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Tremblement de terre à L’Aquila (3) : les lieux communs

L'Aquila, après le séisme du 6 avril 2009Toujours aussi bouleversée par l’étendue des conséquences de ce tremblement de terre du 6 avril (mes billets ci-desssous, les photos), je ne perds aucune occasion d’écouter, de questionner, d’en lire, d’en apprendre, d’en parler, et même, depuis trois jours, d’en rêver. Une véritable rotative. Car non seulement il y a eu près de 300 morts*, non seulement, entre L’Aquila et les 49 autres communes déclarées sinistrées, on a évacué 65.000 personnes qui pour l’instant sont entassés dans des refuges plus que précaires, mais une grande partie des sources de revenus et points de repère de tous ces gens-là a disparu. Parmi les édifices encore debout, pour l'instant (car les contrôles sont encore en cours), seulement la moitié serait immédiatement récupérable (pour certains après quelques travaux). Sans entrer dans les détails, il est facile d’imaginer le degré de paralysie locale que cela implique, des services publiques et à l’économie, avec la disparition d’un bon nombre de commerces, l’immobilisation d’au moins 400 entreprises bloquées pour de multiples raisons, la désertion forcée des quelque 25.000 étudiants qui, pour cette ville de 72.000 habitants, représentaient une véritable ressource, vu que seule la faculté des sciences est encore sur pied, et la perte des apports du tourisme. Le désarroi est donc dans l’air, la mauvaise humeur commence à monter, les comités qui demandent justice à se former, mais surtout, en plus du progressif désintérêt médiatique, on a peur que la ville ne meure et on craint que la reconstruction n’échappe aux entreprises régionales (quelque 5.500). Loin de ces terres martyrisées, cependant, le temps des lieux communs a commencé.

 

Le premier : mais pourquoi reconstruit-on toujours au même endroit ? Faut-il absolument reconstruire le centre historique de façon identique ? 

Le comble, c'est que ce lieu commun sorte de la bouche de Berlusconi. Ayant fait sa fortune avec la construction de Milano Due dans les années 70 et comme si le patrimoine italien ne le concernait absolument pas, il a tout de suite proposé la construction de « new towns » (sic) écologiques et en pleine forêt (n’oublions pas que la région frappée se trouve dans les Apennins entre 700 et 1.000 mètres d’altitude).

Ecologiques ou pas, comment peut-on encore penser, aujourd’hui, à construire des « new towns » en retrait, à l’image de ce qui a été construit dans les périphéries des grandes villes pour les désengorger après la seconde guerre mondiale, alors que leurs côtés bâtard (ni ville, ni campagne) et ghetto est amplement démontré ? Un tollé immédiat est arrivé de la part des Aquilani en premier lieu, mais aussi des principaux architectes, urbanistes, sociologues et psychologues italiens. La tendance, un peu partout en Europe, n'est-elle pas, au contraire, à la récupération des bourgs anciens, des lieux riches d'Histoire ?

De toute façon, il est évident qu’en Italie, à 70 % sismique, il ne servirait pas à grand-chose d’aller construire ailleurs. Où faudrait-il le faire exactement ? En Sardaigne ou dans le Salento (le talon de la botte) ?

Ensuite, quand tu as tout perdu, ce qu’il te reste et à quoi tu te raccroches, étrangement, c’est au territoire, même s’il t’a trahi, à ses racines, aux souvenirs qui s’y rattachent, à la mémoire de ses rythmes, de ses traditions, de ses saveurs, de ses parfums.

S’il était aussi logique d’aller voir ou construire ailleurs, où la terre est plus stable, comment se fait-il que les Californiens ou les Japonais, par exemple et pour ne citer que des populations « aisées » qui en ont les moyens, ne l'aient pas fait, ne le fassent pas ? Les derniers, au contraire, continuent à venir en Grèce, pour essayer de découvrir les secrets du Parthénon, sur sa colline depuis 437 av. JC., un véritable défi à leurs yeux. Un des plus importants sismologues japonais, Toshikazu Hanazato, se dit « persuadé que l’antique temple dédié à la déesse Athéna renferme le secret de la meilleure technique de construction pour combattre les tremblements de terre qui au Japon représentent une menace constante malgré l’utilisation, depuis des décennies, des techniques les plus avancées. »

A tort ou à raison, l’Histoire donne un sens à l’attachement à la propre terre : l’Italie serait-elle ce qu’elle est, sans son incroyable patrimoine antique encore sur pied, et l’empreinte décisive qu’elle a eu sur le monde occidental à travers l’extension de la chrétienté ? Et, vu ce qui se passe en Europe, ne sait-on pas aujourd'hui encore mieux qu'hier que l'obligation à l'émigration, au déracinement, est une malédiction ?

 

Le deuxième lieu commun veut qu’on se demande pourquoi les gens qui habitent dans des régions sismiques ne tiennent-ils pas, toujours à portée de main, et la nuit sur leurs tables de chevet, une torche, un portable, les clefs de leur voiture, et, à côté de la porte d’entrée ou dans le coffre de leur voiture, un sac qui contienne l’indispensable comme survêtements et chaussures de jogging, une couverture par personne, une bouteille d’eau.

Et les lunettes, les verres de contact, les dentiers, les papiers importants, les médicaments, etc. ? Cette recommandation n’est donc valable que pour un temps assez restreint, suite à des secousses qu’on pourrait appeler d’avertissement. A L’Aquila, où la terre avait commencé à trembler depuis plusieurs mois, il y avait effectivement des gens qui, de leur propre chef, avaient décidé de dormir tout habillés, sur leur canapé, d’autres qui allaient passer la nuit dans leurs campeurs, leurs caravanes, leurs voitures garées dans un grand espace à ciel-ouvert. Mais est-ce possible, tous les soirs, avec des enfants en bas âge ou des personnes âgées ? Quand la terre reste pratiquement tranquille pendant des années, voire des dizaines d’années, avant de se déchaîner tout à coup, violemment et sans préavis, comme ce sera probablement le cas au sud de l’Italie d’ici 20-25 ans, c’est impossible. Est-ce la raison de l’indifférence locale ? Dans le cas de L’Aquila, ce qu’on reproche à la Protection civile et aux autorités locales en général, c’est que suite à la répétition des secousses d'avertissement et à la cyclicité des phénomènes d’ampleur (env. tous les 300 ans dans cette région, le dernier datant de 1703) de n’avoir donné aucun conseil de comportement, de n’avoir indiqué ou fait urbaniser aucun lieu sûr, de n'avoir prévu aucun plan d'urgence.

 

Le troisième lieu commun, c’est de se demander pourquoi les gens achètent des appartements ou des maisons dans les régions sismiques.

A L’Aquila, en effet, il y a bien des gens qui, depuis le 6 avril, se retrouvent avec l’obligation de rembourser un prêt obtenu pour payer un appartement ou une maison qui n’existe plus. Car en Italie, il me semble (mais il faudrait que je fasse des recherches) qu’aucune assurance n’accepte de couvrir ce type de désastres naturels. Le seul garant, pour finir, c’est l’Etat, avec toutes ses lacunes et ses corruptions. Il paraît cependant que 80% des Italiens sont propriétaires des appartements ou maisons qu’ils habitent. Pourquoi ? Cela tient sans doute à beaucoup de choses. Tout d'abord, au fait qu'en Italie le niveau de vie de la majorité de la population s’est surtout amélioré après la seconde guerre mondiale, durant les années du boom économique, et face aux loyers élevés et aux difficultés d’obtenir un logement dans les case popolare (équivalents des HLM), le rêve de devenir propriétaire de son propre logement s’est transformé en une aspiration généralisée. Quant à acheter ou construire un logement pour ses enfants, dans un même immeuble, c’est assez courant et fait partie du "sens de la famille!", où, ce qui compte avant tout, c’est d’assurer le présent. « Après moi le déluge ! » en quelque sorte. Mais, est-ce si paradoxal que cela sur une terre sismique, où, justement, du jour au lendemain tout peut s’effondrer… selon la volonté de Dieu ?

 

Quant au quatrième… Tous les peuples se font une idée d’eux-mêmes, en général plutôt flatteuse. Certaines périodes de l’Histoire leur donnent raison, d’autres, au contraire, la démentent carrément. Et, comme par hasard, c’est justement dans ces moments critiques qu’on ressort les vieux lieux communs dont les leaders en place usent et abusent, sûrs de calmer, voire d’écarter, à travers la flatterie, la colère qui monte dans les esprits de l’ensemble de la population. Si l’idée que les Français se font d’eux-mêmes c’est d’être « plus intelligents », les Italiens sont tous persuadés qu’ils sont tous des « braves gens ». Un lieu commun dont Berlusconi, ces jours-ci, s’est réapproprié avec maestria dans des débordements d’exhibitionnisme, largement approuvé par tous ses fans inconditionnels, largement repris par les indécis. Mais peut-on qualifier de « braves gens » le grand nombre de personnes responsables, que ce soit par incurie, vénalité, avidité ou indifférence, des gouvernements successifs au simple électeur en passant par la classe politique, l’ensemble des institutions, qui ont permis un désastre de cette ampleur ? Qui, ces dernières décennies ont permis et continuent à permettre la bétonisation sans critères et sans freins de tout le territoire national ? Car il est intéressant de savoir qu’en 1999, on avait fait un recensement détaillé de vulnérabilité des édifices publics, stratégiques et particuliers des régions des Abruzzes, Basilicate, Calabre, Campanie, Molise, Pouilles et Sicile. Dans ce dossier, complètement oublié, figuraient comme à moyens et hauts risques tous les édifices de L’Aquila qui se sont écroulés le 6 avril dernier. Pour l’instant L’Aquila est sous les yeux de tous, mais des désastres géologiques, en Italie, il y en a en permanence car, du nord au sud, à quelques exceptions près, on construit n’importe où et n’importe comment avec le blanc-seing (réel ou aveugle) des administrations publiques. Sans aller chercher la catastrophe annoncée aux pieds du Vésuve, combien de routes interrompues, de ponts effondrés, combien d'éboulements, combien de villages tout entier se sont-ils irrémédiablement désarticulés cet hiver suite à des pluies, non pas torrentielles mais un peu plus abondantes que d'habitude, combien d'innondations dans des quartiers construits sans écoulement ?

Au sud du pays, où en décembre dernier il y a eu de nombreuses manifestations pour rappeler le terrible tremblement de terre (suivi d'un raz-de-marée) qui détruisit Messine (1-2) et Reggio de Calabre (1-2) (env. 130.000 morts) le 28 décembre 1908, et où le tour des grandes danses (liste) approche (1562, 1638, 1783, 1905, 1908), je m’attendais, suite à ce terrible 6 avril, à ce que l’ensemble de la population s’alarme, réagisse, réclame des expertises aux maires des communes, expertises des lieux publics comme les établissements scolaires et les hôpitaux tout d’abord, puis des habitations, mettant ainsi en évidence les risques réels. Si, à L’Aquila, c’est l’effondrement des constructions nouvelles qui a causé le plus de morts du fait de la spéculation sur les matériaux utilisés, est-il raisonnable de croire qu’on a été plus honnêtes dans les régions sous emprise mafieuse ? De la part des maires de toutes les communes, je m’attendais également à l’annonce d’une volonté de création, dans les plus brefs délais, d’un système d’information, avec la sélection de « points sûrs » indiqués par des panneaux (comme c’est le cas dans le Frioul depuis 1976 ou dans les longs tunnels), et de l’institution d’exercices biannuels d’évacuation.

Mais il n’en est rien ! A part quelques prises de précautions isolées, chacun, riche ou pauvre, ignorant ou instruit, croyant ou athée, puissant ou misérable est tranquillement retourné à ses égoïsmes familiaux ou personnels, après avoir éventuellement mis la main à la poche pour faire taire sa conscience et ses doutes, sans aucun désir apparent de remettre en cause le système du clientélisme qui, en plus de la mainmise mafieuse, fait la pluie et le beau temps sur ces régions. Il ne reste donc plus qu’à oublier qu’on habite peut-être au-dessus d'une trappe, et à se faire une raison en espérant que les « braves gens » des autres régions viendront donner un coup de main ou faire des dons quand cette partie de l’Italie sera sous les décombres. Inch'Allah !

 

Comme on peut le voir, les « lieux communs » sont toujours faciles, surtout quand on n’est pas directement concernés. A mon humble avis de personne concernée, aujourd’hui et dans l’état actuel de l’Italie, la seule et unique solution réside dans la réappropriation du territoire au niveau local, par les populations qui y résident (comme cela a été le cas dans le Frioul après 1976), loin des jeux de la politique et des constructions (ou reconstructions) des grandes oeuvres qui attirent spéculations et corruptions, avec la redécouverte des anciennes techniques de construction qui ont fait leurs preuves au cours des siècles, et un strict respect des normes antisismiques... sans oublier l'écologie.

 

Une bonne nouvelle ! Je viens juste d'apprendre qu'une des fractions de la ville, San Gregorio, 600 habitants (dont 8 décédés), détruite à 70%, suite à l'appel de ses femmes à travers un court métrage de Francesca Comencini, vient déjà d'être adoptée par trois communes équivalentes en Toscane, en Ligurie et dans le Piémont, qui veulent prêter main forte à la reconstruction. Une émission de la RAI a également décidé d'adopter un des édifices de sa place centrale. Tout cela me réjouit franchement. C'est cette Italie-là que j'aime, non pas celle des « braves gens » faciles à flatter pour qu'ils votent pour vous ou approuvent les vilénies, mais celle de ses millions de personnes de bonne volonté, tellement pleines de courage, de véritable générosité et d'ingéniosité. Je souhaite que cette belle idée fasse très vite boule de neige.

Et puis, jetez donc un coup d'oeil à ce premier mariage !

 

 

* Chiffres qui pourraient augmenter quand on débarrassera les gravats et qu'on découvrira les cadavres des nombreux sans-papiers qui, à L'Aquila, se payaient un logement au noir dans les caves du centre historique avec un travail au noir. Les employeurs et les logeurs de ces gens-là se sont bien gardés de dénoncer leur disparition. (Sources 1-2-3)

 

Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila 

1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila

2 : Les risques de la reconstruction

4 : Avant et après

5 : Sur la scène et dans les coulisses

6 : L'éclosion des petits malins

7 : La parole aux blogueurs

8 : Là aussi on vote... malgré tout

9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte

10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome

11 : A trois mois du séisme vers le Sommet du G8

12 : La parade du G8 à son apogée et les réponses des Aquilani

13 : L'erreur d'Obama

14 : Les Aquilani plus isolés que jamais

15 : Vu de loin

16 : La grande confusion

17 : 6 mois après, cahin-caha, mais toujours en dépit du bon sens

18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue

21 : 1 an après !
22 : Un an après, le bilan

23 : Deux films qui racontent la réalité du post-séisme
24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?

25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués
26, 27, etc... toute la suite ici

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Ecrit par ImpasseSud, le Dimanche 19 Avril 2009, 17:50 dans la rubrique "Actualité".

Commentaires et Mises à jour :

sarah-k
21-04-09 à 09:56

Tremblement de terre

Magnifique article, Impasse.
D'une grande intelligence, merci donc pour cela.

 
ImpasseSud
21-04-09 à 16:42

Re: Tremblement de terre

Merci à toi Sarah. En fait, si j'ai écrit cet article, c'est d'une part parce que ces lieux communs, je les ai incroyablement retrouvés sur des blogs italiens, mais surtout, je l'ai fait en souvenir du temps où j'habitais encore sur une terre "vraiment ferme" et où, justement, à propos de je ne sais plus quel tremblement de terre, en Algérie ou en Sicile, le premier m'était venu à l'esprit. :-))))