Il y a juste un mois aujourd'hui. Mais que ceux qui feuillettent les pages des principaux quotidiens italiens ne s’étonnent pas s’ils y trouvent de moins en moins de nouvelles à propos du tremblement de terre du 6 avril (mes autres billets ci-dessous), sauf quand L’Aquila se transforme en scène politique. Evidemment, entre le sordide roman-feuilleton alimenté par Berlusconi, la montée de la grippe porcine, la voracité de Fiat et les projets de lois infâmes contre les sans-papiers qui voulaient obliger les proviseurs et directeurs d'écoles à la dénonciation, le centre d’intérêt médiatique s’est déplacé. De « passerelle planétaire », la région s’est retrouvée déclassée, bien que la terre continue à trembler et i vulcanetti à pousser.
Et pourtant, ce n’est pas faute de défilés sous les projecteurs.
Je passerai sur les visites des premiers jours et les funérailles nationales que certaines familles ont refusé.
A Onna, pour faciliter les allers-et-venues des VIP, on a même construit un héliport et une nouvelle route qui y porte à travers champs, soustrayant pour ce faire une partie des ouvriers, pompiers et volontaires qui aident ceux qui vivent dans la boue et essaient d’arriver à la tente-cantine ou aux toilettes (récupération de l’Iraq, inaccessibles aux personnes âgées et à ceux qui marchent avec difficulté, dont la plupart, depuis plus de trois semaines, n’a pas encore pu prendre de douche),
Le 25 avril, Fête de la Libération, les habitants d’Onna ont même dû reporter au 26 la commémoration de leurs 17 morts assassinés par les nazis, car Berlusconi a mobilisé la place pour son show personnel… en les tenant à l’écart.
Le 28, ça a été le tour de Benoît XVI. Pour lui, on avait même fait étayer ce qu’il reste de l’église qui doit être abattue et monté un petit clocher, avec les cloches récupérées dans les décombres. A L’Aquila, toujours pour lui, on a soustrait des centaines d’hommes pour monter les tribunes de la Piazza d’Armi, placer les barrières, agrandir la salle de la presse (500 journalistes), organiser la sécurité. Une sorte de répétition pour le prochain G8. On a même intimé aux Aquilani logés dans les tentes sur place d’aller garer ailleurs les voitures dans lesquelles ils vont encore dormir la nuit, quand l’eau y entre suite aux grosses pluies. A la basilique de Collemaggio, vide et sans coupole, on a demandé aux pompiers et à la protection civile d’apprêter, pour qu’il puisse y déposer son étole, la barre de cristal de Célestin V récupérée intacte. Sous les ruines de la « casa dello studente » (8 morts), il a rencontré des étudiants… catholiques, la principale de leurs représentants, protestante, n’ayant pas été invitée.
Les sinistrés ont l'impression de jouer le rôle de toile de fond pour spots télévisés.
Le 1er mai, ce sont les secrétaires des grands syndicats italiens qui sont arrivés, sans drapeau ni signe d’appartenance - il faut en prendre note -, par solidarité et soutien, pour réitérer les dénonciations des fautes et incuries qui sont à l’origine de l’ampleur de la catastrophe. Beaucoup de journalistes et d’inscrits au parterre, cependant.
Il ne manquait plus qu’une nouvelle visite de Berlusconi, avec la promesse que tout le monde sera relogé dans du dur pour 10 septembre prochain.
Pendant ce temps-là, dans les coulisses un monde différent et lointain …
… les quelque 160 camps de tentes ou plus, 33.457 personnes entassées à dix ou douze par tente, lit contre lit, en butte à la pluie et au froid, avec la mauvaise odeur des terrains imbibés d'eau où l'herbe est en train de pourrir ; les milliers de déplacés dans les hôtels de la côte adriatique, chez des parents, des amis, dans une résidence secondaire pour les plus chanceux. 65.000 personnes en tout. Et le temps qui ne passe pas ou passe mal… sans date d’échéance certaine, une atmosphère qui s’alourdit de jour en jour.
Les Aquilani, si réservés, essaient de supporter le rôle de « passerelle planétaire » et l’attention du monde sur leur ville, parce que ce dont ils ont un urgent besoin c’est de logements en dur et chauffés, de routes, d’écoles, de la récupération de tous les services publics urbains. Tout sera-t-il prêt pour le 10 septembre, comme promis ?
Durant les longues heures de leurs journées désœuvrées, ils commencent donc à faire des comptes, à étudier de près le décret de 8 milliards d’euros adopté par le gouvernement pour la reconstruction. Et il semble que quelque chose ne tourne pas rond. Les Aquilani l’appellent déjà « il decreto abracadabra ». Car des 8 milliards, pour l’instant il n’y en aurait qu’un peu plus d’1, pas même complètement disponible immédiatement, tout le reste se basant sur l’hypothétique création de loteries, jeux de loto, sur la lutte contre l’évasion fiscale…. dans un pays où on l’encourage ! Les constructions provisoires, urgentes, en bois (avec un toit en tôle ?), seraient au contraire prévues pour un « usage durable » (vers une longue permanence dans des baraques, comme d’habitude ?) et pourraient être prêtes, non pas pour le 10 septembre, mais distribuées graduellement sur au moins un an. Mais, au mois d’octobre, à cette altitude, il peut recommencer à neiger. Faudra-t-il donc passer l'hiver sous la tente ? Et pour les constructions en dur ? Il semble qu'on l'ait planifié jusqu'en 2032, sans que le mécanisme financier soit clair. Et les fonds nécessaires pour la réparation immédiate des immeubles récupérables ? La colère monte.
Sans compter que ce fameux décret exclut toutes les autorités locales après que Berlusconi ait tout d’abord annoncé qu’il allait donner plus de pouvoirs aux maires, mettant au contraire gestion et décisions dans les mains d’un seul homme, le grand chef de la Protection civile, avec d'éventuelles consultations. « Du paternalisme » inacceptable pour les maires et les citoyens. Ici, comme face à la crise économique, le gouvernement annonce, promet, bluffe, ment et dément, l’important c’est de détourner l’attention, au fur et à mesure. « Une belle aubaine que ce tremblement de terre en pleine crise économique ! », entend-on du matin au soir.
En attendant, après les premiers contrôles techniques, 307 édifices de logements ont été déclarés habitables par une ordonnance municipale, retardée plusieurs jours pour plus de sûreté. Leurs locataires ou propriétaires ont donc le droit de rentrer chez eux. Mais avec la terre qui continue à trembler, les vents de paniques récurrents avec ce qu’on raconte à propos du grand tremblement de terre de 1703, suivi par une seconde secousse, plus violente que la première, à trois semaines de distance, personne n’en a courage. Qui peut les blâmer ? Alors les gens y vont de jour, y faire une lessive quand l’eau du robinet n’y est pas boueuse, y prendre quelques objets, mais la nuit ils retournent sous la tente. D'autant plus que cette autorisation est assujettie à des réparations, à des renforcements préalables. Mais avec quel argent ?
L’hôpital, actuellement sous la tente pour l’indispensable, devrait rouvrir partiellement ses portes d’ici la fin du mois, avec ses pôles importants, comme les salles d’opérations, scanner, RMI, etc… que les Aquilani craignaient de perdre au profit de Pescara.
Certaines écoles ont rouvert leurs portes, dans les locaux précédents, sous la tente ou dans des conteneurs, d'autres attendront la rentrée de septembre. Les contrôles sécuritaires faits ces derniers jours ont permis d’écarter les écoles et universités qui, en 2006, avaient déjà été déclarées à risques, mais dont on avait effacé la liste. Va savoir si un tremblement de terre de jour n’aurait pas fait plus de morts.
Les étudiants universitaires qui devaient/doivent soutenir leurs thèses ont pu/pourront le faire… sous la tente, les premiers dès le 20 avril. Le club Rotary a pris l’engagement de reconstruire la faculté d’ingénierie. Les différentes facultés, dont bonne partie est irrécupérable sont déplacées sous la tente, dans les immeubles récupérables ou dans les villes voisines en mesure de loger et nourrir les étudiants.
Certaines entreprises ont recommencé à travailler, avec courage, détermination et esprit d’initiative. Non seulement parce qu’elles perdaient chaque jour des sommes énormes, non seulement pour éviter la faillite ou la fermeture des secteurs auxiliaires, à des dizaines où des centaines de kilomètres de là, mais surtout parce que leurs personnels, le lendemain du tremblement de terre, étaient déjà là, devant les grilles, bien qu’ayant tout perdu, à la recherche de la seule illusion qui leur restait, leur emploi. Alors les patrons dont les entreprises étaient en mesure de repartir ont fait monter, dans leurs cours, des tentes-logements et des cantines, et ont commencé à avancer de l’argent comptant à leurs personnels pour leurs nécessités immédiates.
Sur l'autoroute qui porte à L'Aquila le péage est aboli, et si le centre ville est toujours bloqué, un certain nombre de commerces ont eu l'autorisation de rouvrir ; 10 bureaux de Poste mobiles et des agences bancaires mobiles tournent.
Sous l’impulsion du fameux chanteur Jovanotti, 56 artistes du monde de la musique italien se sont retrouvés pour inciser, ensemble, un CD (vidéo) au profit de la reconstruction du conservatoire et du siège, à L’Aquila, du théâtre stable des Abruzzes.
La ville de Trente a adopté le Théâtre San Filippo.
Le maire vient juste de bloquer, alors qu'il était sur le point d'être adopté par le gouvernement, un décret de loi qui transferait ailleurs tous les bureaux administratifs de la ville.
Du Belice, la région sicilienne du tremblement de terre de 1968, est arrivée la proposition de jumelages avec les établissements scolaires de la ville, avec la prise en charge des élèves en difficulté et du matériel scolaire.
Dans une entreprise de Vicence on travaille déjà quelques heures « gratuitement » pour reconstruire le stade.
La pendule de la Tour civique, arrêtée pendant près d’un mois, est repartie, et hier soir entre 21 heures et 21 heures 30, ses cloches ont recommencé à sonner les 99 coups, pour rappeler le chiffre symbole de la ville.
Les transports en commun entre l’Aquila et les grandes villes les plus proches, la côte adriatique où se trouvent des dizaines de milliers d’Aquilani et Rome ont été multipliés.
Quant au squelette du mammouth vieux de 1.200.000 ans, découvert dans cette vallée en 1954, il restera au Musée de l’Aquila, car, au cour du tremblement de terre, il n’a perdu qu’une côte et une vertèbre qui sont tombées par terre sans se rompre.
Par contre la Rocca di Calascio, le château médiéval situé à 1.460 mètres où fut tourné le fameux film « Ladyhawke, la femme de la nuit » est en péril.
Etc., etc., etc….
Si je suis au courant de tout cela bien que n'étant pas sur place, ce n'est ni à travers la télévision (qui ne décolle pas des mêmes toiles de fond) ni en lisant la presse qui, quand elle en parle, n'a pas de temps à perdre avec les détails. C'est grâce à Internet, bien entendu, car à L’Aquila les portables fonctionnent, téléphones, iPod et note-books. Mais ces portables seraient muets sur la question si deux femmes, Roberta Galeotti et Maria Cattini, la nuit du tremblement de terre, n’avaient pas eu le réflexe immédiat de sauvegarder www.ilcapoluogo.com. Voilà comment Roberta Galeotti, le directeur le raconte :
« En l’espace de 28 secondes le système économique d’un chef-lieu de province de 70.000 habitants s’est éteint. Nous sommes sous les projecteurs du monde entier, mais nous sommes seuls. Nous sommes seuls, mais nous sentons responsables du redémarrage de notre ville, avec ses gens. Maria et moi, toutes seules…
« Maria, le directeur responsable, habite à Scoppito dans une villa à un étage qui n’a pas été endommagée par le tremblement de terre. Cette nuit-là, elle a eu le sang froid de prendre son note-book. Sans électricité, elle s’est connectée à Internet avec une clé, et, sans s’interrompre, elle a continué à mettre le site à jour, à partir des terribles nouvelles sur les destructions qu'elle recevait, par téléphone, des agences et de nos amis. Nous nous sentons le devoir de ne pas abandonner nos concitadins, nous percevons la colère qui monte, l’impotence, et nous voulons rester, en quelque manière, un vecteur de lucidité et d’espoir. Pour les Aquilani, Ilcapoluogo est l’agrégatif de cet étrange moment de transition. Nous, nous sommes l’information, mais nous représentons aussi l’aquilanéité, la nostalgie, le faible point d’appui d’une vie qui n’existe plus et qui ne renaîtra peut-être plus jamais ! Les Aquilani ont toujours participé au journal on-line comme pour un forum, avec leurs interventions et leurs commentaires sur les nouvelles. Maintenant, ils sont plus discrets et nous envoient des courriels ou des récits de cette terrible nuit. Mais en interagissant avec eux, nous avons un point d’observation privilégié avec nos concitadins, et avons la possibilité de jouer les intermédiaires et d’intervenir à travers nos articles et les éditoriaux. »
Deux photographes, hommes, leur donnent un coup de main pour les photos. Pour l’instant, Roberta vit sur la côte [adriatique], dans une résidence de Roseto degli Abruzzi, un bourg qui a ouvert ses structures touristiques à 5.000 personnes déplacés. Elle va souvent à L’Aquila, où elle voudrait, tôt ou tard, faire repartir sa vie. Elle habitait dans un immeuble de six étages. Les trois premiers se sont écroulés. Elle a deux enfants : le plus grand de 6 ans qui pleurait tous les soirs parce qu'il voulait rentrer à la maison. La quotidienneté est lourde : « la bureaucratie est terrible », raconte-t-elle, « tout n’est que queues : pour demander une dispense, pour aménager les notes impayées, pour l’adaptation des enfants : choisir une école, les insérer dans la vie, etc…. Pour l’instant ils ont la perception d’être en vacances, mais au début ça a été dur. Ils ne voulaient pas des vêtements qui n’étaient pas les leurs, et ceci contribuait à les dépayser. C’est comme cela qu’un jour, en cachette et bien que cela soit interdit, je suis rentrée chez moi, j’ai enfilé les vêtements des enfants dans des taies d’oreiller et tout balancer par la fenêtre pour aller plus vite. »
Plus de 7.000 visiteurs par jour sur ce site, où les Aquilani peuvent trouver tous les détails qui leur manquent. Quand on est confiné dans l'isolement, quand l'avenir est plus qu'incertain, ce qui compte en premier lieu, c'est l'information.
Les Italiens sont tellement mieux, tellement plus efficaces, tellement plus altruistes, tellement plus ingénieux sans leurs gouvernements. A se demander comment ils font pour élire le pire de la population, les arrivistes et les arrogants qui ne sèment qu’égoïsmes, clientélismes et vulgarité. A suivre...
Tous mes billets sur le Tremblement de terre du 6 avril 2009 à L'Aquila
1 : Jour de Pâques... qui suit le tremblement de terre de L'Aquila
2 : Les risques de la reconstruction
4 : Avant et après
6 : L'éclosion des petits malins
7 : La parole aux blogueurs
8 : Là aussi on vote... malgré tout
9 : Ce qu'aucun JT italien ne raconte
10 : Les Aquilani en colère vont protester à Rome
11 : A trois mois du séisme vers le Sommet du G8
12 : La parade du G8 à son apogée et la réponse des Aquilani
13 : L'erreur d'Obama
14 : Les Aquilani plus isolés que jamais
15 : Vu de loin
16 : La grande confusion
17 : 6 mois après, cahin-caha, mais toujours en dépit du bon sens
18 : Après une longue mise sous tutelle, les Aquilani reprennent possession de leur ville que le gouvernement laisse mourir
19 : Manoeuvres électorales sur Wikipédia
20 : Un dimanche après l'autre et à la barbe des instrumentalisations, le tissu social de la ville se reconstitue
21 : 1 an après !
22 : Un an après, le bilan
23 : Deux films qui racontent la réalité du post-séisme
24 : Vers une Union européenne de sinistrés ?
25 : 15 mois après, les Aquilani sont toujours sinistrés, abandonnés leur sort et... matraqués
26, 27, etc... toute la suite ici
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