le gros défaut de la gestion de ce gouvernement et par conséquent de son bras droit sur place, la Protection civile, c’est son inflexible rigidité qui n'écoute personne et ne laisse aucun espace à l’autonomie individuelle, qui, dans le cas présent, pourrait faire des miracles.
Qu’en sera-t-il des locataires des propriétaires de plusieurs appartements qui vont tout d’abord s’occuper de la restauration de leur résidence principale ? Où devront-ils aller ? C’est ce que se demande cette enseignante d’un lycée de L’Aquila qui, en location dans un appartement classé B, c’est-à-dire où elle ne pourra rentrer ni pour la rentrée scolaire et ni même avant l’hiver, a vu sombrer tous ses efforts pour pouvoir rester. On lui a proposé gratuitement un petit terrain pour y mettre provisoirement un petit chalet préfabriqué, mais la Protection civile lui a refusé le permis de construire parce que non résidente dans cette commune. Alors elle s’est mise à chercher une location, un terrain en location, mais rien n'est plus à la portée de personne tant qu’on - toujours l’omnipotente Protection civile -, ne se décidera pas à mettrre un frein à la spéculation.
Et puis il y a tous les propriétaires en puissance, au chômage technique ou restés sans emploi, qui, sans reprise du travail et donc sans salaire, ne pourront pas affronter les échéances de leurs traites quand elles repartiront. Au centre ville, il paraît qu’une grosse entreprise immobilière les attend les bras ouvert.
Ensuite c’est bien beau d’annoncer que les écoles rouvriront le 21 septembre comme prévu, mais y aura-t-il des enfants si leurs parents se trouvent encore à des kilomètres ?
C’est bien beau d’annoncer la reprise universitaire et la gratuité des charges pour les nouveaux inscrits, mais s'il n’y a pas de logements pour les étudiants ?
C’est bien beau d’annoncer la reconstruction de logements quand on ne fait rien pour recréer de l’emploi ou le tissu social. Même si le gouvernement a finalement accepté de reporter et d’échelonner à long terme le paiement des impôts de l’année dernière, il ne s’intéresse toujours pas au sort des travailleurs autonomes ou des PME qui ont tout perdu ou ont dû fermer, mais qui n’ont ni les moyens ni l’emplacement nécessaires pour repartir.
Etc…. Etc... Etc...
Si vous n’avez rien compris ou si vous avez perdu patience en cours de route, ne vous en faites pas, car le but de mon billet, c'était de permettre à ceux qui me lisent de se faire une toute petite idée de la situation inextricablement angoissante et compliquée dans laquelle se débattent 65 à 70.000 sinistrés dans une région de montagnes à l’approche de l’hiver, arrachés brutalement à leur vie d'avant, sans espace personnel ni intimité, complètement isolés de toute normalité. A côté d’une ville moribonde, dont les ruines n’appelleront aucun visiteur, dont la liste de mariage (ou d'adoption?) (3) lancée par le petit chef dans les fastes du G8 ne suscite plus grand intérêt, a-t-on l’intention de les pousser à partir ?
Le fait est que je n'arrête pas de me demander pourquoi l'Italie, pays continuellement à risques hydrogéologiques sur la presque totalité de son territoire, n'a jamais jugé essentiel d'avoir un organisme de Protezione civile bien préparé. Créée en 1982, on la ballade continuellement d'un Ministère à l'autre, modifiant ses pouvoirs et son champ d'action après chaque catastrophe. Aujourd'hui, elle dépend directement de la Présidence du Conseil des Ministres (donc de Berlusconi dans le cas présent), mais, à mon humble avis, le grand nombre des secteurs dont elle s'occupe entrave son rôle de protection de la population. Il suffit de savoir que pour l'instant ses fonctions comprennent également la préparation des grands évènements (qui saigne les trois-quarts de son budget). Alors, avec le G8 2009 prévu à La Maddalena en Sardaigne pour début juillet, avec les championnats du monde de natation 2009 prévus à Rome pour mi-juillet, peut-on vraiment être surpris si, en début d'année, elle n'a prêté qu'une oreille distraite aux secousses prémonitoires à L'Aquila, sans toutefois omettre de nous stresser continuellement et hors de propos avec ses alarmes à la canicule, à la pluie, au vent, à ceci, à cela, de peur de se retrouver une autre fois en défaut comme au moment de la canicule de 2003. Si on consulte les listes récentes des tremblements de terre et des catastrophes en Italie, on se rend immédiatement compte que ce pays fournit déjà largement de quoi l'occuper, ne serait-ce déjà qu'avec le contrôle de la conformité des constructions et de leurs emplacements, sans qu'en plus on lui colle des tâches supplémentaires de prestige en totale opposition avec le rôle de protection qui devrait être le sien.
Pour faire face aux drames de l'ampleur de celui de L'Aquila, il faut bien plus que de la bonne volonté, un monceau de tentes et des volontaires qui se montent facilement la tête, prétendant même des remerciements. Si le corps des pompiers a été tant apprécié par les sinistrés, c'est parce que c'est un corps de métier qui prévoit continuellement ce qu'on attendra d'eux. A L'Aquila, les sinistrés sont en train de payer le prix du manque de préparation de la Protection civile, qui plus est aux ordres d'un petit chef exhibitionniste qui n'a pas hésité un seul instant à mettre les sinistrés en attente pour pouvoir préparer sa parade au G8.
Vu que les tremblements de terre ne préviennent pas souvent, et que quand ils préviennent on ne les écoute pas, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que ferait la Protection civile si demain matin le Vésuve se réveillait ou que Messine et la Calabre se retrouvaient sous les décombres, comme en 1908, en 1783 et encore avant. Y a-t-elle pensé, y a-t-on pensé, ou bien vaut-il mieux que ces prochaines catastrophes attendent qu'elle en ait terminé avec L'Aquila ?
(1) En Italie, on vient juste de recommémorer la catastrophe de Marcinelle, le 8 août 1956, au cours de laquelle moururent 136 mineurs italiens. Il est intéressant de savoir qu'après la Seconde Guerre mondiale, l'Italie dévastée échangeait de la main-d'oeuvre contre du charbon.
(2) le charriot du wagon qui a explosé était rouillé.
(3) Il s'agit de la longue liste des biens culturels endommagés. Le Dôme de l'Aquila, adopté partiellement par la France a maintenant son petit chapeau protecteur.
Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila
1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila
2 : Les risques de la reconstruction
4 : Avant et après
5 : Sur la scène et dans les coulisses
6 : L'éclosion des petits malins
8 : Là aussi on vote... malgré tout
9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte
10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome
11 : A trois mois du séisme vers le Sommet du G8
12 : La parade du G8 à son apogée et les réponses des Aquilani
13 : L'erreur d'Obama
14 : Les Aquilani plus isolés que jamais
15 : Vu de loin
17 : 6 mois après, cahin caha mais toujours en dépit du bon sens
18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue
21 : 1 an après !
23 : Deux films qui racontent l'horrible réalité du post-séisme
24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?
25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués
26 et mes billets suivants ici
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Commentaires et Mises à jour :
Re: Reviens
Je voudrais bien car je continue à suivre tout ce qui se passe (ou, hélas, ne se passe pas) à L'Aquila, mais à chaque fois que je commence à écrire, je me perds dans l'incroyable et dramatique incohérence des faits et des décisions, et, complètement écoeurée, persuadée que je n'arriverai pas à décrire la situation sous tous ses aspects, je renvoie au lendemain ou à une date ultérieure.
Et pourtant, je sais que mon récit a besoin de la suite...
Reviens
Reviens donc chez nous. L'Aquila attend ta voix libre et vive entre mer et maquis...
giovanni