Ce que j’ai écrit il y a quatre jours reste valable, mais depuis avant-hier, vu du côté des Aquilani, tout est devenu révoltant. Le grotesque, voire parfois l’obscénité médiatique, dépasse tellement les limites de l’imaginable qu’on finit par se demander si Berlusconi n’a pas, sciemment, conservé L’Aquila en l’état pour pouvoir s’y pavaner avec les grands de ce monde. Car si la presse étrangère ne fait pas grand cas du Sommet de ce G8 (dont ne sortira, comme d'habitude, que de maigres résolutions sans suites concrètes) mais encore moins des conditions scandaleuses dans lesquelles vivent encore les sinistrés du tremblement de terre de L’Aquila le 6 avril dernier, ici TOUS LES MEDIAS, aux ordres ou pour plaire au petit chef, font croire aux Italiens que le monde entier a les yeux fixés sur L’Aquila, et qu’on déborde d’éloges envers sa gestion du désastre. Et ces chefs d’Etat, …
…. le sourire ou carrément le rire aux lèvres qui se congratulent avec le Président du Conseil pour le travail accompli (Obama est descendu d’un cran dans mon estime), se laissant illustrer une reconstruction qui, trois mois après le tremblement de terre, n’existe encore qu’en affiches ! Fallait-il vraiment en remettre une couche ?! Un peu de réserve froide ou quelques marques d’intérêt, non pas seulement envers les monuments(1), mais envers la population avec la visite de quelques tendopoli auraient-ils fait une entorse aux protocoles, à la diplomatie ou aux normes de sécurité ? A moins que pour ce petit club de puissants qui se rencontrent si souvent ici et là, les décombres de ce Sommet ne soient qu'une touche de pittoresque tranquille vu que tout est prévu pour une évacuation. Indignation est un mot bien faible pour exprimer ce que j’éprouve. Et moi, je ne suis ni sous la tente depuis trois mois, ni exilé Dieu sait où, ni confinée par des kyrielles d’interdits.
Que font les 3.500 journalistes accrédités ? se demandera-t-on. Pourquoi ne racontent-ils pas, n’illustrent-t-ils pas cette grossière disparité ? Parce qu’apparemment il n’y en aurait que 15 à 20, une cinquantaine quand tout va bien, qui aient un accès direct à l’information, triés sur le volet cela va de soi. Les autres protestent et dénoncent ce qu’ils définissent un « évènement en plastique », errant à la recherche d’une information tout en se disputant les sacs de gadgets et en profitant de l’abondance de la cuisine. L'organisation de la communication est déplorable, répète-t-on (1-2), le site officiel est rarement mis à jour, bien qu’on affirme le contraire. Pour eux pas de programmes écrits, pas de photocopies, pas même des photos officielles ! Avec des conférences de presse qui brillent par la rareté des questions, le Sommet du G8, ils le suivent sur les écrans de télévision, comme tout le monde.
Quant aux First Ladies dont aucune n’a relevé l’appel lancé par 4 professeures universitaires italiennes à ne pas accompagner leurs époux au G8, dégoûtées, comme bonne partie de l'Italie, non seulement par la vie privée de leur Premier ministre mais aussi par « les modalités de recrutement du personnel politique et les comportements et discours sexistes qui délégitiment systématiquement de façon perverse et hilare la présence féminine sur la scène sociale et institutionnelle. Ces comportements, graves sur le plan moral, civil, culturel, minent la dignité des femmes et pèsent négativement sur les parcours d’autonomie et d’affirmation féminins. », elles sont toutes là, sans doute contentes d’avoir l’occasion de voir de près les effets d’un tremblement de terre sous le beau ciel d’Italie, de faire quelques photos, un peu de shopping romain, et même, vu qu’on avait pensé à leur préparer un simulateur, de goûter aux frissons de quelques bonnes secousses. Du côté de Carla Bruni-Sarkozy, il est difficile de comprendre à quel jeu elle joue (1-2).
Face à ce quasi black-out sur L’Aquila des Aquilani, cette indifférence face au mépris de leurs droits les plus élémentaires (et ne parlons des fractions ou villages oubliés (carte) qui n'ont pas eu le droit à la moindre visite, au moindre intéressement), ceux-ci se défendent comme ils peuvent, parfois avec un beaucoup d'humour à l’italienne.
- Il y a tout d’abord le magnifique « Yes, we camp ! » (vidéo) monté à pieds suite à un refus d’autorisation sur une colline avoisinante, pour mettre sous les fenêtres des puissants l'évidence que pour les victimes du séisme, trois mois plus tard on n'a encore rien reconstruit et que la reconstruction, les Aquilani la veulent à 100%.
- La réponse des « Last Ladies » de L’Aquila auxquelles on a interdit l’accès au Parc de l’Unicef, désormais Piazza 3e32, aux « First Ladies » venues accomplir leur visite guidée en toute tranquillité. Bloquées dans leurs projets de manifestation pour demander des logements « tout de suite » en commençant par la réquisition de ceux qui sont vides et habitables, les « Last ladies » et ceux qui s’étaient joint à elles (dont certains hommes en slip pour donner une idée plus explicite de l’état de dénuement dans lequel le gouvernement laisse les sinistrés) ont alors décidé d’aller procéder à la réquisition symbolique d’un de ces immeubles en parfait état, car il paraît qu’avant le tremblement de terre les constructeurs se lamentaient à propos de 3.500 appartement invendus. Ce qui, compte tenu du pourcentage d’appartements déclarés habitables tel que ou après quelques travaux, signifie qu’à L’Aquila il y aurait entre 2.000 et 2.500 appartements vides, mais qu’on préfère laisser les gens sous la tente. Au retour, les défilés des First et des Last ladies se sont croisées, la police laissant bien entendu la priorité aux premières que les slogans des secondes (« Yes, we camp ! », « Questa è la nostra città, siamo stanche dei vostri gala ! », « Michelle! Carla! venite nelle tende, le donne abruzzesi vi aspettano in mutande », « Per le first ladies passeggiate in centro, per le donne aquilane tende e cemento »)(2) n’ont pas dérangé.
- Des conseillers municipaux se sont enchaînés Piazza d’Armi (là où se trouve la plus grande tendopoli de plus d’un millier de personnes) pour protester contre les promesses non maintenues par le gouvernement et les retards dans la reconstruction.
- La protestation d’un « Don Quichotte », dûment vêtu, qui a fait
- Sans oublier les récits de Giustino Parisse, journaliste au journal local Il Centro, qui, résidant à Onna a perdu ses deux enfants la nuit du 5 au 6 avril, avec les impairs de Berlusconi qui se plaint à Mme Merkel d’être fatigué « à cause de ceux qui l’ont obligé à rester debout jusqu’à cinq heures du matin » : « Je vous en prie, Monsieur le Président, venez vous reposer sous ma tente », lui a alors proposé un des sinistrés ; ou encore, toujours au cours de cette visite, qui reproche aux pompiers de gâcher de l’argent en étayages « vu qu’ensuite il faudra démolir pour reconstruire », mais à qui un pompier répond timidement : « Monsieur le Président, il s’agit de biens culturels. » Le petit homme ne se dément jamais longtemps, le naturel revient toujours au galop.
Etc…
Il ne reste plus qu’à attendre la journée d’aujourd’hui, avec la grande manifestation des no-global et des syndicats de base, de Paganica à la Villa Comunale de L’Aquila, auquel le comité citadin
Donc à suivre…
(1) Voici la liste des engagements pris par différents états, la "liste de mariage" comme l'a définie Berlusconi avec son tact habituel.
Zapatero s'est engagé, au nom de l'Espane, à verser 50 millions d'Euros pour la restauration de la Forteresse espagnole,
Michelle Obama, au nom des Etats-Unis a choisi l'Eglise Santa Maria de Paganica,
Mme Merkel, comme prévu au nom de l'Allemagne, s'est engagée à reconstruire une partie de Onna durement frappée par les nazis en 1944,
L'Australie versera 1 million pour restaurer l'Oratorio di Sant'Antonio
La France, comme déjà annoncé ici, a adopté le Dôme,
Le Canada financera un nouveau campus universitaire,
Le Japon financera un centre sportif et une nouvelle salle de musique.
Etc.
Sur la "liste de mariage", entre églises, palais et monuments, il y a 49 "biens culturels" à reconstruire. Jusqu'à présent il y eu 14 choix et 7 promesses de choix. Le fait est qu'en plus, il y a tout le reste, plus de 1.300 biens qui datent du Moyen-âge, de la Renaissance ou de l'époque du baroque à récupérer ou à reconstruire. Le gouvernement a promis 50 millions pour l'étayage, mais trois mois se sont écoulés avec secousses, pluies diluviennes et grêlons sans que rien n'arrive.
Sources La Repubblica
(2) "Cette ville nous appartient, nous sommes lasses de vos galas", "Michelle, Carla, venez dans les tentes, les femmes des Abruzzes vous attendent en petite culotte!", "Pour les first ladies promenades au centre, pour les femmes de L'Aquila, tentes et béton!"
Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila
1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila
2 : Les risques de la reconstruction
4 : Avant et après
5 : Sur la scène et dans les coulisses
6 : L'éclosion des petits malins
8 : Là aussi on vote... malgré tout
9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte
10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome
11 : A trois mois du séisme vers le Sommet du G8
13 : L'erreur d'Obama
14 : Les Aquilani plus isolés que jamais
15 : Vu de loin
16 : La grande confusion
17 : 6 mois après, cahin-caha, mais toujours en dépit du bon sens
18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue
21 : 1 an après !
23 : Deux films qui racontent l'horrible réalité du post-séisme
24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?
25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués
26, 27, etc... toute la suite ici
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